La longue marche de la Roumanie vers l’espace Schengen
Le rêve de la Roumanie et de la Bulgarie de faire rapidement partie de
l’espace Schengen a été arrêté net par le véto opposé par l’Autriche lors du
dernier conseil Justice et Affaires intérieures de l’UE. Pourtant, à peine
quelques jours avant la réunion, les autorités de Bucarest semblaient soulagées
d’avoir obtenu l’aval des Pays-Bas, après des années de combat acharné de la diplomatie
roumaine contre l’opposition de ce pays à l’adhésion de la Roumanie à l’espace
Schengen. La volte-face autrichienne fut perçue dans le contexte encore plus
mal. Prétextant des vagues déferlantes d’immigrés, Vienne est demeurée
inflexible. Mais son véto ne manqua pas de faire des remous à Sofia et à Bucarest,
mais également à Bruxelles.
Corina Cristea, 23.12.2022, 05:55
Le rêve de la Roumanie et de la Bulgarie de faire rapidement partie de
l’espace Schengen a été arrêté net par le véto opposé par l’Autriche lors du
dernier conseil Justice et Affaires intérieures de l’UE. Pourtant, à peine
quelques jours avant la réunion, les autorités de Bucarest semblaient soulagées
d’avoir obtenu l’aval des Pays-Bas, après des années de combat acharné de la diplomatie
roumaine contre l’opposition de ce pays à l’adhésion de la Roumanie à l’espace
Schengen. La volte-face autrichienne fut perçue dans le contexte encore plus
mal. Prétextant des vagues déferlantes d’immigrés, Vienne est demeurée
inflexible. Mais son véto ne manqua pas de faire des remous à Sofia et à Bucarest,
mais également à Bruxelles.
Des représentants du Parlement et de la Commission européenne firent en
effet part de leur déception face à la position autrichienne. Même le président
autrichien, Alexander Van der Bellen, s’est délimité de la position de son
Exécutif, dirigé par le chancelier Karl Nehammer. « Je
regrette profondément cette décision qui bloque l’adhésion de la Roumanie et de
la Bulgarie à l’espace Schengen », avait-il déclaré, alors même qu’il
reconnaissait les difficultés rencontrées par l’Autriche dans la gestion d’un
afflux de plus en plus important de demandeurs d’asile. Bloquer Schengen n’est
cependant pas la panacée, avait-il prévenu.
De son côté, le principal responsable du véto autrichien, le chancelier
Karl Nehammer, réfute en bloc, sur la principale chaîne publique de son pays,
les insinuations des ceux qui l’accusent de faire le lit de l’extrême droite et
de poursuivre des objectifs de politique intérieure par la position de son
gouvernement à l’égard de l’élargissement de l’espace Schengen à la Roumanie et
à la Bulgarie, se contentant de mettre en avant dans son interview les 75.000
immigrés illégaux sur les 100.000 rentrés au pays, et dont une bonne partie
aurait,selon le chancelier autrichien, transité la Bulgarie et la Roumanie.
Pour sa part, le premier-ministre roumain Nicolae
Ciucă trouve la position de l’Autrichecomplètement injustifié : « L’ensemble
des Etats européens se sont accordés d’ouvrir aux Roumains l’accès à l’espace
Schengen, reconnaissant les efforts consentis par la Roumanie pendant des
années pour renforcer ses frontières, et pour protéger les frontières
européennes. Tous, avec une seule exception : l’Autriche. Dès lors,
l’unanimité européenne nécessaire en cette matière a volé en éclats. L’Autriche
avait fondé sa position en mettant en avant toute une série d’allégations et
des chiffres, qui se sont avérées fausses. Nous avons démonté les chiffres
avancés par l’Autriche, utilisant pour ce faire les données recueillies par les
agences de l’UE. Par ailleurs, nous reconnaissons les difficultés auxquelles
sont confrontées les Etats membres qui deviennent la cible des flux migratoires,
et nous avons toujours essayé de trouver ensemble des solutions, et de nous
montrer solidaires dans le contexte européen. De ce fait, nous ne pouvons que
regretter la position inflexible de l’Autriche ».
Pour comprendre
quelles sont les conséquences de la non admission de la Roumanie à l’espace Schengen
pour notre économie, nous avons invité à l’antenne Mihai Ionescu, président exécutif de l’Association nationale des exportateurs
et des importateurs de Roumanie et coprésident du Conseil roumain à
l’exportation.
Mihai Ionescu : « Vous savez, il y
a tout d’abord l’effort financier consenti pour sécuriser nos frontières avec
l’espace non communautaire. Il s’agit d’investissements qui s’élèvent à des
milliards d’euros. Et voilà que maintenant, malgré tout, la Roumanie est laissé
hors l’espace Schengen, à cause d’un véto parfaitement illogique et en dépit du
constat unanime des organismes spécialisés, qui avaient souligné que la
Roumanie remplissait entièrement les conditions techniques nécessaires à
l’adhésion. Et cette situation affecte grandement nos exportations et nos
importations. Chaque poids lourd attend des heures aux frontières. Or, chaque
heure perdue c’est de l’argent jeté par la fenêtre, et cela se traduit par la
baisse de compétitivité de nos produits et de nos entreprises sur les marchés
étrangers. Il s’agit d’une sorte d’entrave au commerce, mise en cause par
ailleurs par l’Organisation mondiale du Commerce, une barrière artificielle,
érigée pour des raisons politiques, et qui participe à la hausse du déficit
commercial de la Roumanie. Cette année, notre déficit commercial de s’élève à
33 milliards d’euros, soit 1.500 euros par tête d’habitant. Une charge importante,
reportée en partie sur les épaules des générations futures. Et tout cela,
pourquoi ? Pour que quelques politiciens, mus par leurs seuls intérêts de
nature politique intérieure, se jouent de nous. Pour preuve, prenez l’ensemble
des réactions, non seulement des Roumains, mais encore de nos partenaires de
l’UE, parfois des Autrichiens même ».
L’économie roumaine pourrait en effet subir une perte sèche de dix milliards
d’euros par an tant que la Roumanie demeure hors l’espace Schengen, avait pour
sa part estimé le ministre de l’Economie Florin Spătaru.
Mais les autorités roumaines montent au front,
et continuent de chercher des solutions constructives face au blocage
autrichien, décidées d’utiliser tous les mécanismes qui sont à leur disposition
pour y parvenir.
Le président roumain, Klaus Iohannis : « Ce vote, aussi décevant qu’il soit, ne me
fera pas reculer. Je reste personnellement investi dans ce dossier, et décidé
de faire avancer les choses jusqu’à ce que la Roumanie devienne membre à part
entière de l’espace Schengen ».
Enfin, selon un sondage d’opinion diligenté par l’Académie roumaine juste
avant la réunion du Conseil JAI, près de 78% des Roumains considèrent que la
Roumanie est traitée par ses partenaires européens comme un Etat de seconde
zone de l’UE, et près de 70% des répondants apprécient que la Roumanie remplit
l’ensemble de ses engagements, et qu’elle parviendra un jour à faire partie de
l’espace Schengen de l’UE. (Trad. Ionut
Jugureanu)