Cinéma et psychanalyse – de Londres à Bucarest
Court métrages, programme destiné aux enfants, des films rétro grand public et de niche, primés à des festivals internationaux et présentés lors de projections spéciales en Roumanie – telle est l’offre du Festival international de psychanalyse et de film accueilli à la mi-décembre par le Musée du paysan roumain de Bucarest. Le festival est organisé chaque année depuis 2012.
Ana-Maria Cononovici, 07.01.2018, 13:41
Comment est-il né ? La directrice du festival, Irina-Margareta Nistor – critique et traductrice de film – explique : «L’idée est venue de Londres, où un tel festival est organisé depuis 16 ans, tous les deux ans. Andrea Sabbadini, directeur de l’European Psychoanalytic Film Festival de Londres, disait en plaisantant que nous allions les rattraper, car nous organisons ce festival chaque année. Au début, le festival de Londres réunissait uniquement des psychanalystes, quelques critiques de film et aussi quelques réalisateurs. Les débats s’adressent presque exclusivement aux psychanalystes, qui analysent de leur point de vue un film ou un documentaire. Le Festival de Bucarest est un peu différent. Chez nous il y a un public dans la salle, qui peut adresser des questions aussi bien à ceux qui présentent les films qu’à ceux qui font la psychanalyse soit du film, soit du réalisateur ou du scénariste. Nous tâchons d’apprendre davantage, car d’habitude, ce que le réalisateur a eu l’intention exprimer ne correspond pas à ce que le psychanalyste y décèle, et cela me paraît très intéressant. »
En dehors des réalisateurs, des producteurs et des psychanalystes, les organisateurs ont également invité des personnes qui ont une certaine expérience dans le domaine visé par le film.
Irina Margareta Nistor : « A chaque fois on invite quelqu’un qui a un rapport direct avec l’action du film. Par exemple, le film d’Hany Abu-Assad « The Mountain Between Us » (« La montagne entre nous »), projeté pour la première fois en Roumanie lors du festival, est un film troublant, dont l’action se passe en montagne. Pour que le public apprenne davantage, afin que des malheurs n’arrivent plus à cause des escalades entreprises sans trop de préparation, nous avons invité l’alpiniste Ticu Lăcătuş, qui a escaladé l’Everest, pour parler de son expérience. Pour la projection du grand classique « La femme sur la Lune », film muet de Fritz Lang sorti en 1929, nous avons invité l’astronaute Dumitru Prunariu, pour nous raconter son expérience spatiale. C’est un peu comme ça que les choses se passent, ici ».
Quel est le feed-back des psychanalystes ? Irina Margareta Nistor : « Leur avis peut être très différent de ce que le réalisateur a imaginé en tournant le film. Prenons un exemple : « Chuck Norris versus communisme » de la réalisatrice Ilinca Călugăreanu est un film sur la Roumanie des années ’80, lorsque la seule échappatoire, c’étaient les cassettes vidéo, qu’à l’époque je doublais – bien que je sois absolument contre le doublage, entre autres. Je me suis toujours considérée comme une sorte de Mary Poppins, car on me laissait à la maison avec les enfants, les parents faisant regarder aux enfants des dessins animés pour les occuper. Les psychanalystes interprètent pourtant cela d’une toute autre manière et Ilinca non plus, quand elle a réalisé le film, n’a pas envisagé les choses ainsi. Ils disent qu’il s’agit, en fait, d’une voix maternelle ; pour celui qui regarde, quel que soit son âge, c’est quelqu’un qui lui raconte des contes. Ce sont des contes interposés, si je puis dire, car je ne réalisais pas ces films-là, je ne faisais que les traduire, mais puisqu’ils étaient dans la langue maternelle de celui qui regardait, la psychanalyse y voyait le côté maternel. La différence est bien grande par rapport à l’intention de la réalisatrice, car Ilinca voulait dire : « Voici de quelle façon on peut échapper à la dictature par le cinéma ». »
Le public de tous âges est désireux de comprendre les subtilités du film – a constaté Irina Margareta Nistor : « Ils posent beaucoup de questions, souvent tout à fait inattendues – ce qui est très important. Ils souhaitent connaître de nombreux détails et les invités sont là pour leur répondre. Nous avons proposé le film « L’amant double » de François Ozon. Le docteur Cristian Andrei était notre invité et les gens ont voulu savoir comment le film s’achevait, en fait, à son avis, car sa fin est ouverte. Et il a répondu à demandant à l’audience : « Et vous, qu’est-ce que vous en pensez? » C’est une excellente manière d’inciter au dialogue un public qui s’est vu interdire la psychanalyse pendant 50 ans. Voici un autre exemple : pendant le Festival, les projections destinées aux enfants étaient prévues dans la matinée. Et nous leur avons proposé un film sorti cette année : « Le petit vampire » de Richard Claus et Karsten Kiilerich. Avant que le film commence, j’ai dit aux enfants que si je les saluais, cela aurait été sympa de leur part de me répondre, et si je leur souriais, d’en faire de même. Après le film, je leur ai proposé de dessiner des vampires et tous leurs vampires souriaient. Je me suis dit que c’était gagné. »
Le Festival international de psychanalyse et de film se déroule à Bucarest chaque année au mois de décembre. Sa directrice, Irina Margareta Nistor, critique et traductrice, pense déjà à la prochaine édition : « Nous retournerons au film rétro, mais nous ne remonterons plus jusqu’aux années ’20. Je m’arrêterai par exemple au film « Le Lauréat » de Mike Nichols, car nous en sommes à la 7e édition du Festival et nous pouvons dire qu’après ces 7 années, nous avons au moins notre diplôme de maternelle. »
Le Festival, avec son ambiance de fête, semblait dire adieu la vieille année, pour accueillir la nouvelle. (Trad. Dominique)