L’enseignement à distance
Eugen Coroianu, 08.05.2020, 13:33
La pandémie
provoquée par le nouveau coronavirus a profondément bouleversé l’ensemble des
activités humaines, obligées de s’adapter, ne fut-ce que provisoirement, à la
baisse des interactions sociales, réduites à leur plus simple expression
dernièrement. Chose inimaginable encore au début de l’année, le quotidien
d’aujourd’hui semble s’inspirer d’un film noir hollywoodien. Face à des gens,
confinés pour la plupart, isolés, déployant des ressources d’imagination pour
éviter tout contact humain, la vie sociale et les activités professionnelles
ont emménagé, tant bien que mal, en ligne.
Le virtuel a pris
la place de ce qu’était la réalité auparavant, il est devenu notre quotidien. Ce
virtuel, mis récemment encore sur la sellette, est devenu, du jour au lendemain,
le nouvel Eldorado. On y investit du temps, de l’argent, voire des émotions. Et
cette approche risque de perdurer, peut-être bien plus que la période de la
pandémie. Un monde nouveau s’est invité dans nos vies tambour battant, et la
manière dont il nous façonnera l’avenir reste encore à déceler.
Parmi les multiples facettes de notre quotidien bouleversé
par la pandémie et par ses contraintes, on retrouve l’enseignement, massivement
transféré sur les plateformes en ligne. Profs et élèves de tous âges, parents,
amenés parfois au bord de la crise de nerfs, ont tous dû réinventer de
nouvelles formes d’interaction, de nouvelles manières de communication afin de
poursuivre l’œuvre de l’éducation nationale. Si pour certains le changement est
allé de soi, d’autres peinent encore dans les limbes d’Internet. Les moyens
techniques et les ressources dont disposent certains ne sont sans doute pas
accessibles à tous. Et, en effet, il est à craindre que ces décalages, présents
dès le départ, ne donnent naissance à une école à plusieurs vitesses.
Pour essayer d’y voir plus clair, nous sommes allés à la
rencontre du président de l’Académie roumaine, le professeur des universités
Ioan Aurel Pop : « L’enseignement à distance, je ne le perçois qu’en tant que
solution d’urgence, forcément provisoire, limitée à la durée du confinement.
Cela ne devrait pas perdurer. Vous savez, depuis que l’école est apparue, du
temps des Grecs et des Romains, l’enseignement présuppose la présence physique
de l’enseignant, du maître d’école, du prof. Par conséquent, je ne suis pas
d’avis de poursuivre l’expérience de l’enseignement à distance au-delà du
strict nécessaire. Je ne pense pas que ce type d’enseignement ait de beaux
jours devant lui. Certes, il pourrait voir sa place mieux valorisée à l’avenir,
parce que ce type d’enseignement existait déjà, au niveau national, mais aussi
international, il se pourrait que certains choisissent de privilégier cette
forme d’enseignement, mais, pour ma part, je le répète, je demeure partisan de
l’enseignement classique, qui présuppose présence et contact, ce face-à-face
irremplaçable, le regard de l’élève dans les yeux du maître, ce contact qui
rend perceptible l’émotion que le maître essaye de transmettre. La transmission
du savoir, entre humains, se fait de la sorte, c’en est ainsi. »
Cependant, le ministère roumain de l’Education nationale
saute sur l’occasion pour former les profs à maîtriser l’outil et la technique
de l’enseignement à distance, compétences utiles pour des circonstances exceptionnelles,
telle celle que nous traversons dernièrement. Le curriculum de formation des
profs intègre ainsi des programmes de formation psychopédagogique, censés faire
acquérir aux profs les compétences nécessaires pour intégrer l’utilisation de
la technologie dans le processus d’enseignement et d’évaluation. Nombre
d’informations ont d’ores et déjà été mises en ligne, à la disposition des
enseignants, des élèves et des parents, les trois acteurs de l’enseignement à
distance.
Le ministère a
également consacré le principe de la présence des élèves aux cours dispensés en
ligne, réunis sur un portail dédié. Aux parents en revanche d’assurer les
conditions nécessaires. Même son de cloche chez le professeur Varujan
Pambuccian, informaticien et mathématicien connu, qui pense à son tour que le
système de l’enseignement à distance ne survivra pas au-delà de la période de
la pandémie : « Je ne vais pas trop miser sur le développement rapide de ce
système d’enseignement en ligne. Une fois la crise passée, nous nous retrouverons
dans l’ancien paradigme. Il ne s’agit pas de le souhaiter ou non. Finalement,
cela relève d’un état de nécessité. Certes, il se pourrait que l’on ait besoin
de remettre le couvert à l’avenir, il vaut donc mieux s’y préparer. Ecoutez,
sur la question de la numérisation, il y a eu des pays qui ont poussé les
choses en ce sens. Ils les ont trop poussées, et dans une mauvaise direction.
C’est mon avis. L’apprentissage c’est un processus social, le facilitateur,
c’est l’enseignant, c’est lui qui fait découvrir aux enfants ce que la société
souhaite qu’ils découvrent. Et la présence de ce facilitateur est essentielle
dans la dynamique du processus. Découvrir ensemble, participer au processus
social d’apprentissage, il s’agit là d’éléments essentiels, cela relève de
notre structure mentale, une structure qui n’a pas beaucoup évolué. Il faudrait
trouver des solutions pour transposer en ligne la réalité que l’on connaît,
celle qui est inscrite dans notre ADN culturel. Sinon, on peut tomber dans
l’admiration de ce système d’enseignement à distance très facilement, on peut
même essayer de forcer les choses, mais je parie que tout le monde va très vite
retrouver ses marques d’avant, parce que cela relève de notre structure
mentale, de notre cerveau. »
Par ailleurs, l’enseignement à distance, dispensé en ligne,
soulève une kyrielle de problèmes, parfois insurmontables, pour certains. En
effet, les associations mettent en exergue l’absence d’accès à Internet dans
certaines zones rurales et isolées, le manque de ressources des parents ou
encore les habilités très diverses des enseignants à maîtriser l’utilisation de
ces plateformes. Enfin, les moyens limités pour surveiller le travail des
élèves que permet l’utilisation de ces plateformes ou encore le support logistique,
parfois défaillant, que peuvent fournir les écoles, constituent d’autres
barrières importantes devant le succès de l’expérience.
Selon une étude réalisée pour évaluer ce domaine en
Roumanie, Zoom, WhatsApp, Google, Classroom et Facebook ont été les plateformes
les plus utilisées en l’occurrence. 36% des profs ont affirmé avoir suivi les
formations dédiées à l’utilisation des outils numériques. Seul un enseignant
sur cinq employait l’ordinateur portable avant la suspension des cours, alors
que 19% utilisaient le rétroprojecteur. Enfin, si un enseignant sur dix était
un habitué des plateformes digitales, moins de 7% faisaient appel aux manuels
numériques. Quant aux élèves, ils semblent jeter leur dévolu, dans l’ordre, sur
la plateforme de mathématiques, suivie par celle destinée à la langue et à la
littérature roumaine, puis à celles vouées à l’apprentissage des langues
étrangères. Bon à savoir. (Trad. Ionut Jugureanu)