Après la Crimée, la Transnistrie?
Sortie de facto depuis une vingtaine d’années de sous le contrôle de Chişinău, la région sécessionniste pro-russe de Transnistrie, située à l’Est de la République de Moldova, pourrait être, selon les analystes, le prochain territoire figurant sur la liste d’acquisitions de Vladimir Poutine. Pourtant, tous les experts ne partagent pas cet avis, vu qu’entre les deux foyers de conflit il existe des dissemblances.
Bogdan Matei, 07.11.2014, 14:27
Bande de terre longeant la rive gauche du fleuve Dniestr, la Transnistrie est pratiquement une enclave qui n’a pas de frontière commune avec la Russie, elle avoisine l’Ukraine. Alors que seul le détroit de Kertch, reliant la mer Noire et la mer d’Azov, sépare la Crimée de la Russie, la Transnistrie se trouve à des centaines de kilomètres des frontières russes. Elle n’est pas homogène du point de vue ethnique, 40% du demi-million d’habitants étant roumanophones et constituant la communauté la plus nombreuse ; les 60% qui restent rassemblent des Ukrainiens et des Russes.
Le conflit armé a éclaté en 1992, entre la République de Moldova, devenue indépendante une année auparavant, et les séparatistes de Transnistrie soutenus par les troupes russes. Depuis, Moscou a protégé militairement et alimenté financièrement une Transnistrie devenue une composante de sa clientèle politique. En 1999, au sommet de l’OSCE d’Istanbul, la Russie promettait, par la voix de son président de l’époque, Boris Eltsine, de retirer ses troupes et son arsenal militaire de l’Est de la République de Moldova.
Cet automne, à l’occasion de la session générale de l’ONU de New York, la chef de la diplomatie de Chişinău, Natalia Gherman, s’est vu obligée de renouveler l’appel au départ des soldats russes, présents toujours sur le territoire de la République de Moldova. Selon les estimations des spécialistes, la Russie aurait dépensé environ 10 milliards de dollars depuis 20 ans pour accorder à la Transnistrie de soi-disant aides humanitaires, du gaz etc. L’analyste économique Petrişor Peiu déclarait pour Radio Roumanie : « Si, pour la Transnistrie, qui compte un demi-million d’habitants, la Russie a dépensé une somme si importante, pour la Crimée elle aurait dépensé 5 fois plus, soit 50 milliards de dollars. »
De l’avis des économistes, pour la Russie c’était moins coûteux d’annexer la Crimée que de procéder comme elle l’a fait dans le cas de la Transnistrie. Cette annexion sera elle aussi très coûteuse, d’ailleurs. Les salaires des employés du secteur public et les retraites payés en Crimée devront être amenés au niveau de ceux payés en Russie, où ils sont 3 fois plus grands. Les sommes importantes qui prendront la route du territoire récemment annexé — pas du tout viable du point de vue économique — augmenteront le déficit budgétaire de la Russie.
S’y ajoutent les sanctions économiques américaines et européennes. Un vétéran de la diplomatie roumaine, l’ambassadeur Ioan Donca, membre du Conseil directeur de la Fondation universitaire de la mer Noire, est sceptique quant à l’efficacité de ces sanctions et persuadé que le dossier transnistréen est plutôt classé. «Je ne crois pas que la Russie aille plus loin, après l’annexion de la Crimée. Rattacher la Transnistrie, qui lui appartient de toute façon, cela ne présente aucun intérêt pour elle, cela ne lui pose aucun problème. Il est évident que la Transnistrie n’appartient pas à la République de Moldova. Même si d’un point de vue affectif nous souhaitons soutenir l’idée de l’intégrité territoriale du pays voisin, il est évident qu’à l’heure actuelle, la Transnistrie est un obstacle sur le parcours européen de la République de Moldova. Je ne sais pas à quel point les sanctions contre la Russie seront efficaces, vu notamment la capacité de Moscou de les supporter».
Le député européen et politologue Cristian Preda ne croit pas lui non plus aux similitudes entre les deux régions séparatistes pro — russes. Il souligne que l’administration pro — occidentale de Chisinau a conclu cette année des accords d’association et de libre échange avec l’UE et plaide en faveur d’une implication plus active de Bruxelles dans les négociations visant la Transnistrie : «Ce sont deux situations différentes. En ce qui concerne la Transnistrie, c’est un conflit gelé depuis plus de deux décennies. Cette partie de la République de Moldova est contrôlée par des troupes russes, mais sans être intégrée dans une structure politique russe. Alors qu’en Crimée, suite à l’invasion du territoire, tout est devenu partie intégrante du régime contrôlé par Moscou. L’UE ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée. En même temps, l’UE soutient les négociations entre la Russie et la Transnistrie. Personnellement, je crois que l’UE doit renoncer au rôle d’observateur, pour devenir un acteur de ces négociations, avec une voix plus forte. La République de Moldova est désormais un élève éminent du Partenariat Oriental. En plus, aujourd’hui l’intérêt de l’UE a changé par rapport à celui d’il y a deux décennies».
Tout aussi sarcastiques sont les commentateurs qui mettent en garde que tout ce débat pourrait s’avérer inutile après les élections parlementaires qui auront lieu le 30 novembre à Chisinau. Si l’opposition communiste pro-russe, favorite dans les sondages, revient au pouvoir, ce n’est pas la République de Moldova qui renforcera son autorité dans la région séparatiste, mais c’est la fidélité de la Transnistrie envers la Russie qui contaminera, de nouveau, Chisinau. (Aut. : Bogdan Matei; Trad.: Valentina Baleavski, Dominique)