Les archives du rock roumain
Art et parfois manifeste politique, le rock roumain apparaît vers la fin des années 60. Comme à l’époque l’accès à la musique d’Europe Occidentale était limité, les musiciens roumains ont adapté et récréé, dans un style local, musique, partitions, instruments et mode du courant rock. La volonté de préserver l’histoire de ce phénomène a récemment donné naissance au Musée du rock roumain. Un projet en ligne, pour le moment, mais qui serait amené à évoluer.
Ana-Maria Cononovici, 26.07.2021, 13:21
Art et parfois manifeste politique, le rock roumain apparaît vers la fin des années 60. Comme à l’époque l’accès à la musique d’Europe Occidentale était limité, les musiciens roumains ont adapté et récréé, dans un style local, musique, partitions, instruments et mode du courant rock. La volonté de préserver l’histoire de ce phénomène a récemment donné naissance au Musée du rock roumain. Un projet en ligne, pour le moment, mais qui serait amené à évoluer.
Cosmin Năsui, historien d’art et commissaire d’exposition, nous parle de la genèse du projet : « Avant de décider de constituer ce musée, il y a eu une longue étape de documentation réalisée par notre collègue, le musicologue Doru Ionescu. Lui, il est réalisateur d’émissions sur le rock pour la télévision publique, il a aussi publié des livres sur des musiciens roumains partis vivre à l’étranger. Le Musée du rock est donc son idée. Doru Ionescu a commencé par documenter maints aspects de ce phénomène musical pour ses émissions et ses livres. Avec le temps, ces éléments de patrimoine immatériel et matériel demandaient à être placés dans un contexte muséal, pour donner une vue d’ensemble du phénomène. »
Cosmin Năsui, aujourd’hui notre guide, nous fait visiter le Musée du rock: « Mettre quelque chose dans un musée, ce n’est pas l’ossifier, au contraire. Pour ce projet, nous avons considéré l’évolution de la musique rock en Roumanie – de la fin des années 60 et jusqu’après la révolution anticommuniste de 1989. Il y a, par exemple, tout un débat sur les guitares électriques en Roumanie. Le rock, c’est la guitare électrique, comme le folk, c’est la guitare sèche. Or on ne pouvait pas fabriquer une guitare électrique durant l’époque communiste en Roumanie. On ne pouvait pas les importer non plus, alors on les bricolait de toutes pièces, à partir de photos, en suivant les dessins techniques d’instruments publiés dans les magazines étrangers que l’on se procurait. Pour revenir, le projet a démarré avec l’initiative de Doru Ionescu et il a grandi peu à peu. Nous avons élargi la recherche à d’autres directions et commencé à utiliser les instruments de la muséographie, les fiches spécifiques et les fiches d’inventaire, entre autres. Le défi était de se servir de ces outils pour un domaine qui est par définition éphémère et plutôt proche du support audio ou vidéo. Mais voilà qu’il y a aussi un patrimoine matériel associé au rock, des instruments de musique aux tenues vestimentaires, la correspondance de ces artistes mythiques, les partitions, les brouillons de textes enfin. Tout cela montre le processus de création de l’intérieur. Il y a même toute une infrastructure culturelle de l’époque communiste, les clubs, souvent destinés aux étudiants, voire les clubs emblématiques de Bucarest, Club A ou Preoteasa. Cela montre la caractéristique première du rock roumain, né du mouvement de la jeunesse et des étudiants. »
Cosmin Năsui, historien d’art et commissaire d’exposition, un des fondateurs du site postmodernism.ro, qui accueille pour le moment le Musée du rock, poursuit :« Avant d’aller vers une forme physique du musée, nous voulions constituer des archives et dresser les inventaires de façon précise. Pour ce faire, nous avons emprunté des objets de collections privées, nous les avons scannés, répertoriés, photographiés. Une partie de ces objets sont scannés en 3D, donc on peut les tourner sur notre plateforme en ligne, on peut zoomer dessus etc. Une partie de ces objets sont encore utilisés, en concert ou en studio, d’autres ne sont plus fonctionnels et d’autres sont perdus, car beaucoup de rockers roumains ont émigré et les ont pris avec eux. »
La collection du Musée du rock de Roumanie comprend aussi des cartes postales et des lettres échangées entre les artistes, mais aussi des albums accessibles aux non-voyants. Cosmin Năsui : « Un musée ne doit pas seulement regarder vers l’âge de pierre, le Moyen-Âge ou la Roumanie moderne. Nous croyons qu’il est tout aussi nécessaire d’étudier le passé récent. Une partie de ces groupes de musique ont disparu, une partie de ces scènes musicales aussi. Ces choses sont fragiles, on peut en perdre la trace facilement. On peut noter l’histoire orale liée à ces musiciens légendaires. Après la disparition des artistes et de leurs instruments, je crois qu’il serait assez difficile pour quelqu’un d’entreprendre une chose pareille – récupérer, redécouvrir ce que l’on n’entend pas dans la musique. Musique qui reste, naturellement, en première position. »
Le projet continue. L’étape suivante serait de regarder du côté des spécificités régionales des scènes rock et de la portée de cette musique dans différentes villes estudiantines. Ensuite, des sortes de capsules-musées pourraient voir le jour, qui mettraient en avant une partie de la collection du Musée du rock. Elles voyageraient à travers le pays, en lien avec des concerts ou des festivals, comme une sorte de laisser-passer en coulisses offert aux passionnés de musique. Des coulisses historiques, évidemment. (Trad. Elena Diaconu)