Le phénomène Deepseek
Le modèle gratuit disponible de DeepSeek dépasse désormais la concurrence devenant l’application la plus recherchée de sur Apple Store aux Etats-Unis. C’est le moment « Sputnik de l’IA » a estimé Marc Andreessen, banquier spécialisé de la Silicon Valley et conseiller du président Donald Trump
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Corina Cristea, 21.02.2025, 11:00
Des géants américains de l’IT s’effondrent face à DeepSeek
Les cotations de plusieurs géants américains des nouvelles technologies, dont Nvidia, Microsoft et Meta, se sont effondrées en bourse au mois de janvier dernier après le lancement réalisé par la société chinoise DeepSeek de son modèle d’intelligence artificielle aux performances comparables aux meilleurs agents conversationnels américains, dont le déjà célèbre ChatGPT.
Une prouesse technologique obtenue à un coût dérisoire rapporté aux sommes investies par les géants américains de nouvelles technologies. Le modèle gratuit disponible de DeepSeek dépassait ainsi rapidement la concurrence devenant l’application la plus recherchée de l’App Store Apple aux Etats-Unis. C’est le moment « Sputnik de l’IA » a estimé Marc Andreessen, banquier spécialisé de la Silicon Valley et conseiller du président Donald Trump.
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette révolution, nous avons approché Florin Zeru, spécialiste en communication stratégique à l’Ecole nationale d’Etudes politiques et administratives de Bucarest :
« L’heure de gloire de DeepSeek est une sorte de boîte de Pandore. Un modèle en source libre, accessible, extrêmement performant et attrayant, mais qui peut comporter des risques bien cachés. Un modèle d’IA aux vertus et aux risques similaires des ceux que comportait la boîte de Pandore dans la mythologie grecque. Une boîte capable, une fois ouverte, de libérer une foule d’effets bénéfiques et malfaisants à la fois. Le modèle open source de DeepSeek, son efficacité remarquable construisent son attraction. Seulement, il nous sera impossible de refermer cette boîte une fois qu’on l’a ouverte. Car ce modèle extrêmement puissant, accessible à tout un chacun, devient un instrument que plus personne ne pourra dorénavant ni arrêter, ni contrôler. Car malheureusement DeepSeek a son talon d’Achille. En effet, en faisant appel à certaines instructions spéciales appelées en langage de spécialité des Jailbreak prompt, soit des briseurs de chaînes, n’importe quel utilisateur peut contourner les limitations et les règles éthiques préprogrammées par le constructeur. Aussi, si dans les mains des chercheurs bien intentionnés DeepSeek serait en mesure d’accélérer leurs recherches pour obtenir de nouvelles molécules et résoudre des problèmes complexes, dans les mains des gens malintentionnés il pourra faciliter la désinformation, créer des codes pour de nouveaux virus informatiques, planifier des attaques dans la vie réelle. Bref, c’est offrir un kalashnikov à tout un chacun, sans se soucier des capacités des usagers à utiliser l’arme à bon escient ».
Même performance à des coûts inférieurs
Mais là où le bât blesse c’est le coût mille fois moindre qu’a investi la société chinoise par rapport à ses concurrents américains pour obtenir en gros le même produit d’intelligence artificielle. Comment est-elle parvenue ?
Florin Zeru : « DeepSeek est le symbole des ambitions chinoises qui entend s’ériger en leader mondial dans le domaine de l’intelligence artificielle. C’est le symbole des ambitions de Pékin, décidé à combler rapidement le décalage technologique qui sépare encore la Chine des Etats-Unis. Jusqu’au moment du lancement de ce produit, ces derniers avaient une longueur d’avance dans le domaine grâce à leurs sociétés phares : OpenAI, Google, Microsoft. DeepSeek est venu rabattre les cartes. »
Les données collectées sont stockées sur des serveurs chinois
L’exploit de DeepSeek est d’autant plus marquant que les Etats-Unis ont fait des mains et des pieds depuis des années pour empêcher l’accès de la Chine aux micropuces de dernières générations. Mais le souci majeur des spécialistes tient à ce petit détail : les données collectées sont stockées sur des serveurs chinois, qui se trouvent entre les mains de deux autres compagnies chinoises, comme le précise DeepSeek.
Pour comprendre la mise de cet élément, nous avons approché Flavia Durach, spécialiste en communication :
« Il ne s’agit pas seulement de ce que nous savons au sujet d’un utilisateur DeepSeek, mais de son profil général d’utilisateur d’internet. Certes, l’on peut espionner ainsi un individu à son insu. Mais plus encore, dans le cadre de cette compétition qui est de mise entre les Etats, ce sont les grandes tendances, la maîtrise de grands nombres qui est recherchée. Les informations ainsi recueillies peuvent certes servir au producteur et l’aider à améliorer son produit, mais elles peuvent aussi être recueillis à des fins moins avouables, et servir à des tentatives de manipulation, pour orienter l’opinion publique, pour orienter le vote, pour falsifier la volonté populaire, le libre arbitre. Décortiquant le profil, le comportement, les préférences, ce n’est pas sorcier. »
Mais les profils individuels peuvent à leur tour devenir la cible des tentatives des vols d’identité, des vols de données personnelles, de différents types de fraudes, rappelle Flavia Durach. En tous les cas, mettre la main sur des données personnelles c’est détenir une arme extrêmement puissante.
(Trad. Ionut Jugureanu)