Les arbres hurlants
Ana-Maria Cononovici, 23.07.2019, 13:30
Dès que le bruit d’une tronçonneuse retentit dans la forêt, les arbres crient au secours. Non, ce n’est pas un scénario de science fiction. C’est une technologie appliquée en Roumanie aussi. « Screaming Trees » (Les arbres hurlants) est le nom de l’équipement installé en mai dernier pour être testé dans une forêt du comté de Covasna, dans l’est de la Transylvanie. La Roumanie devenait ainsi le premier pays européen à appliquer la technologie créée par la startup américaine Rainforest Connection. Gabriel Păun, initiateur du projet et président de l’ONG Agent Green, partenaire de l’entreprise américaine pour cette application, a expliqué pour Radio Roumanie :
« L’idée est née d’une réalité assez douloureuse : en Roumanie on vole du bois dans les forêts. Malheureusement, nous comptons parmi les pays d’Europe et du monde où la forêt doit être gardée, pour empêcher les coupes illégales. Ce n’est pas quelque chose de nouveau — hélas. Ce qui est nouveau, c’est notre tentative de trouver des solutions novatrices et accessibles du point de vue technologique. »
Le biologiste et écologiste roumain Gabriel Păun s’est vu décerner le prix Euronatur 2016, pour son implication dans la protection des forêts. Ce n’est pas un prix de nature matérielle ; il honore un engagement extraordinaire dans le domaine de la conservation de la nature et il a récompensé de grandes personnalités, dont le prince Charles, Nelson Mandela ou Mikhaïl Gorbatchev. Notre interlocuteur a mené des campagnes nationales et internationales pour protéger la nature et les animaux.
« J’ai été quelqu’un de très timide, mais pour les besoins de l’environnement, qui est le support de la vie pour nous tous, j’ai dû me faire entendre » — expliquait Gabriel Păun, en parlant de la détermination avec laquelle il s’efforce, depuis des années, de protéger l’environnement et de combattre l’inertie et la mauvaise foi que l’on doit affronter dans ce domaine. Le Congo, l’Indonésie et la Roumanie sont des pays où la technologie « Screaming Trees » est nécessaire pour protéger leurs forêts. Gabriel Păun, initiateur de ce projet en Roumanie et président de l’ONG Agent Green :
« La Roumanie est le premier pays de la zone tempérée du globe à accueillir cette technologie, qui a été essayée jusqu’ici uniquement dans des forêts tropicales de l’Amazonie, du Congo ou de l’Indonésie, pays où l’on vole du bois et où les dernières forêts vierges sont en danger, tout comme chez nous. Là-bas, cette technologie est un peu plus facile à appliquer, les pluies tropicales étant le seul problème à surmonter, il n’y a pas le froid, comme chez nous. »
A l’aide de smartphones installés dans les arbres, la forêt peut appeler à l’aide quand le bruit d’une tronçonneuse ou d’un poids lourd ou encore des coups de fusil y retentissent. Ce système d’alarme a affronté avec succès son premier hiver en Roumanie.
« J’ai travaillé avec plusieurs ingénieurs de Californie pour mettre au point une technologie apparemment simple, mais qui, en fait, n’est pas si simple que ça. Pratiquement, on emploie de vieux smartphones, que l’on installe dans les arbres, le plus haut possible, car le signal y est meilleur et il y a plus de soleil pour recharger leurs accus. Ces téléphones intelligents sont connectés à des amplificateurs et des antennes supplémentaires sont installées, pour améliorer la qualité du signal. En fait, le smartphone fonctionne comme un terminal ; grâce à un logiciel créé par les ingénieurs californiens, son micro capte les sons pour lesquels il est programmé. Un seul terminal couvre 1 km² — ce qui est, quand même, beaucoup. »
Plusieurs dizaines d’appareils « Screaming Trees », mis en place grâce aux donations et au bénévolat, sont en train d’être testés dans deux forêts du comté de Covasna. En ce moment, un bénévole veille dans chacune des deux forêts, pour recevoir l’alerte et tâcher d’éviter les activités illégales. Gabriel Păun :
« Nous avons là-bas un habitant des parages qui se rend tout de suite sur les lieux quand une alerte est lancée et surprend les voleurs, qui ne savent pas d’où est apparu ce gardien. C’est la prévention, en fait, le côté magnifique de ce projet, qui est censé arrêter les crimes forestiers ou les crimes contre les animaux sauvages avant qu’ils soient commis. Avec une technologie aussi simple on peut les prévenir, c’est ça qui est extraordinaire. »
Les initiateurs du projet souhaitent l’appliquer à plus grande échelle, mais pour cela, ils ont besoin de fonds. Et ils souhaitent aussi et surtout collaborer avec les responsables du domaine. Gabriel Păun:
« Le pas suivant que nous envisageons est de signer un protocole avec le ministère de l’Environnement, avec la Garde forestière et la Garde de l’environnement, afin de bénéficier de fonds suffisants pour couvrir toutes les forêts vierges du Catalogue national, toutes les forêts figurant au patrimoine de l’UNESCO et celles des zones strictement protégées à l’intérieur des Parcs naturels et nationaux. Là, jamais le bruit d’une tronçonneuse ne devrait se faire entendre. »
Selon l’ONG Agent Green, 38 millions de m3 de bois sont coupés chaque année, soit 20 millions de plus par rapport à ce qui est permis par la loi.
(Trad. : Dominique)