Brancusi pour enfants
La petite ville de Târgu Jiu (située dans le sud de la Roumanie) accueille les sculptures monumentales du célèbre artiste d’origine roumaine Constantin Brâncuşi: la Colonne sans fin, la Porte du Baiser, la Table du Silence et l’Allée des chaises. Toutes ces sculptures monumentales sont en pierre, à l’exception de la Colonne sans fin, construite de 17 modules en fonte superposés et qui s’élève à une trentaine de mètres. Ces oeuvres en miniature peuvent s’avérer des jouets très attrayants.
România Internațional, 17.07.2014, 13:00
Ainsi, pour commencer, la Porte du Baiser a-t-elle été transformée en un anneau de dentition. Ensuite, la Colonne sans Fin en miniature a été démontée et ses pièces, peintes chacune dans une couleur différente, ont été mises à la disposition des petits qui souhaitent jouer aux batisseurs ou guerriers de l’infini, muni d’une épée sans fin.
La Table du Silence leur a suivi. Les 12 chaises — figurant les 12 heures d’une journée ou les 12 mois de l’année – ont été enfilées sur son pied central.
Taillées en bois laqué et peint en couleurs pastel, les répliques miniaturisées des sculptures monumentales de Constantin Brâncuşi à Târgu Jiu, sont désormais un jeu pour enfants. C’est qu’en 2013, deux artistes ont tenté d’amener l’art plus proche des mains des gamins, de briser les barrières d’accès, de le découper des couvertures luisantes des albums. C’est du moins ce qu’affirme Gabriel Boldis, un des initiateurs du projet Minitremu. « Minitremu est une démarche visant à ramener l’art à la portée des enfants. Quand j’étais petit, les visites guidées, agrémentées de mises en garde du type « ne touche pas », ou « fais attention » représentaient mon seul accès à l’art. Il y avait aussi les albums dont les pages devraient être tournées toujours très soigneusement. Or, les enfants ont besoin de faire d’expérimenter, de toucher, de déchirer, d’interagir avec les objets d’art. De ce point de vue, Minitremu essaie de faire sortir l’art de la zone sacrée pour la ramener au niveau des enfants. L’idée m’est venue alors que je regardais des enfants jouer dans un bac à sable. Les parents essaient de compenser leurs longues absences de la vie de leurs enfants en leur offrant des jouets chers qui, en théorie, enchantent les enfants. On peut remarquer assez souvent des enfants qui jouent tout seuls, qui n’entrent pas en contact avec les autres. Bien qu’ils soient entourés d’objets, ils en demeurent en quelque sorte isolés. Ainsi, avons –nous conçu ces objets qui gagnent une signification plus intense, bien que dépourvus de sens à une première vue, des objets qui aident les parents à entrer en relation avec leurs enfants. »
L’ensemble modulaire n’est pas une première dans l’univers des jouets design. Frank Lloyd Wright et Le Corbusier ont été élevés avec les présents” du psychiatre Fröbel et autres jeux de construction. La fameuse apprentie Bauhaus, Alma Siedhoff-BuscherIn, a imaginé une série de jouets reposant sur des principes pédgogiques et utilisant des couleurs primaires, de la géométrie simple et des abstractions.
Le pari des artistes de Minitremu avec les parents roumains a été gagné. Les jouets s’inspirant des œuvres de Brancusi sont suffisamment chers pour attirer l’attention des acheteurs. Ils sont réalisés avec soin, les couleurs en sont très belles et les laques dont ils sont enduits, non–toxiques. Chaque pièce en bois est manufacturée, car ce sont des produits fabriqués sur commande. Ce sont de véritables jouets métaphysiques, estime l’artiste: «L’œuvre de Brancusi est monumentale; elle nous donne accès à des concepts métaphysiques: le temps, l’espace et l’axe du monde. Nous avons segmenté et coloré ces concepts. Lorsqu’ils jouent avec la petite Table du silence, les enfants peuvent caresser le temps. A première vue, ces jouets sont dépourvus de sens, ce qui n’est plus le cas lorsqu’ils sont mis ensemble. Ils ne suggèrent pas à l’enfant un certain rôle, tels le prince ou le chevalier, ils n’imposent pas de délimitations claires. C’est pourquoi ils stimulent l’imagination. Je n’ai jamais suggéré un certain jeu aux enfants. Mais, à ce que j’aie vu, hormis le plaisir qu’ils prennent à les toucher, en raison de leurs formes rondes et très équilibrées, les enfants finissent invariablement par ériger une colonne à partir de petites chaises. Il s’agit aussi d’un plaisir esthétique qui relève du mélange des couleurs visant à parvenir à un équilibre chromatique. Nous avons privilégié la dimension artistique, ce n’est qu’à présent que l’on se rend compte de ce côté pédagogique. Le plaisir de construire et de contempler la notion d’équilibre est bien évident. »
En 2013, les artistes de Minitremu ont lancé une campagne de collecte de fonds, qui leur permette de fabriquer un milliers d’unités de chaque jouet. L’argent aurait fait baisser leur prix de moitié, et aidé les artistes à atteindre leur objectif : celui de créer des œuvres d’art à la portée des enfants et non pas des jouets exclusivistes. Déroulée sur le site Indiegogo, la campagne visait à obtenir des donations qui allaient de 5 à 250 dollars. Malheureusement, les artistes n’ont pas réussi à ramasser les 17 mille dollars nécessaires. N’empêche, la campagne les a aidés à développer leur notoriété: «La campagne a du succès parce qu’elle compte sur des personnes qui font circuler l’information, qui nous encouragent à continuer. Le soutien reç me fait m’interroger si la collecte d’argent est encore importante ou non. »
L’idée de donner aux enfants l’occasion de jouer avec des œuvres d’art, de les connaître et de les aimer, est une initiative qui mérite notre attention. D’ailleurs, les artistes de Minitremu ne s’arrêteront pas là: ils envisagent de transformer en jouets les créations d’autres artistes roumains renommés, et les premiers pas ont déjà été franchis. Il s’agit d’un livre d’activités pour enfants et de coloriage comprenant les dessins de l’illustrateur Dan Perjovschi. (trad. : Dominique, Alexandra Pop)