La Roumanie et la sécurité dans la région de la mer Noire
Newsroom, 02.10.2020, 08:12
Crayonné par les
participants au Forum de sécurité dans la région de la mer Noire et des
Balkans, organisé à Bucarest par New Strategy Center, le tableau régional fait
état d’une situation plutôt inquiétante, qui comprend la liste étoffée des
conflits gelés, mais qui peuvent s’embraser à tout moment, l’inquiétude
provoquée par la proximité géographique du Moyen-Orient, une mer Noire fortement
militarisée, la situation économique fragile qui est celle des pays de la
région, à quoi s’ajoute un déficit en termes de connectivité entre ces mêmes pays
ainsi que d’anciennes inimitiés, des incidents maritimes récurrents et des
disputes territoriales. Autrement dit, un tableau plutôt sombre, caractérisé
par un certain nombre de risques à l’issue incertaine. Les débats autour des
risques qui planent sur la sécurité de la région, les menaces et les
vulnérabilités qui caractérisent cette partie du monde au niveau sécuritaire
ainsi que sur les méthodes de lutter contre ces défis ont mis en évidence combien
la région de la mer Noire et des Balkans risque de projeter ses problèmes sécuritaires
sur d’autres parties du monde, pouvant affecter en égale mesure aussi bien l’UE
que l’Alliance de l’Atlantique Nord.
En effet, cette
région s’est progressivement révélée comme l’une des plus vulnérables de
l’OTAN, une région où la crédibilité de l’Alliance et sa posture de défense et
de dissuasion sont le plus souvent mises à rude épreuve, comme l’a souligné le ministre
roumain de la Défense, Nicolae Ciucă : « L’OTAN s’est beaucoup investi ces six dernières années, et à juste
raison, dans la zone des pays baltes, renforçant ainsi la sécurité de ses
membres qui partagent une frontière commune avec la Fédération de Russie. Il
s’agit notamment des pays baltes et de la Pologne. Il n’en reste pas moins
qu’il y a beaucoup à faire également dans la région élargie de la mer Noire. Comment
avoir un plus de sécurité dans la mer Noire ? La réponse est claire : il
faut renforcer la capacité et la posture alliée dans la région ».
Le
ministre roumain a expliqué que l’attitude agressive de la Russie, la
militarisation croissante du bassin de la mer Noire et de la péninsule de
Crimée, annexée illégalement par la Russie, ainsi que nombre de conflits gelés font
de cette région une importante source de risques de sécurité non seulement pour
la région et l’Europe, mais aussi pour celle de la Méditerranée et pour le
Moyen-Orient. L’une des conclusions qui s’est dégagée de la réunion de Bucarest,
c’est, d’autre part, que la réalité actuelle indique une dispersion importante
de ce qu’est la défense commune européenne et un nombre limité de projets menés
en commun en ce sens. Or, le développement d’une défense commune européenne
demeure un processus irréversible, alors que les projets développés sous la
bannière de la Coopération structurée permanente offrent l’opportunité d’une
interopérabilité des capacités de défense des Etats membres de l’UE.
Explications
avec la secrétaire d’Etat roumaine à la Défense, Simona Cojocaru : « Les projets menés sous l’égide de la
Coopération structurée permanente répondent aux attentes de l’UE concernant le
développement des capacités de défense, l’accroissement de la cohésion
stratégique dans ce domaine, et peuvent accroître la coopération opérationnelle
au niveau de l’Union. Le ministère roumain de la Défense estime que le Fonds
européen de défense contribuera à accroître la résistance de l’Union aux
vulnérabilités et aux risques, en réduisant notre dépendance de sources extra
européennes. Le Fonds va par ailleurs raffermir les chaînes industrielles d’approvisionnement
dans le domaine militaire. La crise du Covid-19 a montré combien il était
important de ne pas être dépendants en ce qui concerne les technologies
critiques dans le domaine de la défense ».
L’autonomie
stratégique représente l’un des concepts clés, dont l’importance a été
soulignée pendant la réunion. Autonomie stratégique ne veut pas dire isolement,
mais seulement que l’Europe doit pouvoir prendre les meilleures décisions, en
toute autonomie, quand il s’agit de sa propre sécurité. Seulement, l’Union
devrait renforcer sa présence dans le bassin de la mer Noire, garder un œil sur
son voisinage proche, avec une multitude de sources potentielles d’insécurité,
présentes dans ces zones. Et la région de la mer Noire n’est certainement pas
exempte de ce genre de risques, à commencer par le conflit ouvert présent à la
frontière est de l’Ukraine, en passant par l’annexion illégale de la Crimée par
la Russie, et jusqu’à la militarisation croissante de la mer Noire, selon le
chef de la diplomatie de Bucarest, Bogdan Aurescu.
Le ministre roumain avait aussi abordé le
problème de la connectivité, devenu un domaine de compétition stratégique plutôt
que de coopération, soulignant combien les chaînes européennes
d’approvisionnement demeurent tributaires aux régions extra européennes. Bogdan
Aurescu a par ailleurs mis en garde les participants eu égard aux risques
induits par ce qu’il a appelé l’« infodémie ». Il s’agit de
l’offensive massive des infox, de cette épidémie de la désinformation, où tout
devient géopolitique, depuis les traitements et jusqu’à la perception des
effets des vaccins, en passant par les informations fournies par les
scientifiques et l’expertise, et jusqu’aux vies privées et aux convictions des
citoyens. La pandémie a d’ailleurs mis un exergue un risque de sécurité
antérieurement sous-estimé – la dépendance européenne en matière de matériel et
de médicaments produits en dehors de l’Union, un sujet qui se retrouvera d’ailleurs
en tête de liste de l’agenda du prochain Conseil européen. Certaines réalités,
auparavant abordées seulement par les milieux académiques, se voient durement
confirmées par la réalité. C’est ainsi que le concept de sécurité voit son champ
d’application s’étendre, sous les effets de la pandémie, à des domaines qui n’étaient
pas pris en compte auparavant.
Daniel Dăianu,
président du Conseil fiscal de Bucarest, explique : « La pandémie ne
s’essouffle pas. Son impact sanitaire et économique est particulièrement
sévère. Nous allons assister, selon moi, à un retour en force de la présence de
l’Etat, parce que c’est à l’Etat que l’on fait appel en dernier ressort. C’est
un retour qui n’est pas dépourvu d’ironie, dans le contexte où beaucoup
souhaitent encore un Etat minimal. Mais l’impact de la pandémie, il faut le
comprendre au carrefour entre plusieurs défis : le changement climatique,
perçu en tant que danger existentiel, l’impact des nouvelles technologies, et
celui de l’intelligence artificielle. Et puis, des pandémies, nous en aurons
d’autres ».
Et Daniel
Dăianu pense aussi que tout ce qui relève du domaine de la santé publique
devient progressivement une question de sécurité nationale. Car compter un taux
important de sa population infecté, malade, cela ne peut qu’avoir des
conséquences lourdes en termes économiques, sociaux, politiques et géopolitiques. (Trad.
Ionut Jugureanu)