L’ Ukraine et les droits des minorités ethniques
Corina Cristea, 07.03.2014, 15:05
Les plus de 400 mille Roumains forment la deuxième plus grande communauté ethnique d’Ukraine, après celle russe. Le Parlement de Kiev vient d’abroger une loi datant de 2012, soit de l’époque du président déchu Viktor Ianoukovitch.
Le texte en question fixait le cadre légal pour une utilisation élargie des langues des minorités. Il y était stipulé que l’ukrainien est la seule langue officielle, tout en garantissant l’emploi des langues régionales. La loi mentionnée autorise l’usage de ces langues dans les milieux des affaires, les écoles, mais aussi dans d’autres domaines. Son adoption a figuré parmi les points forts de la campagne électorale de Ianoukovitch. Encore qu’abrogé, le texte législatif d’il y a deux ans est toujours en vigueur, raison pour laquelle le nouveau président ukrainien par intérim a décidé de ne pas promulguer le décret d’abrogation.
Bogdan Aurescu, secrétaire d’Etat aux affaires stratégiques du Ministère roumain des affaires étrangères, explique: « L’adoption de cette loi prévoyant l’abrogation de la législation sur les langues régionales ou minoritaires a été sans aucun doute une erreur stratégique du gouvernement nouvellement installé en Ukraine, ce qui a suscité les critiques aussi bien de la Roumanie que de beaucoup d’autres Etats et institutions européennes et non seulement. Certes, la décision du nouveau président ukrainien par intérim de ne pas promulguer la loi sur l’annulation de ce texte est une chose positive, tout comme l’intention d’adopter une nouvelle législation. Nous avons directement sollicité à la partie ukrainienne, y compris lors du dernier entretien téléphonique entre le chef de la diplomatie roumaine et son homologue ukrainien, que cette nouvelle législation soit adoptée aussitôt que possible et – chose importante- avec la consultation de la minorité roumaine et l’assistance de la Commission de Venise et du haut commissaire de l’OSCE pour les minorités ethniques. Les deux institutions ont, par le passé, émis des avis critiques à l’égard du texte de la loi sur les langues régionales et minoritaires et cette défaillance doit être remédiée. Ce que nous souhaitons c’est que la nouvelle législation en Ukraine respecte entièrement les normes européennes en la matière. »
Selon la loi en vigueur depuis août 2012, le russe a le statut de langue régionale dans des zones où il représente la première langue d’au moins 10% de la population, soit dans 13 des 27 régions ukrainiennes, alors que le roumain ne jouit de ce statut que dans la ville de Cernauti et dans la région de Transcarpatie. Un groupe de travail réunissant aussi des linguistes, philologues et experts en problèmes sociaux a été mis en place à Kiev afin de préparer une nouvelle législation dans le domaine. « L’ukrainien est la langue nationale, mais il n’y aura aucune restriction de langue, nationalité, ethnie et religion. Nous avons un gouvernement démocratique qui garantit les droits pour tout le monde », a assuré le président par intérim, Oleksandr Tourtchinov, à propos de la loi en cours d’élaboration. La position de la Roumanie sur la situation en Ukraine a été ferme et en accord avec celle des chancelleries occidentales. Quels sont les effets socio-économiques de la crise en Ukraine sur la Roumanie ?
Bogdan Aurescu: En ce qui concerne les aspects à caractère social, nous avons constaté que ces derniers temps, y compris sur fond de violences à Kiev, on n’a pas enregistré une hausse du nombre de visas sollicités par les Ukrainiens auprès des représentations consulaires et diplomatiques roumaines dans ce pays. D’un point de vue économique, on ne saurait ne pas remarquer le fait que le volume des échanges commerciaux roumano – ukrainiens a connu une forte progression en 2013. Ainsi, le volume des exportations roumaines a-t-il augmenté de 18%, tandis que celui des importations a progressé de 8,1%, le montant total des échanges s’étant chiffré à 1,8 milliards de dollars. Or, lorsqu’une crise économique ou sécuritaire apparaît dans un espace proche de la Roumanie, il est évident qu’il existe des risques pour l’économie des Etats voisins. Heureusement, le fait que la Roumanie ait connu au troisième trimestre 2013 la croissance la plus élevée parmi les États membres de lUE, à savoir de 3,5%, représente actuellement une sorte de garantie de la stabilité de son économie. On a vu, ces derniers jours, que les bourses européennes ont ressenti les retombées des événements en Ukraine. Aux dires des experts financiers, certaines devises nationales en ont été touchées, le prix du pétrole et de l’or a grimpé et ces évolutions sont à mettre aussi sur le compte des affrontements dans l’Ukraine voisine.”
Fort préoccupée par la situation dans ce pays, la Roumanie estime nécessaire que la communauté internationale prête assistance à Kiev, par le biais du FMI et d’autres institutions financières mondiales et ce dans les conditions d’une étroite coordination entre Washington et Bruxelles. (trad. : Mariana Tudose, Alexandra Pop, Ioana Stancescu)