Charivari au sommet
Les dernières élections se sont déroulées sur fond de divisions profondes dans la partie du monde la plus affectée par la pandémie : les Etats-Unis. Selon les observateurs, plus de 99 millions d’électeurs américains avaient choisi de voter pendant la période précédant le jour des élections, soit par correspondance, soit en personne, le total des voix enregistrées dépassant largement les 138 millions enregistrées en 2016, lors du scrutin présidentiel remporté alors par le candidat républicain Donald Trump. Fortement contestée par celui-ci, devenu président sortant, la victoire qui a vu consacrer le démocrate Joe Biden à la Maison Blanche doit encore attendre le vote de Grands électeurs, prévu avoir lieu à la mi-décembre. Pourtant, avec le changement de garde à la Maison Blanche qui semble se mettre d’ores et déjà en branle, les analystes politiques ont sauté sur l’occasion pour scruter les conséquences de ce changement de cap.
Corina Cristea, 20.11.2020, 14:36
Les dernières élections se sont déroulées sur fond de divisions profondes dans la partie du monde la plus affectée par la pandémie : les Etats-Unis. Selon les observateurs, plus de 99 millions d’électeurs américains avaient choisi de voter pendant la période précédant le jour des élections, soit par correspondance, soit en personne, le total des voix enregistrées dépassant largement les 138 millions enregistrées en 2016, lors du scrutin présidentiel remporté alors par le candidat républicain Donald Trump. Fortement contestée par celui-ci, devenu président sortant, la victoire qui a vu consacrer le démocrate Joe Biden à la Maison Blanche doit encore attendre le vote de Grands électeurs, prévu avoir lieu à la mi-décembre. Pourtant, avec le changement de garde à la Maison Blanche qui semble se mettre d’ores et déjà en branle, les analystes politiques ont sauté sur l’occasion pour scruter les conséquences de ce changement de cap.
Aussi, pour ce qui est des chances données à une démarche politique de détente de l’Administration Biden, le politologue Andrei Ţăranu affirme : « Il est probable que l’Administration Biden essaye de refermer la plaie provoquée par l’immense division qui traverse la société américaine, et qu’elle s’attaque aux clivages sociaux et raciaux. Qu’elle essaye d’intervenir en utilisant le système de la sécurité sociale, celui de l’assistance médicale, ou encore à travers l’éducation nationale. Au plan externe, l’on ne sait pas très bien à quoi s’attendre de la part de la nouvelle administration américaine. Il est certain que l’on pourra compter sur une embellie dans les relations transatlantiques, mais sans que l’on sache l’envergure de ce changement de cap. Quant aux relations entre notre pays et les Etats-Unis, nous pouvons compter déjà sur un lien bien établi et solide. Pas trop de mauvaises nouvelles à attendre, comptons plutôt sur les bonnes. Le Département d’Etat, par la voix de son ambassadeur à Bucarest nous a annoncé des plans d’investissements massifs dans l’infrastructure, les communications, le transport. Et puis, à mon sens, il ne faut pas s’attendre à un changement de paradigme en matière de politique de sécurité de la part des Etats-Unis.»
Le professeur des universités Dan Dungaciu analyse pour sa part le changement de cap provoqué par Donald Trump au moment où il avait identifié la source du mal américain dans les dépenses engagées par sa politique étrangère. Il avait ensuite décidé de recentrer l’Amérique sur ses problèmes internes, en bouleversant le paradigme antérieur.
Dan Dungaciu : « La thèse sur laquelle s’est appuyée la politique de Donald Trump veut que l’Amérique ait dépensé ces 30 dernières années des trillions de dollars, pour se retrouver au final défaite, vaincue, enfin sans victoire en Afghanistan, sans victoire au Moyen-Orient, et puis isolée au sein du monde occidental, à l’exception des Etats de l’Europe centrale et orientale, qui lui avaient emboîté le pas. Et donc, pour Trump, il s’est agi d’une politique qui a mené l’Amérique à la faillite, une politique où elle a failli résoudre les conflits, a gaspillé ses ressources et a permis à ses ennemis de reprendre le poil de la bête. Or, il serait intéressant de voir si l’administration Biden envisage de remettre à l’ordre du jour l’ancien paradigme, d’avant Trump, où l’Amérique s’érigeait en gendarme du monde. Pour ma part, c’est l’élément à suivre par-dessus tout. Mais je ne pense pas que l’Amérique revienne à cette époque d’avant Trump, et à beaucoup d’égards l’Amérique perdra de sa superbe pour nous, Européens. »
Par ailleurs, la Chine demeure le rival, sinon le principal adversaire des Etats-Unis dans pas mal de domaines. Et sur ce point, l’on peut constater un véritable consensus à Washington, entre démocrates et républicains. Cela se voit à l’œil nu et, à cet égard, il ne faudrait pas trop compter sur un changement de paradigme, selon le professeur Dungaciu, selon lequel le nouvel ordre mondial est en train de s’organiser autour de cette rivalité entre la Chine et les Etats-Unis : « C’est la nouvelle la nouvelle clé de lecture du monde, qu’il faudrait utiliser pour nous rapporter dorénavant à la réalité stratégique et même économique du monde en train d’émerger. Même la relation avec la Fédération de Russie sera perçue à travers cette équation, en fonction de ses relations avec la Chine. La Russie d’aujourd’hui se retrouve reléguée à la place occupée par la Chine dans les relations internationales dans les années 70, lorsque la guerre froide battait son plein, à travers la rivalité stratégique entre l’URSS et les Etats-Unis. La Chine avait alors joué sur les deux plans. Et la Russie se retrouve en cette position aujourd’hui, tel un tiers, un outsider qui se retrouve au milieu d’une bagarre entre les deux Grands. La Russie ira sans doute sur la pointe de pieds, évitant de froisser à la fois la Chine et les Etats-Unis. Il faut s’attendre à ce que Moscou joue sur la corde raide, essayant de maintenir un certain équilibre dans ses relations avec les Pékin et Washington. La Russie se rend compte qu’elle n’est plus en mesure de jouer dans la cour des grands, elle n’est plus un acteur mondial, mais elle essayera, pour sûr, de jouer au mieux ses cartes. L’Union européenne endossera un rôle similaire en quelque sorte à celui endossé par la Russie. Un acteur qui se voit, sans surprise, très courtisé par la Chine, notamment sur le plan économique. »
L’ère Trump va néanmoins marquer les relations internationales bien au-delà de la durée de son mandat, constate à son tour l’universitaire Valentin Naumescu, qui table cependant sur une normalisation prochaine des relations transatlantiques : « Il s’agit en cela probablement du principal bénéfice du résultat des élections américaines, pour l’Europe dans son entièreté. Parce que nos intérêts exigent que l’OTAN se porte bien, car elle fournit lese garanties de sécurité dont la Roumanie, notre région et notre continent ont besoin. Cela dépend essentiellement de la qualité, de la solidité et de la crédibilité des relations transatlantiques, sévèrement malmenées ces 4 dernières années. Et il n’est pas facile de recoudre le fil une fois rompu. Il reste des traces, il y aura des morceaux qui vont pouvoir être recollés après un certain temps, d’autres qui resteront cassés à jamais. »
L’avenir nous le dira, affirme encore Valentin Naumescu. Il nous dira si les tendances protectionnistes, qu’il s’agisse de la dimension économique, ou encore de la rivalité sino-américaine, vont remporter, ou non, la mise, et si les effets de l’ère Trump seront ressenties bien au-delà du mandat de l’actuelle administration américaine. (Trad. Ionuţ Jugureanu)