Même les travailleurs des multinationales sourient
Fin janvier 2013 à Bucarest. Passé 17h, la station de métro Pipera commence à se remplir de monde. Plusieurs milliers de gens passent par là tous les jours en chemin vers les sièges des multinationales. Pourtant, ceux qui se rassemblent maintenant sur la passerelle menant au quai ne semblent pas être des corporatistes. Ils sont jeunes, souriants, ils ont emmené des porte-voix et des pancartes portant des messages optimistes.
România Internațional, 14.02.2013, 15:27
Fin janvier 2013 à Bucarest. Passé 17h, la station de métro Pipera commence à se remplir de monde. Plusieurs milliers de gens passent par là tous les jours en chemin vers les sièges des multinationales. Pourtant, ceux qui se rassemblent maintenant sur la passerelle menant au quai ne semblent pas être des corporatistes. Ils sont jeunes, souriants, ils ont emmené des porte-voix et des pancartes portant des messages optimistes.
Certains déroulent un tapis rouge au bout des marches du métro. Ils ont un plan, c’est bien clair, car aucun des travailleurs du métro ne semble surpris. Nous sommes en train d’assister à quelque chose de moins habituel.
Les préparatifs ont lieu sous la coordination d’Andrei Tudose de l’ONG Delivering Life, qui se propose de rappeler aux gens qu’il faut aussi sourire. « Comme d’habitude, nous interrompons les moments de routine des gens, depuis leur sortie du bureau jusqu’à l’entrée du métro, pour leur donner des raisons de se sentir bien dans leur peau, pour leur faire prendre conscience qu’ils sont aussi des personnes et qu’ils peuvent être aimés et appréciés pour la simple bonne raison qu’ils existent ».
Pour m’assurer d’avoir bien compris le but de l’agitation avant l’heure de pointe, je m’adresse à une jeune bénévole et je lui demande qu’est-ce qu’elle fait là. « Je suis venue partager de la joie. Moi, je suis quelqu’un de gai. Quand je prends le métro et que je vois des gens fatigués, qui après une journée de travail ne souhaitent plus que de rentrer chez eux, je n’aime pas. Avec mes camarades, nous resterons sur les marches et applaudirons les gens qui sortent, nous essaierons de les divertir, de leur montrer qu’il y a aussi des gens heureux, de les contaminer avec notre joie. La joie, c’est contagieux, tout le monde va sourire ».
Les caméras de télévision apparaissent, les photographes aussi ; on dirait le Gala des Oscars bien que le contexte n’ait rien à voir avec le film. Comme par magie, la station de métro se transforme en un endroit pour accueillir les célébrités. « On t’aime ! », « Tu es notre héros », « On t’aime bien ! », « Allez, souris, quoi ! », peut-on lire sur les pancartes. Nous sommes prêts… à attendre les corporatistes. Lorsqu’ils commencent enfin à descendre les escaliers, des applaudissements et des hourrahs ! se font entendre des hauts-parleurs. Au début, ils sont étonnés, ils se gardent de marcher sur le tapis rouge, ils sautent par-dessus ou le contournent ; certains autres semblent ne pas le voir et marchent dessus sans le regarder. D’aucuns sont pressés, d’autres froncent les sourcils, quelques-uns sourient, s’arrêtent et parlent avec les reporters de télévision, se laissent prendre en photo. Quelques autres lancent des jurons…
Un micro en carton à la main, Andrei Tudose joue les reporters :
« Comment allez-vous ? »
« Un peu fatigué après le travail, mais j’aime cette atmosphère dégagée».
« Vous vous sentez mieux qu’au moment où vous êtes entré ? »
« Oui ».
« Parfait, c’est ça l’idée ».
Florentina Ciobanu ne s’arrête pas. Elle ne veut pas entrer dans ce jeu et décide d’avancer au bras d’une autre amie. Cette action ne l’a pas enchantée et elle affirme que c’est trop de bruit pour rien : «Probablement dans leur tête c’était une idée originale, mais moi je crois qu’elle est copiée de l’étranger. Je ne fais pas trop confiance dans ces choses-là. Ce sont des événements inventés pour que des ONGs puissent dérouler certaines activités et demander ensuite l’argent de l’UE pour d’autres activités … Mois je suis suspicieuse. »
Mais qui a été le sponsor de l’événement ? Qui a supporté ses coûts ? Andrei Tudose : « Les coûts n’existent pas ou s’ils existent, ils sont tout à fait infimes, et nous avons tous supporté : batteries, 2 mètres carrés de tapis rouge, pancartes… Les gens nous rejoignent parce que ce que nous faisons les inspire, parce qu’ils se sentent bien et choisissent eux aussi d’offrir quelque chose à d’autres personnes.»
Malgré les suspicions, l’action fait des échos, les gens parlent de la soirée quand au métro les cadres de multinationales ont donné des autographes et ont remercié leurs parents et enseignants de les avoir aidé à arriver là où ils se trouvent à l’heure actuelle. Puis ils partent à la maison, un peu plus heureux qu’au moment de leur entrée au métro, trois minutes auparavant.
De tels petits événements, censés interrompre la routine des personnes qui jouent le rôle de rouages de l’économie de marché, constituent d’excellents prétextes pour ceux qui y sont impliqués mais aussi pour le public de penser à ce qui se trouve derrière le moment qui passe.
Aux dires d’Andrei Tudose, ce fut une expérience réussie : « Les gens ont participé à notre jeu. Les cols blancs ont signé, se sont amusés, puis ont levé leurs mains vers nous. A mon avis, la vie est un cadeau et je la traite en tant que tel. Je cherche les choses qui puissent me faire sentir mieux et à l’aide desquelles je peux influencer la vie de ceux qui m’entourent. J’ai moi-même remarqué que je suis le prisonnier d’une série de choses à faire et que les journées, les semaines, les mois et les années ne font que passer… J’ai reçu un jour une invitation qui marquait les 20 ans depuis la fin du lycée et je me suis dit : Mon Dieu, que le temps passe ! A mon avis il est essentiel de vivre l’instant présent. C’est ainsi que cette idée est apparue. »
Prochaine rencontre avec Delivering Life : le 26 février à l’aéroport… ou dans un centre commercial plein de monde. Ou peut-être dans un autre endroit, inattendu. Ils vont apparaître avec des pancartes et des mégaphones à la main pour faire tout ce qu’ils peuvent pour vous arracher un sourire. Allez, souriez un peu, quoi ! (trad. : Ligia Mihaiescu)