Les effets indésirables de l’éducation en ligne
En Roumanie, la suspension généralisée des cours en présentiel est entrée en vigueur le 11 mars 2020, et depuis elle se poursuit sous différentes formes et scénarios, adaptés aux situations épidémiologiques du moment. Conçue comme une solution de crise, la décision nest pas restée sans conséquences sur le parcours éducatif des élèves. Les plus touchés sont — et on s’en doutait – les enfants issus des milieux défavorisés, soit une bonne partie de ceux qui constituaient les 44 % de ce que l’on appelle les analphabètes fonctionnels, déjà avant la pandémie. Une étude, menée plus tôt cette année par l’association World Vision Roumanie, a confirmé les données qui indiquaient déjà que 40 % des élèves issus de milieux défavorisés navaient pas accès à léducation en ligne. A cette situation désastreuse il y a certes plusieurs raisons, explique Mihaela Nabăr, directrice exécutive de World Vision Roumanie :
Corina Cristea, 23.04.2021, 13:50
En Roumanie, la suspension généralisée des cours en présentiel est entrée en vigueur le 11 mars 2020, et depuis elle se poursuit sous différentes formes et scénarios, adaptés aux situations épidémiologiques du moment. Conçue comme une solution de crise, la décision nest pas restée sans conséquences sur le parcours éducatif des élèves. Les plus touchés sont — et on s’en doutait – les enfants issus des milieux défavorisés, soit une bonne partie de ceux qui constituaient les 44 % de ce que l’on appelle les analphabètes fonctionnels, déjà avant la pandémie. Une étude, menée plus tôt cette année par l’association World Vision Roumanie, a confirmé les données qui indiquaient déjà que 40 % des élèves issus de milieux défavorisés navaient pas accès à léducation en ligne. A cette situation désastreuse il y a certes plusieurs raisons, explique Mihaela Nabăr, directrice exécutive de World Vision Roumanie :
« Il y a tout d’abord les raisons financières, des familles qui ne sont pas en mesure d’assurer les moyens techniques et les infrastructures nécessaires au bon déroulement des cours en ligne de leurs enfants, qu’il s’agisse d’ordinateur, d’ordinateur portable, de tablette, et encore de la connexion à internet. Selon les données recueillies par notre association dans les villages où nous menons nos programmes, une personne sur trois est dépourvue d’accès à internet ou alors la connexion est tellement faible que les cours en ligne ne peuvent pas se dérouler normalement. Par ailleurs, les enseignants nétaient pas toujours formés à donner des cours ou à pouvoir examiner leurs élèves en ligne. Pourtant, dans le contexte actuel, il était extrêmement important que tous les enfants puissent avoir accès à l’éducation, car l’éducation est un droit, et cela signifie que nous devons tout faire pour que tous les élèves puissent avoir accès à ce droit et l’exercer à leur guise. Pourtant, les situations sont très différentes dun ménage à lautre, dun enfant à lautre. Pendant toute cette période, beaucoup n’ont pas eu accès à une éducation en ligne de qualité, mais il y a eu aussi des enseignants qui ne se sont pas résignés devant ce constat, et qui ont fait du porte-à-porte, qui sont allés au domicile des enfants pour laisser des notes de cours ou reprendre les feuilles de travail que les enfants avaient remplies. Le tableau d’ensemble est donc assez mitigé et beaucoup d’enfants sont quand même parvenus, dune manière ou dune autre, à joindre leurs professeurs, mais on est loin de pouvoir parler daccès universel et garanti à léducation, et encore moins à une éducation de qualité. »
Bien que la Roumanie fasse partie du peloton de tête des pays réputés en termes de qualité de ses connexions à internet, les chiffres publiés en début d’année ont montré que 237 mille élèves navaient pas accès à internet et 287 mille élèves ne disposaient pas de léquipement nécessaire pour suivre les cours en ligne. Environ 40 % de chaque groupe était aussi repris dans l’autre groupe. Mais là où le bât blesse par-dessus tout, c’est que la situation ne s’est pas améliorée depuis. Mihaela Nabăr :
« 91 % des enfants ou leurs parents se disent affectés par cette situation, d’un point de vue psychologique. Pire encore, environ 23 % des enfants qui vivent à la campagne et qui ont été repris dans notre étude se disent malheureux. Or, toute cette situation aura très certainement un impact majeur sur les chances de leur réintégration scolaire. Nous ne pouvons dès lors qu’espérer et saluer la reprise attendue des cours scolaires en présentiel, car cest la seule façon de pouvoir joindre et scolariser les enfants qui font partie des communautés les plus vulnérables. »
50 % des enseignants qui ont pris part à létude menée par l’association World Vision Roumanie estiment que leurs élèves auraient besoin de suivre des cours de rattrapage, car ils ont décroché et ne seraient pas en mesure de réussir les tests qui les attendent. Mihaela Nabăr :
« Selon les évaluations réalisées dans les communautés où notre association propose ses programmes de rattrapage scolaire, l’on constate une détérioration accentuée des résultats scolaires, et ce en dépit de tous nos efforts. Autrement dit, ces facteurs laissent présager ce que sera l’évolution du taux dabandon scolaire dans un proche avenir. »
Et bien que les données officielles concernant labandon scolaire ne soient publiées quen fin dannée scolaire, l’on constate déjà à l’œil nu une explosion des situations de décrochage, surtout en ce qui concerne la tranche d’âge des 14-15 ans, dans ce contexte de fracture du processus éducatif. Pour comprendre le phénomène, plusieurs raisons sont invoquées par les spécialistes, à commencer par la crainte des élèves de ne pas faire face aux évaluations à venir, et jusqu’aux modifications constatées dans leur programme quotidien, certains enfants qui vivent à la campagne étant entraînés par leurs parents à faire des travaux à la maison. En outre, certains lycéens ont choisi de chercher du travail rémunéré pour subvenir aux besoins de leurs familles, alors que les cours en ligne ne leur étaient pas accessibles. La reprise des cours en présentiel pour ces catégories d’enfants s’est ainsi avérée plutôt compliquée, le 8 février dernier, certains choisissant de ne plus retourner en classe.
Mihaela Nabăr, directrice à World Vision Roumanie, une organisation présente dans 92 pays, relève que les statistiques indiquent que près dun milliard denfants ont été touchés par la transition de l’éducation en présentiel vers léducation en ligne. Par rapport à la Roumanie, certains pays peuvent se targuer d’avoir mieux réussi le passage aux cours en ligne, alors que d’autres ont fait encore moins bien. Mihaela Nabăr :
« Il y a certes des pays qui ont été bien moins touchés par les conséquences de la pandémie, mais cela parce que leurs systèmes éducatifs respectifs ont été mieux préparés, qu’ils se sont avérés plus résilients. Notre capacité de résilience s’est également améliorée entre temps, et nous saurons sans doute mieux nous adapter, au besoin, à moyen ou à long terme, même si j’espère que ce ne sera pas nécessaire. Aussi, il est certain que d’autres pays ont fait bien mieux que nous pour assurer la continuité de la scolarité des enfants, alors que d’autres pays ont fait moins bien que nous, c’est un fait. »
Sans égard pour toutes ces considérations, une chose est sûre : l’école en ligne laisse des traces et affecte de manière conséquente les enfants, mais aussi leurs parents. L’anxiété, la déprime, les problèmes de vue, occasionnés par l’augmentation du temps passé devant un écran, sont là. L’absence du contact social laisse également des traces ; les petits s’avèrent moins sûrs d’eux, et manifestent des difficultés au niveau de l’expression orale.
(Trad. Ionut Jugureanu)