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Le Royaume des dragons

Nous vous emmenons aujourd’hui à 11 km de Bucarest, sur l’ancienne route menant à la mer. Pour arriver au Royaume des dragons, la route traverse une forêt et un lac, passe près du monastère de Pasărea et se cache ensuite derrière quelques vinaigriers qui poussent çà et là au bord d’un champ apparemment abandonné. Comme dans les contes de fées, l’absence de toute forme de vie n’est qu’apparente; persévérance !

Le Royaume des dragons
Le Royaume des dragons

, 24.04.2014, 14:56

Nous vous emmenons aujourd’hui à 11 km de Bucarest, sur l’ancienne route menant à la mer. Pour arriver au Royaume des dragons, la route traverse une forêt et un lac, passe près du monastère de Pasărea et se cache ensuite derrière quelques vinaigriers qui poussent çà et là au bord d’un champ apparemment abandonné. Comme dans les contes de fées, l’absence de toute forme de vie n’est qu’apparente; persévérance !



En deuxième vitesse, parcourez le chemin en dalles de béton, enfoncées par endroit, qui mène à des maisons peintes en jaune. Derrière les hauts portails en bois, vous découvrirez les plus beaux chevaux du monde. Ce sont les 5 dragons – Călin, Decebal, Rafael, Willow et Loverboy de leur nom. Les trois derniers sont des Tinker — des chevaux tout à fait spéciaux. Ils ont des crins et des fanons abondants, des jambes fortes et une apparence trapue. Vous les trouverez à chaque fois fraîchement brossés, à la robe, généralement pie, luisante de shampooing et aux crinières tressées. Pour arriver jusqu’à eux, il faut d’abord passer devant Zâna, Mitică et Nero, trois des huit chiens friands de caresses qui vivent en liberté dans ce Royaume des dragons. Après, il s’agit de ne pas marcher sur la queue d’un chat. Car il y en a tant, que l’histoire ne retient même pas leurs noms.



L’histoire de cet endroit commence en 2011, dans un refuge pour chevaux abandonnés de Bucarest. Cela s’appelle Steaua speranţei — l’Etoile de l’espoir – et c’est la station terminus pour les chevaux dont personne ne veut, bien des fois trop vieux pour tirer la charrette et abandonnés à leur sort sur un champ quelconque. Teodora Bănduţ, propriétaire du Royaume des dragons, raconte: «Mon mari a trouvé par hasard le refuge pour chevaux abandonnés sur Internet, et il m’a dit : « allons y jeter un coup d’œil ». Cette structure pour chevaux abandonnés avait été construite par la municipalité avec l’appui d’une fondation. Ils apprennent l’existence de cas désespérés, sont annoncés et se déplacent pour les récupérer. Il s’agit de chevaux abandonnés, récupérés à l’aide de la police, des chevaux abusés, en général ».



A L’Etoile de l’espoir, Teodora et son fils, Tudor, ont connu Călin et Decebal, des chevaux de trait que les propriétaires n’aimaient pas vraiment. Un moment inoubliable, se souvient Teodora Bănduţ: « Ça a été le coup de foudre entre mon fils et Decebal, et pour moi c’était Călin… J’ai souhaité désespérément sortir Călin de là, même s’il y était bien — beaucoup mieux que chez son ancien propriétaire, qui le battait avec des chaînes et avec des barres de fer, comme cela arrive encore en Roumanie, malheureusement. Decebal a été lui aussi un cheval de trait, trouvé abandonné quelque part dans ce vaste monde ».



Au début, ce fut une adoption à distance. La famille de Teodora Bănduţ contribuait par des sommes mensuelles aux soins prodigués à ces deux chevaux à l’Etoile de l’espoir. Secrètement, l’époux de Teodora oeuvrait pour lui faire une grande surprise : sur un terrain à proximité de Bucarest, il a fait construire une étable comme on n’en voit que dans les films, avec des box spacieux et un paddock, préparé pour l’adoption « pour de vrai ». « J’ai senti qu’il se passait quelque chose. J’ai mis un peu de pression et j’ai appris… j’ai frémi seconde après seconde, jusqu’à ce que tout soit prêt. Ça l’a été très vite et je pense que ce jour-là, l’intensité des sentiments a été tout aussi forte pour moi que le jour où j’ai accouché de mon enfant ».



Et comment ne pas être émus lorsque dans le box, il n’y avait pas seulement Călin et Decebal, mais aussi deux autres chevaux, d’anciens champions que le club Steaua vendait aux enchères, pour leur éviter l’abattoir ? Teodora Bănduţ raconte : « On a lancé les travaux le 1er octobre 2011 et le 11 décembre, deux mois plus tard, il y avait six chevaux dans l’étable. D’abord les vieux, Călin et Decebal, un pur-sang arabe du haras de Mangalia, repris à quelqu’un d’autre, sur contrat. C’était quelqu’un qui ne pouvait plus le garder — une vraie beauté, ce cheval ! Et Rafael… Rafael a été la plus grande surprise. Voici quelques années, en voyant un Tinker courir dans un pré verdoyant, je m’étais exclamée : « Mon Dieu, quel ondoiement ! » Mon mari avait retenu cette exclamation et me suis retrouvée avec un Tinker sans l’avoir demandé… Je n’ai pas beaucoup de mots pour décrire comment je les ai vus tous les six dans l’étable… Finalement, j’ai réussi à les prendre en photo lorsqu’ils avaient tous sorti leurs têtes par-dessus la clôture. J’ai alors dit : « Je pense que c’était ce que je voulais voir ». Un endroit où ils puissent retrouver la paix, un abri, les vieux — qu’ils vivent en paix le restant de leur vie, sans être importunés, ni battus par quiconque, et qu’ils soient bien nourris. Et que Călin trouve sa paix, on travaille avec lui et on continuera à le faire, c’est un cheval à part. Tout le monde a été heureux ».



Entre temps, les champions sont morts de vieillesse. Decebal et Călin vont bien, ils vivent bien, avec tous les autres chiens, chats et autres animaux, venus les rejoindre ou apportés là. Maintenant, au Royaume des dragons, il y a trois Tinker et Teodora compte faire un élevage. En attendant d’acheter une jument de cette même race, elle accueille Loverboy et Willow, des chevaux qui se plaisent dans la présence des enfants et des carottes que ceux-ci leur offrent à chaque fois qu’ils viennent leur rendre visite. Même si cet endroit avait été conçu comme privé, cette année, Teodora Bănduţ essaiera d’ouvrir ses portes à tous ceux qui aiment les chevaux. « L’année dernière, nous avons commencé par accueillir les camarades de maternelle de Tudor. Ils ont beaucoup aimé, ils ne voulaient plus partir ! Nos amis, qui ont des enfants, ont fait venir d’autres amis avec leurs enfants et ainsi de suite. C’est alors que l’idée nous est venue. C’est l’année du cheval de bois, et il faut mettre notre idée en œuvre ».



Qui va une fois au Royaume des dragons ne peut pas s’empêcher d’y revenir. Cristina Niţă, une des amies de Teodora Bănduţ qui a des enfants, explique pourquoi. « C’est un endroit merveilleux, on y recharge ses batteries, les enfants peuvent courir tant qu’ils veulent, ils tombent amoureux des chevaux, des autres animaux, ils retrouvent le plaisir de jouer en plein air, comme nous, quand on était enfants. C’est un endroit de rêve ; si je pouvais, j’y emménagerais, je prendrais soin des chevaux, je m’occuperais de leurs dents uniquement pour y rester plus. C’est calme, l’air est pur, les gens sont super, c’est le paradis. Si tous ceux qui ont des chevaux dont ils ne veulent plus pouvaient les emmener auprès de gens au grand cœur qui s’occupent d’eux, le monde serait un peu meilleur. Malheureusement, beaucoup les abandonnent dans les champs ou les tuent ou je ne veux même plus penser qu’il y en a qui les emmènent aussi à l’abattoir ».



Avant le crépuscule, à l’heure d’or, comme l’appellent les photographes, cet endroit est enveloppé dans une lumière ambrée. Derrière la cour des dragons, il y a un champ de blé, qui verdit, mais vous pouvez certainement anticiper son ondoiement d’océan doré d’ici quelques mois. Et maintenant, il ne vous reste plus qu’à fermer les yeux et à imaginer les chevaux, leur crinière flottant au vent. Vous voudrez certainement aller au Royaume des dragons. ( trad.: Ligia Mihaiescu)

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