Leçon d’histoire arménienne
« Au siècle dernier, notre famille humaine a traversé trois tragédies massives et sans précédent. La première, qui est largement considérée comme le premier génocide du XXe siècle, a frappé votre peuple arménien», a déclaré le souverain pontife en citant un document signé en 2001 par le pape Jean-Paul II et le patriarche arménien. « Les deux autres ont été commises par le nazisme et le stalinisme », a ajouté le Pape.
Corina Cristea, 30.04.2015, 19:20
Erevan soutient qu’un million et demi d’Arméniens, soit près de la moitié de la population arménienne de l’époque, ont été tués entre 1915 et 1917, à la fin de l’Empire ottoman. Toutes ces victimes ont été canonisées par l’Eglise arménienne.
En ce qui la concerne, la Turquie nie catégoriquement que lEmpire ottoman ait organisé le massacre systématique de sa population arménienne pendant la Première guerre mondiale et récuse le terme de « génocide » repris par lArménie, de nombreux historiens et une vingtaine de pays dont la France, lItalie et la Russie. Ankara a violemment riposté aux propos du Pape, en affirmant qu’il sagissait dune guerre civile dans laquelle 300 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort.
Le gouvernement turc a par ailleurs accusé certains membres du Parlement européen de « fanatisme religieux et culturel » en approuvant une résolution relative à la commémoration du génocide perpétré sous l’Empire ottoman et des déportations massives d’Arméniens. La diplomatie d’Ankara a, quant à elle, estimé que le Législatif européen tentait de réécrire l’histoire. Elle faisait référence à la résolution adoptée pour marquer les cent années écoulées depuis les événements de la Première Guerre Mondiale et qui appelle la Turquie, en sa qualité d’Etat successeur de l’Empire ottoman, à se réconcilier avec son passé et à reconnaître le génocide arménien.
Le professeur Constantin Hlihor a sa propre explication pour l’attitude de la Turquie : « Dans le droit international, un événement dramatique comme celui–ci a projeté une certaine image des Etats ayant mené ce type de politique, consistant à éliminer une ethnie, une nation. Une image très négative, compte tenu de ce qui s’est passé vers le milieu du siècle dernier, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Et je me réfère aux crimes commis par l’Allemagne hitlérienne contre les Juifs, par Hitler et par Staline contre son propre peuple. »
De l’avis de Constantin Hlihor, l’histoire devrait être le liant favorisant la stabilité et la coopération entre les nations et non pas un facteur déstabilisateur exhortant à la haine et à la confrontation. En parlant du drame des Arméniens, il faut prendre en compte deux aspects, précise Constantin Hlihor : « Le premier a trait à l’histoire. Il faut vraiment faire connaître la vérité sur la tragédie des Arméniens pendant la Grande Guerre. Le second aspect, qui suscite des divergences entre différents Etats, relève de la politique et se réfère à la manière dont on définit ces événements. Les Turcs n’acceptent pas l’idée de génocide, en arguant du fait que ce concept est apparu relativement tard dans le droit international, soit après la Seconde Guerre Mondiale, et qu’il concerne des événements historiques autres que ceux du début du XXe siècle. Quel que soit l’angle de vue, une chose est claire: dans le Caucase du sud, le peuple arménien, assujetti par l’Empire ottoman déclinant, a subi des drames que la mémoire collective ne peut et ne doit pas oublier. Par ailleurs, la dispute des historiographes, normale, quand il s’agit de trouver la vérité historique, ne doit pas revêtir de connotations politiques. Le rôle de l’histoire n’est pas celui d’éloigner les peuples et la vérité historique ne doit pas pousser les communautés humaines à des attitudes hostiles. L’histoire se doit d’être un liant, censé conduire à davantage de stabilité, de confiance et de coopération. »
Est-ce seulement une question d’image ou bien les éventuels dédommagements y sont-ils pour quelque chose? Voici la réponse du professeur Constantin Hlihor : « Un éventuel dédommagement pour les familles des victimes des événements tragiques qui avaient débuté dans la ville de Van et les Arméniens déportés dans le désert de Syrie ne relève pas de l’histoire, mais du droit international. Pour ce faire, l’Arménie ou quelqu’un d’autre devrait ouvrir un procès similaire à celui intenté après la Seconde Guerre Mondiale au régime nazi. Ce n’est qu’alors que l’on pourra parler de dédommagements. »
Titus Corlăţean, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel conseiller honoraire du premier ministre roumain, a réitéré le fait que la Roumanie encourage le dialogue entre la Turquie et l’Arménie sur ce sujet extrêmement délicat. Durant les événements tragiques d’il y a cent ans, organisations humanitaires, diplomates, médecins ou citoyens lambda sont venus en aide aux Arméniens contraints à l’exile. La Roumanie a été un des pays à avoir ouvert ses portes aux dizaines de milliers de réfugiés arméniens. (trad. Mariana Tudose)