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Le taxi à bonbons

Plus de 10 mille taxis circulent dans les rues de la capitale roumaine. Comme partout ailleurs, la plupart de ceux qui les conduisent ont des histoires personnelles très intéressantes. Parmi eux se retrouvent de nombreux ingénieurs, d’ex-enseignants, des personnes aux formations les plus inattendues. Ne soyez donc pas surpris si, en montant dans un taxi, vous serez salués dans une langue de circulation internationale, après quoi vous pourrez entamer avec votre chauffeur une conversation sur les thèmes les plus divers, du foot à la philosophie en passant par l’histoire ou la politique…

Le taxi à bonbons
Le taxi à bonbons

, 19.10.2014, 13:32

Plus de 10 mille taxis circulent dans les rues de la capitale roumaine. Comme partout ailleurs, la plupart de ceux qui les conduisent ont des histoires personnelles très intéressantes. Parmi eux se retrouvent de nombreux ingénieurs, d’ex-enseignants, des personnes aux formations les plus inattendues. Ne soyez donc pas surpris si, en montant dans un taxi, vous serez salués dans une langue de circulation internationale, après quoi vous pourrez entamer avec votre chauffeur une conversation sur les thèmes les plus divers, du foot à la philosophie en passant par l’histoire ou la politique…



A Bucarest aussi, la concurrence est acerbe. Aussi, les chauffeurs de taxi tâchent-ils de fidéliser leurs clients. Aujourd’hui nous allons faire la connaissance de Cristian Roman. Ingénieur diplômé, il a dévié du parcours professionnel habituel tout d’abord suite à la révolution anticommuniste de ’89, et une seconde fois suite à la crise économique mondiale déclenchée en 2008 et qui a touché la Roumanie de plein fouet.



A l’époque, Cristian Roman avait investi son temps et son argent dans une étude visant à introduire dans l’industrie des producteurs de crosses de golf, un autre essence de bois: Valachian Willow — saule de Valachie. Malheureusement, la crise a anéanti ses projets et ses épargnes.



C’est ainsi qu’il est devenu chauffeur professionnel : « En tant que chauffeur de taxi, j’ai voulu faire quelque chose de spécial. Ce métier compte 90% de routine, il me fallait donc la compenser d’une façon ou d’une autre. Alors, je me suis dit que je devais trouver un moyen de me faire connaître. Mais comment ? Hé bien, en offrant des bonbons, que j’enveloppais moi-même. Si la personne qui reste avec moi 5, 7 ou 10 minutes se sent à l’aise et s’y plaît, une partie de cet état de bien-être reste dans ma voiture. Par conséquent, moi, qui y passe 10 à 14 heures par jour, je bénéficierai de cet état-là. De cette façon, mon passager devient mon invité. »



Ainsi, la voiture de Cristian Roman est-elle devenue « Le taxi à bonbons » Ce n’est pas la première voiture de ce genre que M. Roman conduit. L’histoire est beaucoup plus ancienne, elle remonte aux années ’90 : « Dans les années ’90, les carrefours foisonnaient d’enfants des rues qui lavaient les pare-brise des autos arrêtées au feu rouge — c’était une forme de mendicité. J’ai décidé de ne pas donner leur de l’argent, car je savais très bien que les sommes ainsi gagnées remplissaient les poches de leurs « managers », qui se tenaient non loin, cachés dans les buissons. J’ai décidé de leur donner des bonbons. Ma bagnole personnelle était devenue tellement connue Place Unirii, que lorsque j’arrivais aux feux, j’entendais ces jeunes s’annoncer les uns les autres : ‘Hé, les gars, la voiture à bonbons est là !’ Et ma voiture était prise d’assaut par les enfants. »



Actuellement, les jeunes nettoyeurs de pare-brise ont presque disparu des carrefours. Cristian Roman attend en échange ses clients avec des notes autocollantes et des feutres de différentes couleurs, ainsi qu’avec 3 sortes de bonbons. Aux adultes, il offre des bonbons au café, aux enfants — des bonbons aux fruits et aux tout-petits — des bonbons en gelées. Evidemment, pas à tous, mais uniquement à ceux qui, à l’invitation du chauffeur, acceptent de dessiner ou de participer au jeu « Reconnaissez le chanteur ».


Cristian Roman : « Les enfants, je les récompense en leur offrant des tas de bonbons. Ils n’arrivent pas à dessiner suffisamment pour avoir tous les bonbons que je leur offre. Les enfants ne veulent plus descendre de ma voiture et je les entends souvent dire : « Mamie, encore un dessin et nous descendons. » Vous ne pouvez pas imaginer la joie que peut vous apporter un enfant heureux. Quand il vous dit : « Je t’en prie, ne pars pas ! », votre cœur bat la chamade. »



Les adultes qui dessinent ont droit à la reine des bonbons : un grain de café trempé dans de la mente et enrobé de chocolat. Pour ceux qui devinent une mélodie que Cristian Roman leur fait écouter — sans avoir recours à des moyens informatiques, la récompense est plus grande : tout le contenu du panier à bonbons.



Et ce sont toujours les enfants qui font la surprise — confesse Cristian Roman : « La plus grande surprise de ma carrière de chauffeur de taxi, je la dois à une petite demoiselle de 10 ans qui m’a tout pris. Elle étudiait le piano au lycée de musique « Dinu Lipatti ». Je lui ai dit : « Je vais mettre un musicien que presque personne ne connaît comme pianiste, on le connaît uniquement en tant que compositeur et chanteur. Si tu le reconnaît, je te donne tous mes bonbons. J’ai mis le CD et je lui ai donné trois essais pour deviner. La première fois, elle s’est trompée. La deuxième fois, elle a été plus près de la réponse. La troisième fois, elle m’a chuchoté à l’oreille : « Ray Charles? » J’ai gardé le silence pendant un petit instant, pour créer un peu de suspens, comme on fait d’habitude à la télé, puis j’ai dit : « ding ding ding », je lui ai jeté, sur le siège arrière, tous les bonbons que j’avais et je lui ai dit : « Tu me laisse sur la paille ; tu m’oblige à rentrer chez moi ! ». Une fillette de 10 ans connaissait Rey Charles, avait écouté sa musique et avait même une chanson préférée parmi celles qu’il avait écrites. Ça c’est quelque chose. »



Evidemment, tout le monde ne reconnaît pas des chansons, tout le monde ne dessine pas. Cristian Roman doit pourtant réfléchir avant de dire s’il a jamais rencontré un client vraiment grincheux : « Il y en a très peu, car chaque taxi a les passagers qu’il mérite. J’ai eu des grincheux qui se sont laissés entraîner par le jeu, qui ont été influencés par les énergies positives restées dans la voiture ; j’ai eu des grincheux qui, après être descendus du taxi, ont regretté de ne pas avoir accepté les jeux que je leur avais proposés, mais des ultra-grincheux, non, je n’en ai jamais eu. »



Les dessins réalisés par les clients du Taxi à bonbons sont laminés et ensuite vendus, dans le cadre de certains programmes conçus par Cristian Roman : « On a eu deux programmes : le premier visait à collecter des fonds pour les enfants du centre de placement immédiat « Cireşarii ». Nous avons organisé une vente aux enchères où le prix de départ d’un dessin était de 50 bani — soit 10 centimes d’euros environ — pour un marque-page. Pour le 1er juin, la Journée internationale de l’enfant, nous avons offert aux gosses des bonbons. Actuellement, je prépare un autre programme : une exposition au salon de thé Serendipity: marque-page contre livres pour enfants. Mes collègues ont déjà déclenché une collecte de livres pour enfants — pas nécessairement nouveaux, qui seront distribués dans les hôpitaux de pédiatrie de Bucarest. Si le nombre de bouquins est suffisamment grand, on pourra en envoyer dans d’autres villes aussi. Et je profite de l’occasion pour vous annoncer la création de la bibliothèque « Le taxi à bonbons ».



Voilà l’histoire de l’ingénieur Cristian Roman, le chauffeur du taxi à bonbons. Si jamais il vous arrive de monter sa voiture, ne refusez pas le jeu qu’il vous propose. Et tâcher de gagner la reine des bonbons. Rien ne peut se comparer au goût du grain de café trempé dans de la menthe et enrobé de chocolat. (Trad. : Dominique)

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