Maison Capșa, l’âme gourmande de Bucarest
Cet établissement, réputé dans toute l’Europe, a attiré écrivains, poètes, hommes politiques et artistes, devenant un décor favori des flâneurs et un véritable théâtre des esprits libres.

Ana-Maria Cononovici, 29.04.2025, 11:00
À l’époque où Bucarest était surnommée le « Petit Paris », la Casa Capșa régnait en maître sur la vie mondaine de la capitale. Fondée au milieu du XIXe siècle par quatre frères – Vasile, Anton, Constantin et Grigore –, descendants d’un cocher macédonien-roumain, cette confiserie située sur la prestigieuse Calea Victoriei est rapidement devenue un haut lieu de l’élégance et de l’effervescence culturelle. Cet établissement, réputé dans toute l’Europe, a attiré écrivains, poètes, hommes politiques et artistes, devenant un décor favori des flâneurs et un véritable théâtre des esprits libres.
De confiserie à légende du Petit Paris
Pendant le régime communiste, la Maison Capșa est tombée en léthargie. Elle ne renaît qu’après 1989, timidement, avant de retrouver une nouvelle jeunesse grâce à des événements et visites guidées qui ressuscitent son faste d’antan. Mirona Noru raconte :
« Nous organisons très souvent des visites guidées au cours desquelles nous racontons l’histoire de l’hôtel, l’histoire de la boulangerie et l’histoire du café qui nous a rendus célèbres. Nous nous promenons dans l’hôtel, dans la chambre rouge, dans la chambre bleue, nous racontons l’histoire de chaque élément que nous visualisons et, à la fin, nous nous arrêtons pour déguster un délicieux gâteau dont nous racontons un peu l’histoire, Jofra étant le gâteau qui nous a rendus célèbres à l’échelle internationale. L’histoire, de notre point de vue, est qu’il a été créé en 1920 par l’équipe de Maison Capșa, et non par Grigore Capșa, parce qu’en 1920, Grigore Capșa n’était plus en vie. Il est mort en 1902. Mais nous sommes fiers que son nom soit resté si célèbre que l’on pense qu’il a inventé ce gâteau. Il a été confectionné pour le maréchal Joffre après la victoire de la Première Guerre mondiale. Il est de forme cylindrique pour imiter le casque français et il est fait de chocolat noir, car le maréchal Joffre était connu pour souffrir de diabète. Mais le chocolat noir est une base importante pour la grande majorité de nos gâteaux et de nos bonbons, car Grigore Capșa souffrait également de diabète. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous utilisons le plus de chocolat noir dans notre production. C’est un petit secret que je vous livre maintenant et que nous racontons aux personnes qui franchissent notre porte lors des visites guidées. »
Ce lien étroit entre patrimoine sucré et mémoire collective ne s’arrête pas au comptoir de la confiserie. L’équipe travaille à documenter l’histoire de l’hôtel afin d’enrichir les futures visites. Une exploration minutieuse des archives permettra d’identifier les personnalités ayant occupé certaines chambres, dans un lieu où, autrefois, il fallait être recommandé pour réserver, comme l’explique Mirona Noru :
« En mai, nous aimerions vous proposer des visites guidées des chambres de l’hôtel. Pour l’instant, nous sommes dans le domaine de la documentation, c’est-à-dire que nous essayons d’identifier quelle personnalité a séjourné dans quelle chambre. Par exemple, Păstorel Teodoreanu, si l’on peut dire, a été un influenceur pour Maison Capșa, il a attiré beaucoup de clients ici. L’une des particularités de l’hôtel, qui a ouvert ses portes en 1881, est que l’enregistrement n’était pas basé sur le check-in, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est-à-dire que vous ne pouviez pas vous présenter à la réception, vous deviez être recommandé par quelqu’un. C’était une particularité de notre hôtel. Et Păstorel Teodoreanu avait l’habitude de faire de nombreuses recommandations. Sur la base de la documentation dont nous disposons, nous essayons maintenant de savoir qui a séjourné dans telle ou telle chambre, afin que la visite soit aussi intéressante que possible et que les informations soient aussi proches que possible de la réalité de l’époque. »
Secrets sucrés et légendes littéraires
Symbole de la vie culturelle roumaine, la Maison Capșa fut aussi le théâtre d’émulsions littéraires. Dans le Salon rouge, aujourd’hui intégré au café ouvert en 1893, se tenaient des joutes verbales et des échanges d’idées entre grandes plumes. Des œuvres majeures y ont été imaginées, comme le roman policier Amândoi de Liviu Rebreanu, né d’un défi lancé sur place. Mirona Noru nous en dit davantage :
« Ces débats avaient lieu dans le Salon rouge, l’ancien restaurant. Une partie a été transformée en café qui a ouvert ses portes en 1893. Liviu Rebreanu, par exemple, était un client régulier de la Maison Capșa. Il y venait souvent avec son voisin Ion Minulescu. À une époque, Rebreanu était connu pour être très attiré par les romans policiers. Il a écrit son seul roman policier, « Amândoi », sur la base d’un défi lancé ici à la Maison Capșa. Une autre chose que tout client qui franchit la porte de notre confiserie constate maintenant, c’est que presque chaque table porte des cartes personnalisées, par exemple, « la table de Tudor Arghezi ». Nous avons appris, par exemple, grâce à ses journaux intimes et à ses lettres, qu’il aimait s’asseoir dans les grands canapés en peluche, et nous avons donc déterminé quelle table était la sienne, et la carte est rapidement apparue sur la table. Donc si vous franchissez notre seuil, vous pouvez vous asseoir à l’une des fameuses tables d’écrivains, d’artistes qui ont franchi notre seuil. »
En redonnant vie à ses légendes et à ses douceurs, la Maison Capșa ne se contente pas de raviver les papilles : elle réactive une mémoire vivante, témoin d’un art de vivre et d’une époque où Bucarest vibrait entre élégance, création et chocolat noir.