Conflit armé aux frontières de la Roumanie
Corina Cristea, 22.12.2018, 13:20
« Nous sommes consternés de cet usage de la force par la Russie qui, dans un contexte de militarisation rampante, est inacceptable », ont déclaré à lunisson les gouvernements des 28 Etats membres de lUE. Cest la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, qui a rendu publique cette position, à la fin des trois jours de débats au sujet de lescalade militaire entre Moscou et Kiev. LOccident a condamné les actions russes, demandant la libération des trois bateaux arrêtés dans le détroit de Kertch et des 24 marins ukrainiens retenus, qui se trouvent actuellement sous le coup dun mandat de dépôt, accusés davoir traversé illégalement la frontière russe. Moscou avait reconnu avoir ouvert le feu pour forcer larrêt des bateaux, alors que Kiev affirme avoir préalablement averti du passage de ses navires dans la zone, dans leur route vers le port de Marioupol, sur la mer dAzov.
Invité par Radio Roumanie, Iulian Chifu, président du Centre pour la prévention des conflits, de Bucarest, fait une analyse du conflit du détroit de Kertch: « La fédération de Russie a ouvert un troisième front en rapport avec lUkraine. Plus grave encore, cette nouvelle agression a eu lieu sous le drapeau russe. Cest différent de lannexion de la Crimée, déroulée par lintermédiaire de petits hommes verts, ou encore de lagression militaire à lest de lUkraine, où les combattants sont un mix de mercenaires, de militaires électrons libres, comme les appelait M Lavrov (le ministre russe des affaires étrangères). La Russie considère que la Crimée est son territoire, et elle essaye de la sorte de laffirmer haut et fort, en annexant la mer dAzov. Pratiquement, elle a fait ériger ce pont, qui est lui aussi illégal, et elle commence à considérer cette mer telle une mer intérieure, en interdisant laccès à tous ceux qui ne demandent pas la permission de passage. Dans ce cas, il sagit de trois navires ukrainiens, partis dun port ukrainien, et rentrant dans un port ukrainien, et auxquels on a bloqué le passage dans la mer dAzov. Cela a commencé par des chicanes, pour déboucher sur des tirs et des victimes. », a-t-il dit
Lincident a eu lieu près de la péninsule de Crimée, que Moscou avait annexée en 2014, faisant monter dun cran la pression, après la guerre de la région du Donbass, soldée par des milliers de victimes. Aborder lincident de Kertch de manière isolée est hors propos, apprécie Dan Dungaciu, professeur des universités et directeur de lInstitut des Sciences politiques et des Relations internationales de lAcadémie roumaine: « Il ne sagit que dun épisode dune série qui a débuté en 2014, lorsque la Fédération de Russie a annexé la Crimée, envahi la partie Est de lUkraine et contrôlé de la sorte, indirectement, deux régions ukrainiennes. Kertch, de quoi sagit-il en fait ? Avant lannexion de la Crimée, cétait un détroit entre, dune part, lUkraine, la Crimée, partie de lUkraine et, dautre part, la Fédération de Russie. Du côté russe, il y avait un commandement qui vérifiait le passage par le détroit. Maintenant, la Crimée est de facto une partie de la Russie, et lon retrouve la Russie encore de lautre côté du détroit. Donc, la Russie contrôle lentrée dans le détroit. A cet élément, rappelons le pont reliant les deux bords du détroit, et qui a été érigé dans un délai record. », a-t-il précisé.
Il sagit du pont qui relie la presquîle à la Russie, une construction stratégique, comme le souligne le professeur Dan Dungaciu : « Lorsquils avaient fait construire ce pont, les Russes ont pris soin à ce que sa hauteur ne dépasse surtout pas 30 mètres. Alors, les navires qui dépassent en hauteur les 30 mètres du pont ne peuvent plus sortir de la mer dAzov ; ils restent bloqués dans cette mer qui, dans la situation actuelle, est transformée de facto en mer russe. Mais le problème de fond date de 2014. Il fallait stopper les Russes à ce moment-là. Les pays de la région ont bien compris quaussi longtemps quils ne sont membres daucune alliance forte, de lOTAN ou de lUE, personne ne viendra les défendre. La qualité de membre de lONU est largement insuffisante. De ce point de vue, lUkraine na fait que passer par une expérience que dautres avaient connue avant elle. Evidemment, linstabilité, labsence de vision, la tentative de concilier lirréconciliable, à la fois lEst et lOuest, ont encore une fois montré leurs limites. LUkraine, tout comme la République de Moldova, est victime de ses propres actes. Il sagit de leurs visions défaillantes, dune approche qui tire son inspiration dun proverbe russe qui prétend que le veau malin suce aux deux pies. De la sorte, elles se sont retrouvées entre les chaises, et ne sont ni partie de lUE, ni membres de lOTAN. », a-til ajouté.
Suite aux dernières évolutions, lUE a fait appel à la retenue, sollicitant à Moscou de restaurer la liberté de circulation dans le détroit de Kertch. Le secrétaire général de lOTAN, Jens Stoltenberg, a rappelé que lUkraine nétait pas membre de lAlliance atlantique, dont la principale mission est dassurer la défense collective de ses membres. Il a en revanche affirmé que lAlliance soutenait fermement la souveraineté et lintégrité territoriale de lUkraine face aux menaces de la Russie. Pendant ce temps, à Kiev, le parlement ukrainien avait décrété létat durgence pour une période limitée. (Trad.: Ionut Jugureanu)