Delta au cœur de la ville
Renommé pour ses beaux bâtiments, ses églises, ses rues qui ont conservé l’air du temps jadis et pour sa riche vie culturelle, Bucarest pourrait se faire connaître et apprécier également pour avoir développé à l’intérieur une aire naturelle protégée. C’est que la nature a des moyens de conquérir l’asphalte et de vivifier les zones abandonnées. Ce fut aussi le cas du Parc de Văcăreşti, aire naturelle protégée créée par l’eau qui s’est infiltrée dans l’espace creux qui allait devenir le Lac de Văcăreşti – un projet auquel on avait renoncé depuis longtemps. C’est ainsi que s’est formé un écosystème aquatique comportant des marais, des jonchaies, une jeune forêt de saules… Y vivent des mammifères, des amphibiens, des reptiles et des oiseaux.
Ana-Maria Cononovici, 21.06.2015, 13:30
Dan Bărbulescu, directeur de l’Association « Le Parc naturel de Văcăreşti », nous explique comment est née cette idée. « Ce parc est plus qu’une idée, c’est une réalité, parce que nous parlons d’une zone naturelle authentique accueillant de nombreuses espèces – notamment d’oiseaux. Cet écosystème oblige les autorités roumaines à lui conférer le statut d’aire naturelle protégée. Certes, tout est né d’une idée. Il y a trois ans, les initiateurs de ce projet ont publié dans la revue « National Geographic » un dossier comportant des photos et des données scientifiques sur « Le delta entouré de bâtiments » – comme nous nous plaisons à l’appeler. En fait, ce n’est pas tout à fait un delta, mais une zone humide qui deviendra la première aire naturelle urbaine protégée de Roumanie. »
Comment a évolué cet écosystème et quelles sont aujourd’hui ses particularités ? Dan Bărbulescu explique: « En 1989, lorsque le projet de créer le lac Văcăreşti a été abandonné, l’endroit où se trouve à présent ce magnifique écosystème était désert. C’était un chantier entièrement dépourvu de végétation. Dans le quart de siècle écoulé depuis, la nature en a pris possession et actuellement une centaine d’espèces d’oiseaux – pour la plupart aquatiques – y arrivent chaque année. 45 d’entre elles sont protégées par les lois roumaines et européennes : canards et oies sauvages – y compris le fuligule nyroca – différentes espèces de hérons, aigrettes, cygnes, rapaces nocturnes. Nous avons une famille de busards des roseaux qui y revient chaque année. Il s’agit d’oiseaux très sensibles, tout bruit les aurait chassés de Văcăreşti. Ils y trouvent de la nourriture en abondance, ils se sentent en sécurité et ont bâti leurs nids au centre de la ville. La plupart d’entre eux arrivent de Comana, du véritable delta de la rivière Neajlov, situé à une quarantaine de kilomètres au sud de Bucarest. A part les oiseaux, nous avons des loutres. La loutre est un mammifère protégé, lui aussi très sensible. Sa présence prouve la qualité et la pureté de cette aire naturelle. S’y ajoutent des renards, des belettes et différentes espèces de reptiles. C’est un écosystème intéressant, authentique et d’une grande valeur, reconnu comme tel par l’Académie roumaine. »
En effet, en 2013 l’Académie roumaine reconnaissait la valeur de ce delta situé au cœur de la ville. Fin mai 2015, le projet du Parc naturel de Văcăreşti était approuvé par les autorités locales. Quelle est la signification de cette reconnaissance ? Dan Bărbulescu: « En tant qu’aire protégée, cette zone bénéficiera de protection. Elle sera gardée, car à part les gens qui y passent par curiosité, il y a des personnes qui viennent y jeter des déchets, mettre le feu, faire du braconnage etc. Et ces actions risquent d’avoir un impact sur cette aire naturelle, puisqu’elle abrite tant d’espèces sensibles. Or, un statut d’aire protégée permet de mieux la contrôler. La nature se développera mieux. Les arbres ne seront plus abattus pour servir de bois de chauffage, il n’y aura plus de déchets, ni d’incendies. L’aspect de la zone va changer. Les oiseaux n’auront plus rien à craindre et leur nombre doublera. Ce sera une victoire de la nature dans une ville qui n’est pas très amicale envers elle. Comme toute aire protégée, celle de Văcăreşti aura une administration qui s’occupera de la protection et de la conservation des espèces et des habitats. Ce parc naturel pourra être visité, une infrastructure sera créée à cette fin. »
Qu’est-ce que ce parc pourra offrir aux visiteurs ? Dan Bărbulescu: « On pourra, bien sûr, faire des observatoires ornithologiques, des endroits spéciaux seront prévus pour observer la faune, admirer le paysage, prendre des photos… Ce parc deviendra dans peu de temps un musée vivant, où les habitants de la capitale, les élèves, les étudiants, les photographes pourront venir admirer la nature dans toute sa splendeur et prendre contact avec cette force extraordinaire de la nature. On ne doit pas s’imaginer un endroit parsemé de petits bancs pour s’asseoir et sillonné d’allées, doté de terrasses… Non, ce parc sera différent des autres, parce que notre premier souci sera de protéger et de conserver les espèces et les habitats. »
Si vous pensez déjà à une visite dans cette aire naturelle, il vaut mieux vous y rendre en cours de matinée, lorsque les oiseaux se nourrissent et sont moins craintifs. Evitez les couleurs trop vives et ce jour-là renoncez au parfum pour vous glisser à travers cette zone sauvage autant que possible inaperçus. (Trad. : Dominique)