D’autres conséquences de la guerre en Ukraine
La guerre militaire menée par la Russie contre l'Ukraine s'accompagne d'une guerre économique non moins dommageable, qui cible actuellement en priorité l'exportation des céréales ukrainiennes, principale source de devises pour ce pays en guerre.
Corina Cristea, 13.10.2023, 09:42
A deux pas de la
frontière roumaine, la guerre déclenchée par la Russie à l’Ukraine il y a déjà plus
d’un an et demi depuis bat son plein, et semble encore loin d’une issue
espérée. En effet, les attaques des drones russes, la plupart d’origine
iranienne, qui visent l’infrastructure portuaire de l’Ukraine ne cessent de
s’intensifier, certains fragments de ces appareils ayant franchi dernièrement
la frontière, pour se retrouver du côté roumain. Car la guerre militaire menée
par la Russie contre l’Ukraine s’accompagne d’une guerre économique non moins
dommageable, qui cible actuellement en priorité l’exportation des céréales
ukrainiennes, principale source de devises pour ce pays en guerre.
George
Scutaru, directeur-général de l’institut New Strategy
Center explique :
« La Russie a transformé les céréales
ukrainiennes en arme de guerre, non seulement contre l’Ukraine, mais encore
contre l’Afrique, et plus largement contre l’Europe. En privant les populations
africaines des céréales ukrainiennes, la Russie souhaiterait accroître
l’instabilité sur le continent, et provoquer des nouvelles vagues de réfugiés
qui mettent sous pression l’Europe et le soutien qu’elle apporte à l’Ukraine.
Mais l’objectif premier de la Russie est d’étrangler une Ukraine exigüe, de la priver
de ses ressources en devises, de la priver des ressources qui lui permettent de
résister face à l’agression russe. Or, c’est par la Roumanie que transitent 85%
des céréales ukrainiennes. Aussi, en détruisant l’infrastructure portuaire, les
ports ukrainiens de Reni, Izmail et Kilia, qui se trouvent au contact de la
frontière roumaine, la Russie souhaiterait parvenir à stopper les exportations
des céréales ukrainiennes. »
Le soutien offert par l’Occident à l’Ukraine depuis le
début du conflit demeure dans le contexte indispensable à l’Etat victime de
l’agression russe. George Scutaru encore :
« La guerre déclenchée par la Fédération de
Russie contre l’Ukraine est une guerre déclenchée par l’autocratie contre la
démocratie. La défaite de l’Ukraine signifierait la défaite de tous ces Etats
qui soutiennent aujourd’hui l’Ukraine. Et une telle perspective augure mal de
la suite. Des Etats autocratiques, tels l’Iran, la Corée du Nord, la Chine
pourraient dès lors avoir les coudées franches sur la scène internationale.
C’est pour cette raison que les Roumains doivent comprendre l’absolue nécessité
de soutenir l’Ukraine. Parce que, vous savez, si l’on arrêtait l’aide
internationale octroyée à l’Ukraine, l’alternative serait de nous retrouver
dans 3 ou 4 ans, avec l’armée russe aux frontières. Alors, pour nous, et en
dépit des différents qui ont pu à un moment ou à un autre de notre histoire
récente nous éloigner de la position ukrainienne, le choix est simple :
plutôt que d’avoir pour voisin la Russie, il vaut mieux avoir aux frontières
une Ukraine démocratique, intégrée dans l’OTAN et dans l’Union européenne. De
surcroît, épauler l’Ukraine à résister face à l’agresseur russe, c’est aussi
garantir l’indépendance de la république de Moldova. »
L’indifférence ou une position de neutralité dans le
contexte actuel ne ferait qu’encourager les visées expansionnistes russes et
saper les fondements du droit international en laissant les coudées franches à
l’agresseur. Parce que le conflit devrait bien tôt ou tard prendre fin. Mais les
contours de ce monde post conflit ne nous sont pas indifférents. George
Scutaru :
« Si la Russie se verra condamner par les cours internationalesde justice, il n’est pas exclu de voir l’Ukraine se
saisir des avoirs russes gelés par les Etats occidentaux. Il s’agit d’un
pactole qui s’élève à 320 milliards de dollars, un fonds qui pourrait
participer à la reconstruction de l’Ukraine après la guerre, auquel vont
s’ajouter les aides octroyées par les Etats et par d’autres sources
indépendantes. Or, par sa proximité géographique, la Roumanie devrait jouer un
rôle de premier plan dans la reconstruction de l’Ukraine. Mais pour cela, elle doit
se positionner de manière intelligente. Nous sommes membre de l’OTAN, et certaines
compagnies censées prendre part à la reconstruction de l’Ukraine pourraient
établir chez nous leurs sièges et leurs bases arrière. Les régions d’Odessa, de Mykolaïv, de Kherson,
très impactées par la guerre, se trouvent tout près de nos frontières. Et pour
ce faire, nous bénéficierons d’un autre atout encore, car à partir de 2027 la
Roumanie deviendra le premier producteur de gaz de l’UE, grâce à l’exploitation
des gisements enfouis sous la mer Noire. Disposer de ces sources d’énergie est
loin d’être anodin. »
Mais pour l’instant il faut bien se rendre à
l’évidence : l’on s’est installé dans une guerre d’usure, où aucun des
belligérants ne semble disposé à lâcher du lest. D’une part, l’Ukraine qui
pousse son offensive pour tenter de percer les dernières lignes russes qui
défendent le territoire ravi à l’Ukraine au début du conflit, de l’autre la
Russie, décidée à en découdre. George Scutaru, le patron de New Strategy Center présage:
« La stratégie russe pour la période à venir est
de miner l’aide apportée par le monde occidental à l’Ukraine. Les élections à
venir en Roumanie, dans d’autres Etats de l’UE, aux Etats-Unis également
constituent des moments que la Russie essayera de mettre à son profit, en
essayant de s’immiscer dans le processus électoral, pour faire gagner ses
partisans et pour arriver à démobiliser ces Etats dans le soutien qu’ils
fournissent à l’Ukraine. Pour ma part, je reste persuadé que si l’aide militaire,
économique, financière et politique que le monde démocratique apporte à
l’Ukraine va se poursuivre, l’Ukraine aura en fin de compte gain de cause dans
cette confrontation. »
Dans
le cas contraire, nous serions réduits à regarder impuissants la victoire d’une
dictature sur cette coalition des démocraties. Ce qui serait catastrophique.
(Trad.
Ionut Jugureanu)