La Roumanie sur le marché du gaz naturel
Censé devenir opérationnel au premier trimestre 2016 et fonctionner à pleine capacité deux années plus tard, le gazoduc South Stream reliera le littoral russe à celui bulgare, en passant sous les eaux territoriales turques en Mer Noire, tandis que ses ramifications traverseront la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Grèce, la Slovaquie, la Croatie et l’Autriche. Grâce à ce pipeline, projeté pour acheminer une quantité annuelle de 63 milliards de mètres cubes de gaz, aussi bien le fournisseur, la Russie, que les Etats bénéficiaires, souhaitent réduire leur dépendance des pays de transit, dont notamment l’Ukraine.
Corina Cristea, 03.01.2014, 13:53
En 2006 et 2009, des divergences avec Moscou avaient poussé Kiev à arrêter les livraisons de gaz russe vers les pays européens. Les considérant comme une violation de la législation communautaire, la Commission européenne a demandé la renégociation des accords bilatéraux de construction du gazoduc South Stream conclus par la Russie avec les Etats membres de l’UE ainsi qu’avec la Serbie, pays qui n’a pas ce statut, mais qui fait partie de la Communauté européenne.
Bruxelles a identifié trois problèmes. Premièrement, la législation européenne n’accepte pas que les outillages de production et le réseau de transport aient un seul et unique propriétaire, Gazprom en l’occurrence. Deuxièmement, il faut garantir que d’autres opérateurs puissent y avoir accès aussi. Troisièmement, les tarifs doivent être précisés. Le géant gazier russe Gazprom s’est dit surpris et déçu par la recommandation de la Commission européenne. En invoquant l’accord conclu pour faire excepter le projet North Stream du Troisième paquet énergie de l’UE, Gazprom considère que cet autre projet qu’est South Stream pourrait lui aussi bénéficier d’une telle exception.
Le Troisième paquet énergie, qui réglemente le marché communautaire du gaz et de l’électricité, prévoit pour l’essentiel la séparation des activités de production et de distribution de l’énergie. Le texte stipule aussi la mise en place d’une autorité nationale de régulation dans chaque Etat membre et d’une agence pour la coopération des autorités chargées de réglementer le domaine de l’énergie.
South Stream est un projet en grande partie politique et géopolitique, estime l’analyste Vladmir Socor, qui met en garde contre un aspect: «Un des objectifs du projet South Stream est de créer un précédent d’infraction à la législation européenne sur le marché de l’énergie. Le troisième paquet de la législation européenne concernant le marché des gaz naturels prévoit l’obligation de séparer le gazoduc du fournisseur. C’est à dire le fournisseur de gaz ne peut pas être aussi le propriétaire du gazoduc. Le modèle du projet South Stream repose sur la copropriété du gazoduc, formée de la compagnie Gazprom et de l’Etat d’accueil. Dans chaque Etat hôte du projet, Gazprom est copropriétaire du gazoduc aux côtés de l’Etat en question — une situation explicitement interdite par le troisième paquet de la législation européenne. La Russie veut mettre ces pays en conflit avec l’UE.
Ce qui plus est, la Russie veut créer ici un précédent afin de protéger les gazoducs dont elle est déjà propriétaire ou copropriétaire aux côtés d’autres Etats de l’UE, à savoir l’Allemagne, en tout premier lieu, et puis dans une certaine mesure la Belgique et les Pays-Bas, et dans une moindre mesure la Pologne et les pays baltes. Mais la cible principale est l’Allemagne. Dans tous ces pays, Gazprom détient, entièrement ou partiellement, des gazoduc d’approvisionnement et de transit, ce que le troisième paquet interdit. Gazprom sera obligé de vendre ces participations à la propriété de gazoducs.
Si, Gazprom parvient toutefois à instituer dans les pays participants au South Stream une situation où, l’UE, accepte, bon gré, mal gré, cette infraction à sa législation, alors Gazprom gagnera de l’immunité en Allemagne, Belgique, aux Pays-Bas, en Pologne et dans les Etats baltes. C’est pourquoi Gazprom souhaite attirer les pays de South Stream dans ce jeu. Et je me félicite que la Roumanie ne se soit pas laissée entraîner dans ce jeu. »
Bucarest a misé sur Nabucco — un projet bénéficiant de l’appui politique de l’UE et qui visait à fournir du gaz extrait de la Mer Caspienne afin de réduire la dépendance de l’Europe du gaz importé de Russie, via Gazprom. L’Azerbaïdjan a pourtant décidé de transporter son gaz naturel par le gazoduc TAP (Grèce, Albanie, Italie), qu’il a préféré à Nabucco (Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Autriche). La Roumanie a-t-elle fait une erreur en jouant la seule carte du projet Nabucco? Vladimir Socor explique : « Du point du vue du gaz naturel, la Roumanie se retrouve dans une situation meilleure que la Bulgarie ou la Hongrie, ou même l’Autriche, puisque sa dépendance du gaz en tant que source d’énergie est inférieure à la dépendance des exportations russes. La Roumanie dispose de gisements de gaz dans le plateau transylvain. South Stream a apporté peu de bénéfices. Ce projet aurait surtout augmenté la dépendance vis-à-vis de la Russie, qui aurait été copropriétaire du gazoduc aux côtés de l’Etat roumain. Ce projet aurait pu donner à la Russie des instruments d’influence supplémentaires. La Roumanie aurait pu se retrouver dans un conflit direct avec l’UE. South Stream n’est pas un projet d’approvisionnement en gaz. »
On peut donc conclure que l’échec de Nabucco ne fait que confirmer le fait que la Russie a préservé entièrement ses capacités d’acteur de premier rang dans la Caspienne. (trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)