Les dangers des infox
Parmi les nombreux bouleversements qu’il a provoqués dernièrement, le nouveau coronavirus teste aussi la capacité de résistance de la société face à l’infox. Et, en effet, dès le début de la pandémie, les autorités de tous bords n’ont eu de cesse d’avertir les populations sur les dangers du bombardement informationnel ou mieux, sur la vague des fausses informations qui ne manquera pas d’accompagner la pandémie. Derrière la masse de ces informations fallacieuses se cache une forêt d’intérêts des plus divers, depuis le soutien aux thèses des militants anti-vaccins jusqu’aux intérêts politiques, en passant par la discréditation de telle personnalité pour laisser la place à telle autre.
Corina Cristea, 18.09.2020, 12:01
Parmi les nombreux bouleversements qu’il a provoqués dernièrement, le nouveau coronavirus teste aussi la capacité de résistance de la société face à l’infox. Et, en effet, dès le début de la pandémie, les autorités de tous bords n’ont eu de cesse d’avertir les populations sur les dangers du bombardement informationnel ou mieux, sur la vague des fausses informations qui ne manquera pas d’accompagner la pandémie. Derrière la masse de ces informations fallacieuses se cache une forêt d’intérêts des plus divers, depuis le soutien aux thèses des militants anti-vaccins jusqu’aux intérêts politiques, en passant par la discréditation de telle personnalité pour laisser la place à telle autre.
Le phénomène, et il fallait s’y attendre, n’a fait que prendre de l’ampleur avec l’essor des plateformes digitales. Ce qu’il faut souligner, c’est que l’infox ne désigne pas juste une nouvelle erronée, loin s’en faut. Et que la désinformation digitale n’a rien à voir avec le journalisme, comme l’explique sur les ondes de Radio Roumanie le professeur des universités Alina Bârgăoanu, experte au sein du Groupe de haut niveau pour la lutte contre les infox et la désinformation, groupe d’experts nouvellement constitué par la Commission européenne. Car l’écosystème de la communication, de l’information, a été profondément bouleversé ces dernières années, la digitalisation rampante disloquant le système des médias établis, relégués au rang des victimes collatérales par l’ascension fulgurante des plateformes digitales.
Alina Bârgăoanu : « Utiliser le terme anglais de fake news prête à confusion. Car ce terme présuppose l’existence d’une frontière entre le vrai et le faux, alors qu’il ne s’agit pas de cela. La désinformation en ligne n’est pas nécessairement, ou n’est pas seulement, en rupture de ban avec la vérité. Il s’agit d’une fraude, car elle utilise à notre insu notre profil personnel, nos données personnelles, la désinformation nous prend pour cible en utilisant les infos qui nous concernent, dénichées sur les plateformes numériques. »
Le danger consiste en cette manipulation à grande échelle, rendue possible par l’utilisation des algorithmes, les infox étant construites et lancées en prenant en compte nos centres d’intérêt et notre comportement, mis en évidence sur les plateformes digitales. A partir de là, les choses deviennent plutôt claires. Parce qu’il devient bien plus facile d’influer sur les opinions d’une personne que l’on connaît bien, puis de la faire résonner, voire devenir par la suite la caisse de résonnance des théories qui ne font que conforter ses propres angoisses et idées reçues. Dans cette équation, le couple Facebook/Google joue un rôle de premier plan, de par la quantité de données qu’il s’avère capable de récolter auprès des utilisateurs de ses services, mais aussi par sa capacité à disséminer une info à grande vitesse et en ciblant un nombre impressionnant d’utilisateurs, dont il avait dessiné au préalable le profil.
Des articles parus, émis par les services de sécurité israéliens, font état de leur capacité à estimer la disponibilité psychologique de certains à se faire sauter en l’air, en se basant juste sur des infos telles que le type et la quantité de chocolat que ces personnes consomment, assure Alina Bârgăoanu, dans sa tentative d’expliquer le phénomène des infox. Alina Bârgăoanu : « Infox ne se réfère pas à des nouvelles à proprement parler, ni à leur degré de vérité. Certes, les fausses nouvelles, cela existe et en fait partie, y compris du journalisme classique. L’on parle, dans ce dernier cas, d’erreurs ou encore de désinformation volontaire, mais l’infox s’adresse plus à nos affects, à nos émotions. Elles s’insinuent à travers les mèmes, les vidéos, les caricatures, les hashtags. L’on ne peut parler de quelque chose qui soit éminemment faux. Prenez un exemple : une info, qui peut être véridique au fond, devient une infox lorsqu’elle est amplifiée par les algorithmes, par les moteurs de recherche, entrant ainsi en compétition inégale avec une information tout aussi vraie, concurrente, mais qui demeure en revanche parfaitement inconnue du public. C’est ce que j’avais appelé la désinformation 2.0, pour souligner justement le caractère nouveau du phénomène, qui n’est rendu possible que par l’essor inimaginable des plateformes digitales, et qui n’a rien à voir avec le journalisme.
Pourtant, en Roumanie, nous sommes trop souvent tentés d’assimiler l’infox à une fausse nouvelle, poursuit le professeur des universités Alina Bârgăoanu :« Je crois que la distinction suprême est à faire entre ce qui devient, disons, viral, et ce qui n’arrive pas à l’être. Entre ce qui est rendu par les moteurs de recherche, et ce qui n’arrive pas à l’être. Entre ce qui est promu par Facebook et ce qui ne l’est pas. Car il existe des mécanismes qui font que Google peut choisir de mettre votre nom en première place quand on le cherche sur son moteur de recherche – ou en 100e place. Par une simple manœuvre, quelqu’un devient tout d’un coup une personnalité – ou personne. Or, je crois que lorsque l’on aborde le phénomène ample de la désinformation digitale, il faut éviter de poser le problème dans les termes de cette dialectique du vrai et du faux. Il faut plutôt aborder les bouleversements introduits par les plateformes digitales au sein de l’écosystème d’information. »
Pourtant, il n’est pas moins vrai que l’on retrouve souvent dans l’infox ce caractère alarmiste, une infusion d’informations qui interpellent et provoquent la révolte, qui génèrent des tensions, qui creusent des vulnérabilités, et qui mettent au final en danger des gens, des institutions, voire la cohésion sociale tout entière. Tout aussi inquiétant, c’est que l’infox poursuit son œuvre d’intox au profit de ses auteurs, alors même qu’elle est formellement démentie, même dans les faits. L’infox affecte profondément la capacité de jugement libre de ses victimes, sachant qu’un cerveau agressé en permanence devient vulnérable et sans défense face à la manipulation. Une manipulation devenue élément clé des guerres hybrides, et qui a donc forcément pour origine des acteurs étatiques. Des acteurs qui ne se privent pas le moins du monde de provoquer des changements au niveau du mental collectif, d’exciter le mécontentement, les sentiments de frustration, sinon la haine, pour arriver à leurs fins. Des fins qui risquent de se traduire par la montée en puissance des extrémismes, par l’essor des courants eurosceptiques et antioccidentaux, bouleversant de façon dramatique le paradigme géopolitique et de sécurité. (Trad. Ionut Jugureanu)