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Les gardiens des traditions

En 2012, Razvan Voiculescu est parti à la recherche des personnes qui préservent les traditions à travers la Roumanie. Par « traditions » on entend ici moins le sens philosophique de la vie, mais plutôt le bon sens et l’utilité de chaque geste, la symbolique de chaque chose spécifique à la vie des paysans roumains authentiques, des choses qu’ils ont appris de leurs ancêtres, des choses sur le pourquoi et le comment de la vie.

Les gardiens des traditions
Les gardiens des traditions

, 21.08.2014, 12:58

En 2012, Razvan Voiculescu est parti à la recherche des personnes qui préservent les traditions à travers la Roumanie. Par « traditions » on entend ici moins le sens philosophique de la vie, mais plutôt le bon sens et l’utilité de chaque geste, la symbolique de chaque chose spécifique à la vie des paysans roumains authentiques, des choses qu’ils ont appris de leurs ancêtres, des choses sur le pourquoi et le comment de la vie.



Ce sont des métiers traditionnels qui tombent dans l’oubli, remplacés par les activités du monde moderne, à l’instar des racines que de plus en plus de gens arrachent de la terre où ils sont nés pour replanter ailleurs, dans des crevasses de béton ou des sables lointains.



Pour retrouver ceux qui ont résisté de manière presque miraculeuse aux changements ayant secoué la Roumanie ces trois derniers quarts de siècle, Razvan Voiculescu s’est adressé aux personnes qu’il connaissait déjà et à une communauté créée sur Facebook qui a connu un essor formidable et très rapide. Ainsi a-t-il pu découvrir 58 maîtres artisans qui, malgré leur âgé très avancé, pouvaient encore lui parler de leur art. Parmi eux, un enseignant à l’ancienne.



Razvan Voiculescu : « J’ai trouvé un monsieur de Bucovine (province du nord-est de la Roumanie) que tout le village connaissait, il était le dernier enseignant de l’église. Dans sa jeunesse il avait appris aux enfants venus à l’église un mélange d’enseignements bibliques et de culture générale, dans les limites de ce que la culture générale représentait dans les années 1930 — 40. C’est pourquoi on l’appelait enseignant d’église. Il est le seul que j’aie trouvé et il m’a raconté de très belles histoires, malgré son âge, car il approche les 90 ans».



Aux côtés du réalisateur Şerban Georgescu et d’une petite équipe qui a filmé ses rencontres, Răzvan Voiculescu a frappé à la porte de ceux qui, malheureusement, n’ont plus à qui transmettre leur art.



Plusieurs ont particulièrement retenu son attention. Parmi eux : « Cuza Perţa de la contrée de Fagaras (dans le centre du pays) me racontait que dans ses 60 années d’activité en tant que sculpteur traditionnel il avait eu de nombreuses générations de jeunes qui, à première vue, étaient très intéressés, très sérieux et désireux d’apprendre. Mais que la plupart n’ont résisté que 2 ou 3 mois. Une fois qu’ils avaient appris tout ce qu’ils considéraient qu’il fallait apprendre, ils partaient faire autre chose. Aujourd’hui, les jeunes ne le fréquentent que par curiosité ou en tant qu’apprentis tout au plus. C’est une réalité très dure. Ces maîtres artisans ont déjà 70 — 80 ans, c’est la dernière génération. Personne ne continuera leur art ; l’esprit qui les avait animés a disparu. Les jeunes qui par miracle continuent de nos jours le travail de ces gens ne peuvent se servir que des objets que leurs aînés ont laissé derrière ».



Dans le sud de la région du Banat (ouest), Răzvan Voiculescu a rencontré Iosef, un Tchèque vivant en Roumanie, le seul d’une communauté de 5 villages qui avait encore un atelier de travail. Toute sa vie il avait fabriqué des harnais de chevaux du type Komotu, avec un collier spectaculaire, très grand, décoré de différents objets, de sorte que le cheval puisse tirer le char avec sa poitrine, la partie du corps la plus forte.



Răzvan Voiculescu raconte: «La dernière commande reçue datait de 1991, donc 21 ans plus tard il détenait toujours cet atelier où il se rendait toutes les semaines, par amour du métier, il mettait un clou par ci, fabriquait un komotu par là… et quand je dis qu’il fabriquait un komotu, il faut savoir que ça lui prenait une année entière, parce que, à cause de son grand âge, il n’a plus de force pour travailler. Dans les années 1940, 60 à 70 travailleurs, ayant chacun une spécialisation différente, fabriquaient un harnais spécial. Or aujourd’hui c’est lui qui fait ça, tout seul. Il réalise donc un tel objet par an et en vend parfois un, pour plusieurs centaines d’euros, car la réalisation et l’esthétique sont impressionnantes… »



Aristotel Erhan de Bucovine fabrique des buccins. Il est un des cinq personnages qui apparaissent dans les courts-métrages du DVD accompagnant l’album de photos de Răzvan Voiculescu : «C’est un homme qui a beaucoup lu et qui est resté fidèle à l’idée de construire ces instruments musicaux à la manière traditionnelle. Il n’y a rien d’électrique, aucun outil que mon grand-père n’aurait pas utilisé aussi. J’ai beaucoup aimé ça, tout comme son application, pour qu’il puisse produire plusieurs buccins par an. La conversation avec lui m’a fait comprendre combien il était difficile de construire un buccin. Il faut plusieurs semaines pour vérifier si tel ou tel arbre est une bonne matière première. Cela tient de la fibre, de l’âge, de combien sec est le bois. L’écorce qui enveloppe les deux moitiés du buccin doit avoir une certaine résonance, on ne peut pas utiliser n’importe laquelle. Une fois le bois trouvé, il travaille en équipe avec une autre personne, parce qu’il est impossible de fabriquer un tel instrument sans se faire aider. Il avait deux apprentis qui savaient aussi jouer du buccin. Cet Aristotel Erhan me disait que le son du buccin est le plus beau lien qui l’unit à Dieu. »



L’album intitulé « Traditions », le 11e du photographe Răzvan Voiculescu, comprend aussi la carte des gardiens des traditions. 58 points sont marqués sur cette carte de la Roumanie — ce sont les endroits où l’on peut rendre visite aux gens apparaissant sur les photos.



Răzvan Voiculescu: «J’ai mis en page un itinéraire imaginaire pour ceux qui souhaitent voyager dans une Roumanie encore profonde. J’ai marqué le nom du village, le nom et l’occupation de la personne en question. Lors du lancement de l’album, j’ai dit à ceux qui était là : Est-ce que nous, les Bucarestois, passons deux week-ends prolongés en Bulgarie ou en Grèce ? On part le jeudi et on rentre le dimanche ? Oui, m’a-t-on répondu. Hé bien, moi, j’invite les bons Roumains que nous sommes à rayer un de ces deux week-ends de la liste, à prendre la carte des gardiens des traditions, à choisir un itinéraire d’environ 3 jours et à rencontrer 4 ou 5 maîtres artisans ; il seront heureux de vous recevoir. Le fait que des gens s’intéressent à eux les rendra heureux. D’ici quelques années, vous ne les trouverez plus. Ça vaut la peine, en tant que bons Roumains, de connaître ces gens. »



A présent, Răzvan Voiculescu explore d’autres régions de la Roumanie où il espère rencontrer des gardiens des traditions, de la matière pour son prochain album qui s’appellera « Nostalgie des traditions ». (trad. Ileana Taroi, Valentina Beleavski)


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