Invitation à la bibliothèque vivante
Au début la Bibliothèque ne disposait que de huit livres qui pouvaient être empruntés par les lecteurs de la bibliothèque et lus du début jusqu’à la fin. Sachez pourtant que les livres sont des personnes qui s’étaient confrontées à des problèmes psychiques et que la « lecture » est une sorte d’entretien tête à tête déroulé lors d’un événement appelé la « Bibliothèque vivante ». En effet ces « livres » vivants racontent au lecteur l’histoire de leur vie et parlent notamment leurs problèmes psychosociaux. Ces réunions sont organisés par le groupe « Je décide pour moi-même », le premier groupe d’initiative civique de Roumanie formé de personnes à handicap psychosocial.
Ana-Maria Cononovici, 15.03.2015, 14:57
Au début la Bibliothèque ne disposait que de huit livres qui pouvaient être empruntés par les lecteurs de la bibliothèque et lus du début jusqu’à la fin. Sachez pourtant que les livres sont des personnes qui s’étaient confrontées à des problèmes psychiques et que la « lecture » est une sorte d’entretien tête à tête déroulé lors d’un événement appelé la « Bibliothèque vivante ». En effet ces « livres » vivants racontent au lecteur l’histoire de leur vie et parlent notamment leurs problèmes psychosociaux. Ces réunions sont organisés par le groupe « Je décide pour moi-même », le premier groupe d’initiative civique de Roumanie formé de personnes à handicap psychosocial.
Voyons quelle est l’histoire de quelques-uns des « livres » de la Bibliothèque vivante. Commençons par Catalin, 37 ans. Il y a trois ans il a eu son premier épisode psychotique lorsque cet ex-introverti s’est mis à hurler. Son diagnostic : schizophrénie paranoïde. Jusque-là, Catalin avait terminé les cours de l’Ecole nationale de Sciences politiques de Bucarest à la Faculté d’Administration publique et était déjà passé par plusieurs emplois. Le motto du livre qu’il avait représenté dans la « Bibliothèque vivante » est : « C’est à nous de réaliser ce que nous nous proposons ». Pourquoi ?
« Je ne suis pas si jeune : tout ce que je me suis proposé, je l’ai réalisé, même si avec d’importants sacrifices. J’étais plutôt introverti et j’avais beaucoup de temps libre. Quand on est seul, on peut faire toute sorte de choses. On peut nouer ses doigts, comme les petits. Mois je peux faire beaucoup de choses avec mes pieds et mains par exemple. Rien qu’un exemple, lorsque j’ai eu l’épisode psychotique, j’étais lié et je réussissais à me libérer tout seul. J’étais une sorte de Houdini. »
Après son épisode psychotique, Catalin n’a plus trouvé d’autre emploi que celui de vigile. Il a dû tirer la sonnette d’alarme : « C’est ce qu’on fait. On travaille, on bosse énormément et on dit que tout va bien. On boit un café, on prend une douche chaude, chacun a son petit secret. Le mien, c’est la douche chaude. La meilleure solution c’est d’être relax. »
J’ai ensuite choisi Filip à la « Bibliothèque ». Il a 41 ans et une licence en Droit à l’Université de Bucarest. Il a travaillé comme journaliste, est passionné de littérature, d’histoire et de montagne, et actuellement collaborateur à une ONG oeuvrant dans le domaine des droits de l’homme. Un diagnostic de trouble affectif bipolaire a fait ses plans changer : « Je ne peux plus arriver là où je souhaitais à 19-20 ans, ça, c’est clair. Pourtant, je suis plus équilibré qu’avant, plus apaisé ; je peux encore arriver jusqu’à mi-chemin ou même plus loin, cela dépend des circonstances, et aussi de ma volonté. Je me suis senti à la frontière entre deux mondes. Je suis sur la ligne de démarcation et je ne peux pas vraiment pénétrer ailleurs, autrement que par des emplois genre courrier, et cela est frustrant ».
Et parce qu’il a choisi d’être un des livres censés convaincre de réduire les partis pris en matière de personnes avec des problèmes psychosociaux, Filip a aussi quelques suggestions : « En Occident, les patrons embauchent des personnes handicapées, et bénéficient de certaines facilités fiscales, qui existent ici aussi, sauf que les patrons ne s’y intéressent pas trop. A propos de suggestions, je proposerais qu’une émission soit réalisée au centre Trepte de l’hôpital de psychiatrie Obregia de Bucarest. Il y a beaucoup plus de livres là, et c’est ainsi que les mentalités peuvent changer. Il y en a pas mal, je ne sais pas exactement, parce que certains réussissent à trouver un emploi, ils y viennent pendant un certain temps, puis s’en vont, et s’ils ont des échecs dans la société, ils reviennent. »
Andreea a 28 ans. Il y a quatre ans, à la fin de ses études de mastère de Théorie de l’art, elle a vécu l’expérience d’un épisode dépressif sévère. Elle a alors choisi de devenir une sorte de livre vivant, d’apporter sa pierre à l’effort de mieux comprendre les gens confronté à des problèmes psychosociaux. Voici son histoire: « Mon esprit ayant brusquement refusé de collaborer, j’ai préféré l’isolement, le confinement, en attendant la fin de cette période que je ne pouvais pas gérer toute seule. J’ai même été internée. Au bout d’un bon bout de temps, les choses sont revenues à la normale. J’ai essayé de reprendre ma vie d’avant. Je me suis laissé bercer par l’illusion que tout irait mieux si je m’impliquais dans des projets assez importants, mais malheureusement ils ont échoué. J’ai replongé dans le trou noir de mon existence, mais puisque je savais déjà à quoi m’attendre, j’ai été moins paniquée. J’ai patienté et je me suis redressée. A présent, je m’efforce de mener à bien les projets dans lesquels je suis impliquée, par exemple celui avec Active Watch et qui suppose le travail, aux côtés de ma sœur, dans son atelier de céramique. »
Carmen, 24 ans, est diplômée de la Faculté de communications et de relations publiques. Elle travaille actuellement au sein d’une ONG de management artistique. En 2014, les médecins lui ont a posé le diagnostic de trouble dépressif unipolaire. Les premiers symptômes ont été les difficultés à faire les choses les plus simples, parfaitement normales pour le reste du monde : «Me lever du lit, mettre mes pantoufles… c’est trop difficile pour moi, alors je reste au lit. A mesure que le temps passait, j’ai commencé à en parler à mes parents, j’ai pu dire à mes collègues de travail que j’avais un problème. Ils ont été très ouverts et ils m’ont acceptée. Mais il y a eu aussi des gens qui ne m’ont pas crue, qui m’ont demandé si je ne me faisais pas trop de soucis».
Carmen est devenue par la suite un des livres de la bibliothèque vivante. Voici le message qu’elle a voulu transmettre à ses lecteurs : « Ce n’est pas moi qui vous parle pour la première fois de la dépression. De nombreux autres livres en parlent. Il existe de véritables chefs-d’œuvre, des livres extraordinaires à ce sujet. Moi, j’ai choisi de m’exposer, de briser un tabou qui existe encore. Voilà ce nous sommes en train de faire. Un livre que j’ai découvert récemment m’a beaucoup aidée en ce sens. Il s’agit du «Diable intérieur» écrit par Andrew Solomon. C’est le livre qui m’a pratiquement éveillée ».
Chers amis, notre lecture de livres vivants s’arrête ici pour l’instant. Mais nous rouvrirons sans doute cette bibliothèque pas comme les autres, car il nous reste encore plein d’histoires à découvrir. (Trad. Mariana Tudose, Alexandru Diaconescu, Valentina Beleavski)