10,9 PetaWatts
On dit à son compte qu’il serait capable d’atteindre une puissance de 10 PetaWatts, c’est-à-dire 10 millions de milliards de Watts, plus précisément un dixième de la puissance du Soleil. Déjà pendant les essais, déroulés le 7 mars dernier, l’impressionnant laser européen, abrité par la petite ville de Măgurele, située à une dizaine de kilomètres de Bucarest, car c’est bien de lui qu’il s’agit, est arrivé à atteindre 10,9 PetaWatts. Cette installation, le laser le plus puissant au monde, financé à hauteur de 300 millions d’euros par les fonds européens, représente une véritable première mondiale.
Corina Cristea, 12.07.2019, 13:19
Nicolae Zamfir, le directeur général de l’Institut national « Horia Hulubei » pour la recherche et le développement de la physique et de l’ingénierie nucléaire, nous parle de son enfant chéri : « 10 PetaWatts représente juste un seuil théorique, que nous nous sommes fixé nous-mêmes, la communauté scientifique européenne. Dix est un chiffre rond. Mais ce laser peut faire bien mieux, jusqu’à doubler de capacité. Il est doté d’un potentiel énorme. »
Le Laser de Măgurele fait partie d’un projet plus ample encore, intitulé Extreme Light Infrastructure, ou ELI, une plateforme internationale de recherche dans le domaine des lasers. ELI détient des structures dans plusieurs pays: en Tchéquie, en Hongrie et en Roumanie, l’investissement total, en provenance du Fonds européen pour le Développement régional, dépassant les 850 millions d’euros. Dans la phase actuelle, qui prévoit l’implémentation de ces trois structures, aux profils scientifiques complémentaires, est coordonnée par un Consortium formé autour de l’Association internationale ELI-Delivery. Présent à la cérémonie qui marquait la performance atteinte par le Laser de Măgurele lors des essais, Nicolae Hurduc, ministre roumain de la Recherche et de l’Innovation, a annoncé la place occupée par le projet du Laser dans le cadre d’un dessein beaucoup plus ambitieux.
Le ministre Nicolae Hurduc : « C’est le plus ambitieux projet européen d’infrastructure. Les résultats seront à la hauteur des ambitions et de l’investissement européen consentis. Le laser de Măgurele n’est que la première étape, suivie dans les années à venir par deux autres projets d’envergure, « Danubius » et « Alfred », des projets qui nous permettrons d’étudier les réacteurs nucléaires de 4e génération ».
Le laser nous aidera à créer in vitro des phénomènes nouveaux, pouvoir suivre la réaction de la matière dans des conditions extrêmes, qui ne peuvent pas être rencontrées à l’état naturel sur notre planète, mais qui devraient exister ailleurs dans l’univers. Grâce à ce formidable laboratoire nous allons pouvoir percer quelques-uns des secrets les mieux gardés de l’univers, nous assure le professeur Nicolae Zamfir. C’est un rêve qui se matérialise, un rêve débuté il y a dix ans lorsque, suite à une décision politique, la Roumanie est entrée dans la course mondiale visant la construction du plus grand laser au monde. Pour rappel, la puissance fournie par le plus grand laser de l’époque était inférieure à un petawatt. Entre temps, le domaine a suscité de plus en plus d’intérêt, et nombre de pays développés se sont lancés dans la course. On compte, à l’heure actuelle, plus de dix laboratoires dotés de lasers de plus d’un petawatt et la Corée du Sud compte un laser extrêmement puissant.
Néanmoins, une puissance de 10 petawatts n’avait été jusqu’alors jamais atteinte, nulle part ailleurs. « Nous avons utilisé le plus grand cristal de saphir dopé d’ions de titan jamais créé sur la terre, un cristal de 20 centimètres de diamètre », nous explique le chef de projet du laser, Ioan Dăncuş. Un tel système requiert une infrastructure particulière. Le système du laser, qui compte des milliers de composantes, est placé sur une plaque qui protège l’installation de toute vibration extérieure. Il s’agit d’un exploit technique unique en son genre, nous assure le chercheur, et il poursuit : « Nous allons utiliser ce laser pour combler deux besoins consubstantiels à la nature humaine : d’abord la curiosité, en comprenant mieux l’univers qui nous entoure ; ensuite le besoin de créativité, de développer des recherches qui nous aident tous, qui aide l’humanité à vivre mieux ». Les premières expériences proprement-dites débuteront à Măgurele à l’automne prochain, mais d’ores et déjà les scientifiques sont impatients d’utiliser la formidable puissance du laser au profit de leurs recherches.
Călin Ur, directeur technique du projet, détaille : « Obtenir une puissance de 10,9 PetaWatts est quelque chose de complètement inédit. Cela ouvre de larges espaces à la recherche dans plein de domaines. Nous réfléchissons déjà à la manière dont nous mènerons en route de nouvelles expériences, de nouvelles études pour tirer au mieux profit de l’immense puissance du laser de Măgurele. »
Le faisceau du laser, unique au monde, est pressenti chambouler les connaissances existantes, qu’il s’agisse de la physique, de l’astronomie ou encore de la médecine. Le laser pourrait aider à découvrir des isotopes radioactifs qui pourraient être utilisés dans le traitement du cancer, par exemple. Ou, encore, à identifier le contenu exact des conteneurs de déchets radioactifs, sans devoir les ouvrir, chose presque impossible à présent. Ou bien à tester les matériaux censés être utilisés lors des missions spatiales. Le laser de Măgurele réunit autour du projet près de 200 chercheurs originaires de plus de 20 pays, dont 150 Roumains. (Trad. Ionut Jugureanu)