Alchimie et pharmacie à Cluj
Au cœur de Cluj se dresse l’immeuble ayant abrité la boutique d’apothicaire la plus ancienne de la ville, dont la présence était attestée par des documents dès 1573. Ce même édifice accueille de nos jours la collection d’histoire de la Pharmacie appartenant au Musée national d’histoire de Transylvanie, très précieuse par sa valeur et le caractère inédit des objets exposés. A cheval entre science et alchimie, cette collection réunit instruments pharmaceutiques vieux de plusieurs siècles et récipients servant à la distillation des médicaments, pots aux formes et couleurs étranges, trousses homéopathiques et bouquins jaunis par le temps recelant des modes de préparation des remèdes que l’on méconnaît aujourd’hui.
Ana-Maria Cononovici, 28.01.2017, 13:12
Au cœur de Cluj se dresse l’immeuble ayant abrité la boutique d’apothicaire la plus ancienne de la ville, dont la présence était attestée par des documents dès 1573. Ce même édifice accueille de nos jours la collection d’histoire de la Pharmacie appartenant au Musée national d’histoire de Transylvanie, très précieuse par sa valeur et le caractère inédit des objets exposés. A cheval entre science et alchimie, cette collection réunit instruments pharmaceutiques vieux de plusieurs siècles et récipients servant à la distillation des médicaments, pots aux formes et couleurs étranges, trousses homéopathiques et bouquins jaunis par le temps recelant des modes de préparation des remèdes que l’on méconnaît aujourd’hui.
Voici ce que nous a raconté Ana-Maria Gruia, muséographe: « C’est une collection à part, rare en Roumanie, et assez peu courante même en Europe. Nous sommes le second musée de ce type du pays, après celui de Sibiu. Par ailleurs, cette collection a été conçue de sorte à pouvoir fournir des informations non seulement aux spécialistes, mais aussi au grand public. Elle illustre une grande variété d’aspects, relevant tant de l’histoire proprement-dite de la pharmacie que de l’évolution des mentalités, du commerce des épices au Moyen-Age, de l’approche de la maladie, de la guérison, de la santé surtout à l’époque pré-moderne et moderne, car notre collection reflète plutôt les 18e et 19e siècles. »
Cette pharmacie présentait une structure similaire à celle des autres établissements de ce type existants en ces temps-là, répandus dans toute l’Europe. L’officine, c’est-à-dire la pièce où étaient vendus les médicaments, est décorée d’une peinture murale de style baroque unique en Roumanie et qui remonte à 1766.
Notre interlocutrice, Ana-Maria Gruia, poursuit la présentation de cet endroit : « Puisque c’est la pharmacie la plus ancienne de la ville, le bâtiment qui l’abrite est tout aussi important que la collection. Il garde le décor baroque d’origine, la structuration de l’espace, le laboratoire aménagé au sous-sol. En plus, tous les objets sont présentés dans le contexte originel de leur utilisation. La plus grande partie de la collection est formée de récipients fabriqués à partir de différents matériaux, qui servaient à garder les produits pharmaceutiques et surtout les ingrédients et qui portent toujours des inscriptions en latin. On peut y admirer aussi du mobilier authentique, des instruments utilisés jadis pour préparer les remèdes, depuis les creusets jusqu’aux récipients plus spécialisés, aux alambics, aux torches et aux percolateurs (installations pour fabriquer les teintures). Nous avons aussi une riche collection de livres et de documents, d’ordonnances et de modes de préparation remontant à différentes époques. Une autre salle abrite une collection d’instruments médicaux utilisés par les hôpitaux de Cluj depuis 1900 jusqu’il n’y a pas longtemps. La réaction des visiteurs à cette section est plus visible, car ils reconnaissent plus facilement certains objets exposés. »
Nous avons demandé à Ana-Maria Gruia si les ingrédients employés jadis dans les pharmacies sont reconnus comme des remèdes par les visiteurs d’aujourd’hui : « Ils sont facilement reconnaissables pour ceux qui s’y connaissent dans les traitements naturistes ou dans la pharmacie moderne qui entend revenir aux bonnes vieilles pratiques. Il s’agit des ingrédients à base de plantes, dont certaines exotiques ou provenant de différentes espèces d’insectes et d’animaux. Il y en a même qui proviennent de l’être humain, telle la célèbre poudre de momie, utilisée jadis comme remède universel. En partant de ces ingrédients, le visiteur découvrira aussi des éléments qui tiennent à l’histoire de l’art, par le biais des décorations des apothicaireries ou bien aux stratégies de vente. Pratiquement, l’étude du marché est née dans les pharmacies, vu qu’elles ont été les toutes premières affaires privées. Bref, la découverte de la pharmacie peut prendre des directions inattendues. »
Dans la pharmacie de Cluj on découvrira aussi quelques bols contenant de l’asphalte de Syrie, utilisé dans le traitement du rhumatisme, de la poudre de corail et d’yeux d’écrevisse, deux sources naturelles de calcium, de la thériaque vénitienne, employée comme contre-poison, des excréments de blaireau servant à préparer des remèdes contre l’épilepsie ou bien des parties du corps d’une espèce de lézard originaire de l’Orient, qui, mélangées avec d’autres éléments, servaient de base pour la fabrication d’aphrodisiaques. Bénéfiques ou non, ces remèdes aux vertus curatives desquels les apothicaires croyaient dur comme fer étaient d’autant plus prisés que l’animal ayant fourni les ingrédients était exotique.
Seraient-ils nombreux les remèdes anciens à se retrouver à l’origine des médicaments de nos jours ? Voici la réponse de notre interlocutrice, Ana-Maria Gruia : «Beaucoup de ces ingrédients n’ont pas été examinés d’un point de vue scientifique, tandis que dans le cas de certains autres on suppose qu’ils recelaient aussi des substances utiles. L’étude de ces dernières aurait abouti aux produits de synthèse que l’on emploie aujourd’hui. Par ailleurs, il n’y a pas de doute là-dessus, plus d’un de ces ingrédients non seulement n’étaient nullement utiles, mais ils pouvaient être même nuisibles, y compris du fait de leur fraîcheur ou du mode d’administration. Enfin, quant à la poudre de momie, je crois quelle figure parmi les remèdes dont l’efficacité s’explique par l’effet placebo.»
Les visiteurs d’une telle collection doivent avoir le sens de l’humour, a encore précisé Ana-Maria Gruia, en ajoutant que: « Ils doivent aussi se laisser emporter par cette histoire, qui renvoie à celle d’Harry Potter et à l’alchimie. Pour jouir pleinement d’une visite au musée de la pharmacie de Cluj, il faut aussi être curieux. »
Avec son enseigne en forme de mortier et pilon, qui trône au-dessus de l’entrée, la collection de Cluj invite le visiteur non seulement à remonter le temps mais aussi à guérir de la « maladie » des temps modernes, à savoir la précipitation. (Trad. Mariana Tudose)