Vérité, manipulation et propagande dans les films documentaires
La critique de film Ileana Bârsan et les réalisateurs de documentaires Alexandru Solomon, Oana Giurgiu et Claudiu Mitcu ont évoqué le genre cinématographique du documentaire dans le cadre d’un nouvel événement appelé le Cercle, un projet déroulé par le réseau de librairies Carturesti et la plate-forme en ligne CINEPUB, dédiée au cinéma roumain. Cet évènement s’est déroulé en marge de la semaine du documentaire sur CINEPUB.
Corina Sabău, 18.03.2017, 13:10
La critique de film Ileana Bârsan et les réalisateurs de documentaires Alexandru Solomon, Oana Giurgiu et Claudiu Mitcu ont évoqué le genre cinématographique du documentaire dans le cadre d’un nouvel événement appelé le Cercle, un projet déroulé par le réseau de librairies Carturesti et la plate-forme en ligne CINEPUB, dédiée au cinéma roumain. Cet évènement s’est déroulé en marge de la semaine du documentaire sur CINEPUB.
Une histoire des Juifs de Roumanie, très bien documentée, voilà ce que propose le documentaire Aliyah DaDa, réalisé par Oana Giurgiu en 2015. Il y a 133 ans, une petite communauté de Juifs de la ville moldave de Moinesti, dans l’est de la Roumanie, se rendait en Palestine pour fonder une des premières colonies juives en Terre Sainte. Dès lors, la route des Juifs vers Israël se combine avec l’histoire de la Roumanie moderne par le biais d’une relation d’amour et de haine dont les conséquences sont difficiles à évaluer de nos jours encore. Il s’agit d’une histoire découpée dans le style Dada, sorte de tribut aux initiateurs du courant Tristan Tzara et Mercel Jancoi, deux juifs originaires de Roumanie. A la question de savoir pourquoi elle avait choisi de faire un documentaire, Oana Giurgiu a affirmé que ce genre de film laisse des traces dans le temps. Elle a également déploré le fait que les années ’90 aient marqué en Roumanie une pause pour ce genre cinématographique.
Oana Giurgiu : «Avant de réaliser ce film j’ai fait du cinéma-vérité et des reportages de télévision. C’était très important de dépasser ma condition. J’ai dû mettre une année et demie, presque deux, pour trouver une formule adaptée, puisqu’il m’était difficile de changer de domaine. Pour ce film, je disposais de nombreux documents d’archives : photos ou plutôt portraits parce qu’à l’époque le portrait était le type de photographie le plus répandu.»
Claudiu Mitcu a réalisé plusieurs documentaires, parmi lesquels « Australie », produit par HBO et primé par l’Union des cinéastes de Roumanie en 2010. L’ambassade de France en Roumanie a elle aussi accordé à Claudiu Mitcu le Prix des Droits de l’homme pour les documentaires « Australie » et « Nous deux ». Pour Claudiu Mitcu, l’importance du documentaire réside dans le fait qu’il présente des histoires importantes pour la société.
Claudiu Mitcu : « Nombre de mes films ne sont pas trop beaux d’un point de vue visuel, parce que je ne fais pas de mise en scène. Je ne fais que filmer. Pourtant, à mon sens, les films sont beaucoup plus crédibles. Et je crois également qu’il est beaucoup plus utile pour le public de suivre ainsi les sujets, les histoires que j’essaie de délivrer. Même s’il n’est pas filmé d’une manière artistique, même si certaines choses se perdent à cause de ce tournage moins artistique, le message est beaucoup plus fort et plus crédible. Sur les sept documentaires, deux sont similaires côté style. Chaque documentaire a son style. En fiat c’est la nature du sujet qui imprime le style. »
Alexandru Solomon a écrit et réalisé une quinzaine de documentaires, parmi lesquels « L’homme aux mille yeux » 2001, « Le grand pillage communiste » (2004); « Cold Waves – guerre sur les ondes » (2007), « Capitalisme notre recette secrète » (2010), « La Roumanie : quatre patries »(2015). Continuant la comparaison lancée par Oana Giurgiu entre la presse et le film documentaire, Alexandru Solomon affirme que la plupart des histoires qu’un documentaire peut transmettre apparaissent aussi dans les médias, mais cela ne diminue point l’importance du film documentaire. A son avis, la presse est une sorte de « fast food » alors que le documentaire fait plutôt partie du concept de « slow food ». Le documentaire offre à la société la posibilité de s’y refléter avec tous ses problèmes, et le fait que la transition des années ’90 ne se retrouve pas dans un tel film constitue une perte immense, affirme Alexandru Solomon.
Alexandru Solomon : « La discussion sur l’objectivité du réalisateur de documentaires me semble obsolète. Le documentariste essaie de donner une certaine perspective à une partie de la réalité. Il y a cette possibilité de choisir, d’identifier la direction que l’on souhaite suivre. Le fait de placer la caméra dans un certain endroit c’est déjà un choix. Or, le plus souvent il existe ce conflit entre le choix personnel et le moment où il faut filmer quelque chose. »
Alexandru Solomon s’occupe aussi de la promotion du film documentaire en sa qualité de directeur du Festival international du film documentaire et des droits de l’homme, « One World Romania », qui se déroule ces jours-ci à Bucarest. Une soixantaine de films documentaires, sélectionnés parmi les 1300 productions cinématographiques inscrites, sont projetés du 13 au 19 mars aux cinémas Elvire Popesco, Eforie, Union et au studio Horia Bernea du Musée du Paysan roumain. S’y ajoutent plusieurs événements : débats, ateliers, expositions.
La 10e édition du festival « One World Romania » est consacrée à la peur en général et à ses avatars dans la société. Politiciens corrompus du monde entier profitent de nos faiblesses et de nos craintes afin d’arriver au pouvoir. Les plus faibles d’entre nous sont quotidiennement harcelés par les plus forts. Seuls quelques-uns d’entre nous choisissent d’aller à contre-courant, en sacrifiant tout. Les films « One World Romania » explorent les origines de nos craintes et les moyens par lesquels nous pouvons les vaincre. La justice est un des thèmes traditionnels du festival, un thème d’actualité tant en Roumanie, que dans d’autres pays. Les documentaires inscrits dans la section appelée « Justice sans peur » racontent plusieurs cas de citoyens de Russie, de Tchad, de Pérou et de Mexique qui cherchent la justice par voie légale ou se coalisent pour réagir contre les agressions de l’Etat.