Ils sont SDF et artistes
Dans lambiance somptueuse des Galeries Romană du centre ville bucarestois, un groupe de 11 adultes sans domicile fixe ont réuni leurs tableaux dans le cadre de la première exposition de peinture et dart graphique des SDF. Organisé sous légide de lassociation Samusocial de Roumanie, lévénement se propose doffrir aux sans-abris la possibilité de faire part de leurs expériences personnelles à travers lart. A la veille du vernissage, les tableaux ont été couverts de haillons que les visiteurs ont dû enlever pour découvrir les tableaux et implicitement lunivers personnel de tous ces désenchantés que souvent on juge sans les connaître.
Ana-Maria Cononovici, 21.08.2016, 13:10
Anca Florea est éducatrice spécialisée en arts plastiques et coordinatrice du projet « Des gens à travers lart »: « Lidée du projet mappartient. Je me suis proposé de travailler avec toute sorte de catégories de personnes, justement pour messayer dans des directions différentes et sortir un peu du train-train quotidien. Et jai eu la surprise de trouver beaucoup de potentiel artistique chez les sans-abris. Il y en a eu parmi eux certains qui avaient vraiment les prémisses de se développer dans cette direction. Et je me suis dit, tiens, peut-être quil y en a plusieurs comme ça ! Cest à ce moment-là que lidée du projet mest venue à lesprit. Par la suite, jen ai parlé à Samusocial qui avait déjà un atelier occupationnel à lintention des gens de la rue. Et on a décidé dinclure le projet artistique à lagenda de latelier pour en faire un atelier plus ample dart, peinture et art graphique. Je me suis impliquée dans cette direction, car je voulais vraiment aider les sans-abris à développer leurs capacités dexpression et les habiletés artistiques. Jai été vraiment surprise de trouver parmi eux des personnes tellement ouvertes et prêtes à sadonner à la création ».
Lexposition nous invite à mieux connaître ces personnes défavorisées, en privilégiant leurs capacités de création au détriment de leur situation de vie. Il suffit de regarder leurs travaux pour quune question simpose : qui sommes-nous et quelles sont les qualités que chacun dentre nous renferme en soi ? Suite à son expérience de travail avec les SDF inscrits par le Samusocial aux ateliers de création, Anca Florea conclut : ce projet met en lumière le besoin humain absolu de beauté.
Que je vous raconte lhistoire dune personne nayant fréquenté mon atelier quune seule fois, dit Anca Florea : « Le matin, quand je suis arrivée au travail, lui il mattendait déjà devant la porte. On a fait connaissance et puis quelquun mavait dit quil avait passé toute la nuit dans la rue. Je lui ai donc demandé où il avait dormi et il ma dit quil navait pas dormi, juste marché. Comme il faisait très froid, le gel la empêché de dormir. Alors, il a marché toute la nuit pour ne pas mourir de froid et pourtant, le matin, il est venu à mon atelier. Il ne sen est pas plaint. En ce jour-là, je me rappelle avoir choisi pour mon atelier un thème technique et lui, il mavait dit : donnez-moi une feuille de papier pour vous faire quelque chose de beau ! Je fus impressionnée de voir son besoin de produire de la beauté après une nuit pleine de souffrances. Je pense que ce besoin, on la tous : compenser la tristesse par la beauté ! Cest ce que je me propose de faire par mes ateliers ».
Nous avons demandé à Anca Florea comment elle a trouvé les élèves et comment elle leur a fait découvrir lart : « Je les ai trouvés sympas. Au début, ils ont manifesté une certaine retenue, parce que je nai plus eu de telles expériences, cétait pour la première fois que je travaillais avec des personnes sans domicile. Mais ils étaient également très réceptifs et très ouverts et lambiance dans latelier était très agréable. Cest dire que je me suis sentie à laise avec eux, nous avons plaisanté, ri, nous avons également travaillé et ce sont des personnes respectueuses avec lesquelles on peut sentendre et on peut travailler. Pour les guider, jai essayé de faire trouver sa voie et son propre style à chacun, et à trouver des sujets pour la peinture et le dessin en eux-mêmes. En fait, cest ce quelle présuppose, une œuvre dart, y mettre du sien. Et jai essayé de leur donner quelques indices de technique ; lorsque je travaille dans des ateliers de développement personnel, jessaie de faire les gens trouver leur propre voie et il me semble avoir réussi. Déjà, chacun a commencé à construire son propre style. Ils travaillent ensemble, mais chacun a son propre style et trouver ses moyens dexpression, cela me semble important. »
Liviu Lucian Marcu est un des artistes exposants et il nous a parlé de ses peintures, issues de sa joie de vivre, comme leurs titres lindiquent : Table bruyante, Chiffon gai. « Moi, jai été un ivrogne, jai aimé la vie, donc voilà, ça, ce serait contre Brâncuşi : moi, je suis Moldave, lui, il est dOlténie ; lui, il a la Table du silence, moi, jai la Table bruyante. Cette table devait porter des verres renversés, des ivrognes, des magnétos à cassette, un ivrogne qui dort sur la table. Je nai pas pu peindre tout ça, parce que cest difficile et cétait ma première peinture. Je vais lélargir dans un proche avenir. Je lespère. Je vais reprendre mes travaux et les faire comme il faut. »
Bogdan Florin Ionescu peint des visages: « Jai peint des gens, les copains, dans latelier de peinture. Je navais jamais peint avant, cela ma détendu, au début jai dit que cétait un jeu et il ma détendu, et puis, jai commencé à aimer cela. »
Une vingtaine de gens sont passés à latelier, mais il y en a eu 4 constamment, pas les mêmes à chaque fois, et nous avons 11 exposants, selon lorganisatrice du projets « Des gens par lart ». Et cela parce que les horaires des cantines sociales sont différents, et les gens ne peuvent pas toujours arriver à latelier, mais quand ils sont là, ils peignent avec joie, assoiffés de beauté. (trad.: Ioana Stăncescu, Ligia Mihăiescu, Alex Diaconescu)