Brexit – Le divorce qui traîne
A Bruxelles, la CE a annoncé avoir mis la dernière main pour parer à l’éventualité de plus en plus probable d’un Brexit sans accord. L’annonce survient alors que l’UE avait d’ores et déjà octroyé à Londres un délai supplémentaire, censé lui servir pour dépasser justement son blocage politique interne. Peu importe, Londres demeure toujours empêtrée dans ses querelles intestines. Face à cette équation complexe, à laquelle les politiques britanniques semblent occupés à rajouter plus d’inconnues que d’essayer de trouver une issue, de plus en plus de voix d’opposants au Brexit se font entendre, notamment au moyen d’une pétition qui exige l’abandon pur et simple du Brexit par le gouvernement britannique et qui a recueilli un nombre de signatures record.
Corina Cristea, 05.04.2019, 14:56
Nous avons voulu en savoir un peu plus, et avons interrogé à ce sujet l’analyste politique Cristian Pârvulescu, d’abord sur les causes et les conséquences du Brexit: « Le Brexit est une absurdité. Toute personne un tant soit peu rationnelle comprend aisément que le Brexit va tout simplement à l’encontre des intérêts de la Grande-Bretagne. Pour ce qui est des raisons, on est devant plusieurs explications. Il s’agit, d’une part, d’une campagne très habile, bien orchestrée, et le scandale Cambridge-Analityca nous a montré à profusion les effets nocifs d’une exploitation malintentionnée des réseaux sociaux, de Facebook en particulier, la manière dont les fake news arrivent à être propagées à travers des groupes qui mobilisent de la sorte leurs membres pour voter en faveur du Brexit. D’autre part, on voit le rôle joué par les trolls russes qui ont diffusé, répandu et amplifié ces idées. Malheureusement, le succès de Facebook, perçu par beaucoup comme un moyen de communication démocratique et gratuit, s’est avéré être un piège. Ce n’est pas un moyen démocratique, ni même gratuit, et la preuve c’est que les premières idées en termes de distribution sur ce réseau sont justement les idées extrémistes. Il y a donc d’abord cette manipulation de l’opinion, ensuite des éléments concrets, tel un degré important d’insatisfaction, présente notamment dans les zones rurales et les zones de la périphérie urbaine par rapport aux zones urbaines. Nous remarquons un véritable clivage entre les régions rurales et les régions urbaines, les premières se voyant comme les laissés pour compte, les victimes de Bruxelles, sans comprendre qu’en votant contre l’Union européenne ils votaient aussi contre leurs propres intérêts. Et puis, personne n’a parlé des conséquences, du casse-tête irlandais, du cas écossais, ces thèmes ont été ignorés lors du débat sur le Brexit. Or, on voit que le Brexit ne peut être conclu justement à cause de ces problèmes-là, du conflit irlandais. Parce que c’est grâce à l’appartenance de la Grande-Bretagne et de la République d’Irlande à l’UE qu’a été mis un terme à une guerre civile sanglante, qui traînait depuis des décennies et qui trouvait sa source dans une histoire de plusieurs siècles. Et qui risque de ressurgir dès qu’une frontière réelle réapparaîtra entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Or, la solution de compromis trouvée lors de la négociation du Brexit n’est pas du goût des talibans de la Chambre des Communes. D’où le blocage. »
Au-delà des causes qui ont mené aux résultats du référendum, on est surtout face à une triste situation, affirme encore le professeur Cristian Pârvulescu. Selon lui, ceux qui prétendent que le Royaume-Uni a fait son choix se trompent. Car le Royaume-Uni ne se réduit pas aux 52% des électeurs qui sont allés voter, et qui se sont prononcés en faveur du Brexit, parce qu’une démocratie est censée faire sienne la volonté de sa société toute entière. Cristian Pârvulescu: « Une question si complexe ne peut être réduite à un choix manichéen, de type oui ou non, rester ou sortir de l’Union. Parce que, voyez-vous, les négociations se sont heurtées à toutes sortes de questions auxquelles ceux qui ont lancé le processus du Brexit n’y avaient même pas songées. En sciences politiques, il existe une théorie qui prétend que le changement n’apparaît que de manière accidentelle, une fois qu’une institution est mise sur les rails. Or, l’UE a été lancée en 1950. Elle peut donc se targuer d’une longue histoire, faite d’une série de succès et d’échecs, mais une histoire qui va se poursuivre. L’UE ne peut pas et ne va pas dérailler. Et puis, cette théorie nous enseigne encore la prééminence du politique par rapport aux autres aspects, aux autres facteurs, tels le social, l’économique, le culturel et le religieux. Et dans le Brexit, cela se vérifie. Car le référendum n’a été au départ que l’idée saugrenue de David Cameron. Il voulait juste se servir du référendum comme tremplin pour faire remporter les élections à son parti et pour raffermir sa position personnelle au sein de son propre parti. Cela a été une erreur. Et l’on compte nombre d’expériences qui nous montrent que le référendum constitue de fait pour l’électorat un moyen de se défouler, d’exprimer son ras-le-bol de la classe politique. C’est bien ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Cameron est sorti par la porte arrière de l’histoire et de la politique, mais le mal avait été fait. Et tout cela, à cause de son désir insensé d’utiliser cet outil, le référendum, pour renforcer sa légitimité. »
Le référendum semble réduire les gros débats de société à une bagatelle. Et il donne encore lieu à un autre effet pervers : la spirale du silence, selon le même Cristian Parvulescu. Il fait en sorte que ceux qui sont plutôt contre préfèrent s’abstenir. Et cela laisse grande ouverte la voie pour que la tyrannie de la majorité puisse se donner à cœur joie, mettant à mal la démocratie. (Trad. Ionut Jugureanu)