Le droit de la force versus la force du droit
Dans un contexte de grande instabilité sur la scène internationale, l’idée d’une réinitialisation de l’ordre mondial revient de plus en plus souvent dans les débats.

Corina Cristea, 04.04.2025, 10:23
Nous assistons, selon de nombreux experts, à l’effondrement de certains piliers sur lesquels reposait l’équilibre global. Mais quel rôle joue, dans cette équation, l’imprévisibilité de l’administration Trump, qui s’est manifestée dès les premiers jours de son mandat ? Taxes douanières renforcées contre le Canada, le Mexique, la Chine et l’Union européenne, proposition d’annexer le Groenland, retrait des États-Unis de l’OMS et de l’accord de Paris sur le climat, positionnements déroutants face à Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine… Autant de décisions qui ont bousculé les certitudes, au point de donner le sentiment que le monde tel que nous le connaissions n’existe plus.
Vers un nouvel ordre mondial
Dans le domaine des relations internationales, cette instabilité marque le passage vers un nouvel ordre mondial, apprécie le professeur des universités Andrei Țăranu :
« Jusqu’à présent, nous étions habitués à un monde dominé par une seule superpuissance, les États-Unis. Aujourd’hui, l’on s’oriente vers un monde multipolaire. Et pour la première fois, Washington accepte cette réalité. L’on assiste même à une reconnaissance tacite de la Russie comme interlocuteur majeur, tandis que la Chine devient, aux yeux des Américains, le grand rival à contenir. Nous nous trouvons dans une période de transition où les équilibres sont bouleversés. »
Un constat partagé par Bloomberg, qui écrivait en février 2023, un an après l’invasion russe en Ukraine : « Ce conflit accélère la reconfiguration de l’ordre mondial, avec les États-Unis et la Chine en principaux acteurs d’un nouvel équilibre marqué par des tensions géopolitiques rappelant la Guerre froide. »
La confrontation entre le monde démocratique et le monde autoritaire se précise de plus en plus. Mais cette lecture bipolaire est-elle encore pertinente, alors que Moscou et Washington semblent parler d’une même voix sur certaines grandes questions, en rupture avec les positions européennes ?
Aussi, dans un discours à l’Assemblée nationale le Premier ministre français François Bayrou n’a pas hésité à employer des mots forts : « Nous assistons à une alliance impensable entre Poutine et Trump, qui marginalise l’Europe sur son propre territoire. » Et François Bayrou d’ajouter : « La loi du plus fort remplace celle du droit, alors que les Européens n’ont pas été préparés à un tel changement. »
Une Union européenne plus forte?
Face à cette recomposition, l’Union européenne doit-elle muscler sa posture sur la scène internationale ? Le professeur Iulian Chifu, spécialiste des conflits, analyse cette évolution :
« Nous revenons à une politique de puissance brutale, où le rapport de force prime sur les principes. Cette dispute entre le droit de la force et la force du droit a, certes, depuis toujours existé dans les relations internationales. Mais aujourd’hui l’on assiste à un retour au réalisme pur et dur d’un Donald Trump nouvelle version, où les grandes puissances négocient entre elles aux dépens des plus petites. La Russie est d’ores et déjà passée du coté du droit de la force en 2014. L’on assiste à un changement majeur de paradigme, où l’on voit les grandes puissances faire sauter les verrous du droit, faire fi des règles convenues, qu’elles estiment limiter indûment leur potentiel de développement. Et l’on n’est qu’au début de ce bouleversement. »
Quant à l’Europe, si elle veut peser sur la scène internationale, poursuit le professeur Chifu, elle doit impérativement se doter d’une force militaire cohérente pour accompagner et défendre ses valeurs et ses principes. Car dans le monde nouveau de Donald Trump il n’y a que le droit de la force qui pèse, les intérêts de grandes puissances qui prévalent et seuls les marchandages entre ces dernières feront la loi. Pendant ce temps, le conflit en Ukraine se poursuit. Donald Trump, qui assurait pouvoir stopper la guerre en 24 heures, n’a pour l’instant rien changé à la donne. Quant à Vladimir Poutine, malgré son statut de présumé criminel de guerre selon la Cour pénale internationale, il maintient la pression militaire sur Kiev, ajoutant de nouvelles exigences qui compliquent davantage toute issue diplomatique. (Trad Ionut Jugureanu)