La vie est une exposition ou l’exposition est un mode de vie ?
Ana-Maria Cononovici, 07.02.2022, 19:58
Ils sont artistes, de Roumanie et d’Allemagne,
et ont choisi de rester ensemble pendant la pandémie plutôt que de jouer les ermites.
Lorsque plusieurs artistes passent autant de temps ensemble, à discuter, à explorer
les espaces urbains ou à partager leur chambre, rien d’étonnant à ce que cela
donne lieu par la suite à une exposition. Rien d’étonnant non plus que dans cette
exposition les artistes partagent leur expérience de groupe : le personnel
vs le collectif, l’universel vs l’individuel, le privé vs le public, le temps
libre vs le travail. Catinca Tăbăcaru et Daniela Pălimariu relatent l’exposition
Staycation et le projet dans son ensemble au micro de RRI.
Catinca Tăbăcaru : « Staycation est né de la pandémie car nous avions tous besoin de
trouver un espace de détente, un espace bien à nous, tout en restant chez nous.
Nous l’avions envisagé comme une rencontre, non comme une exposition. Nous nous
sommes réunis en juillet. Nous étions 6 artistes de Berlin et 6 de Roumanie. Avec
Daniela Pălimariu de Sandwich et Rachel Monosov du collectif CTG, nous avons décidé
de passer 7 jours ensemble. Nous étions 12 artistes, 12 personnalités créatives,
nous avons fait notre propre pain, nous nous sommes promenés dans le delta de Văcăreşti,
nous avons refait le monde pendant des heures, en parlant de l’écologie, de la
pandémie et de la vie en général. »
Daniela Pălimariu nous explique comment l’équipe
s’est organisée : « Chacune de nous
trois, Catinca, Rachel et moi-même, devions proposer un nombre de jeunes artistes
en devenir, venus de Bucarest ou de Berlin. Nous en connaissions certains, d’autres
avaient simplement éveillé notre curiosité. C’est comme ça que notre groupe s’est
un peu créé tout seul. Les liens se sont tissés entre nous, notre relation s’est
approfondie. Nous avons pris ce temps-là en juillet, et c’est ainsi que l’exposition
a pu voir le jour. Nous voulions que les artistes travaillent différemment, sur
différents sujets, avec un angle différent. Nous cherchions un genre d’artiste,
des artistes vraiment impliqués, prêts à s’investir sur le long terme. Ce genre
de chose se reflète dans leur pratique et leur façon de travailler, mais aussi
dans leur façon de communiquer et dans leur professionnalisme. On observe que
les très jeunes sont éduqués et prêts à entretenir la relation sur le long
terme. »
Catinca Tăbăcaru nous raconte comment les
artistes ont découvert le meilleur moyen de collaborer et de communiquer : « J’ai
participé à de nombreuses résidences, et l’on ressent systématiquement une
forme de frustration, de tension. Cette fois-ci nous avons choisi des artistes
aussi bien pour leur activité que pour leur élégance, leur ambition et leur générosité.
Nous sommes partis de l’idée de ralentir notre rythme, car nous subissons tous
ce rythme frénétique, nous avons pris le parti de tout faire beaucoup plus
lentement : nous sommes allés au marché, nous avons acheté directement nos
produits auprès des agriculteurs, nous avons cuisiné ensemble, nous avons
discuté de sujets importants pour notre nous, nous nous sommes promenés dans le
delta de Văcăreşti, c’était l’un des meilleurs moments d’ailleurs, et nous avons
dormi. L’une des artistes, originaire de Taïwan, a créé une méditation à
laquelle nous avons tous pris part. L’idée étant de méditer tous ensemble, de
dormir ensemble et de rêver ensemble. En tant qu’adulte on a rarement ce genre
d’idée. Les enfants, eux, dorment ensemble, mais nous les adultes, très peu.
Nous avons donc tout mis en place pour créer cette atmosphère de bien-être et d’écoute,
laissant de côté la parole et les anciennes habitudes, même s’il nous est
arrivé de beaucoup discuter. »
Yen Chun Lin, Isabella Fürnkäs, Lexia
Hachtmann, Bethan Hughes, Lera Kelemen, Barbara Lüdde, Catinca Mălaimare,
Rachel Monosov, Daniela Pălimariu, Ana Pascu, Ioana Stanca, Ana-Maria Ștefan sont
les artistes ayant participé au projet. Le résultat de cette expérience peut
être admiré à la Galeria Catinca Tăbăcaru et chez Sandwich Malmaison jusqu’au 12
février. Qu’y verra le public ? Daniela Pălimariu répond : « La
deuxième galerie, Sandwich of Space, est une extension de la galerie Sandwich
inaugurée en 2016. Les travaux exposés dans ces deux espaces sont différents. On
y trouve des installations de tailles variées, des peintures, des sculptures,
des céramiques, des installations vidéo, ou encore la performance de l’artiste Catinca
Mălaimare, visible dans l’espace Sandwich of Space, dans l’immeuble de Malmaison,
au 2e étage. Il s’agit d’une seule et même exposition, visible dans
deux espaces différents. Evidemment, beaucoup d’œuvres sont inspirées de l’expérience
vécue l’été dernier et des liens que nous avons tissés à ce moment-là. On retrouve
beaucoup de références claires et concrètes au groupe, le nombre 12 apparaît
dans beaucoup d’œuvres ou images de cette expérience commune. Mais cela reste subtil,
et chaque artiste a eu carte blanche pour exprimer son propre ressenti sur
cette expérience, ce qui s’observe dans les travaux de chacun. »
L’exposition est la partie la plus visible
du projet. Elle est le point d’orgue de ce symposium de l’été 2021, au cours
duquel les participants de sont rencontrés et ont découvert la ville de
Bucarest. Les artistes ont trouvé un moyen de survivre à la pandémie, sans se
perdre en chemin, et c’est le plus important. (Trad. Charlotte Fromenteau)