Trois premières au théâtre de Sibiu
Le théâtre Radu Stanca de Sibiu a eu trois premières au mois de mai, qui seront également présentées en juin dans le cadre de la 23e édition du Festival international de théâtre de Sibiu.
Luana Pleşea, 28.05.2016, 13:23
Intitulé «Des gens simples », le spectacle de Gianina Cărbunariu a été cofinancé par le programme Europe Créative de l’UE dans le cadre de l’exercice 2014 – 2018. C’est un projet qui se penche sur 8 cas d’avertisseurs d’intégrité d’Italie, de Grande Bretagne et de Roumanie – des pays européens ayant des contextes et des législations différentes en ce qui concerne la situation des « lanceur d’alerte ». 6 acteurs donnent vie à 8 histoires et vivent, aux côtés du public, une expérience théâtrale à part.
Parmi eux, l’actrice Ofelia Popii. Elle explique en quoi consiste cette expérience pas comme les autres : « C’est une sensation différente, à partir du moment où l’on commence à se renseigner, jusqu’au moment où l’on joue effectivement. Parce que la responsabilité en est double. Moi, je suis une actrice qui se sent toujours responsable face à son personnage, face à soi-même, face à son métier et face au public. Mais le fait qu’il existe une personne en chair et os, qui a vraiment vécu et qui vit toujours ce drame – cela m’oblige et me donne la force de raconter son histoire et me rend encore plus responsable ».
«Des gens simples » est un spectacle qui fait réfléchir. Le public sort de la salle touché, pensif. Ofelia Popii explique : «Chacun comprend ce qu’il veut à la fin du spectacle, mais pour moi il parle de la confiance en soi, en son propre instinct et son sens de la justesse. Il s’agit aussi d’être moins mûr, même si cela peut sonner un peu bizarre. Et pour cause. Moi, je me suis heurtée à cette manière de penser au moment où avec l’âge, j’ai constaté que le monde où nous vivions n’était pas un monde idéal. Pourquoi avoir la prétention que la justice existe dans ce monde ? Vaut mieux survivre et vivre parmi des gens qui ne sont pas forcément corrects… C’est à peu près ce que je fais, d’ailleurs. En travaillant sur ce spectacle, je me suis rendu compte qu’en fait, celle que j’étais au début – c’était la manière correcte de vivre. Et que peu à peu, avec le temps, on perd son courage et on trouve des arguments pour ne plus être correct. Et cela ne va pas du tout. Je trouve que le spectacle parle exactement de ça. Que choisir ? Baisser la tête, détourner le regard et se mentir soi-même en se disant que l’on est une personne honnête ? »
Notons qu’Ofelia Popii est une des meilleures artistes roumaines, distinguée du Prix «Harold Angel » au Festival international d’Edimbourg pour le rôle de Méphisto dans le spectacle « Faust» mis en scène en 2010 par Silviu Purcărete.
La 2e première de Sibiu est un spectacle intitulé « 20 novembre », d’après le Suédois Lars Noren, mis en scène par Eugen Jebeleanu. Le texte parle de l’attaque sur la ville d’Emsdetten, le 20 novembre 2006, lorsqu’un jeune homme de 18 ans, Sebastian Bosse, a ouvert le feu dans son école, blessant plusieurs personnes, avant de se suicider. La pièce de Lars Noren part d’un cas réel pour construire une fiction documentée sur les tourments de la vie d’un jeune maltraité.
L’acteur roumain Ali Deac a travaillé aux côtés du metteur en scène Eugen Jebeleanu aussi sur la traduction en roumain du texte : «Lorsque j’ai lu le texte pour la première fois, je l’ai trouvé très dur, très radical. Il ne fallait rien lui ajouter… Puis j’ai essayé de comprendre ce garçon, de voir son point de vue. Certes, lorsque quelque chose de pareil se passe, tout le monde dit que l’attaquant est fou. Mais les gens ne savent pas que deux ans auparavant, il était un élève modèle. C’est très intéressant, parce que, quelques mois avant l’attaque, il avait écrit sur plusieurs forums de psychologie et de psychiatrie, demandant de l’aide. Même à ce moment-là on s’est moqué de lui. Eugen Jebeleanu et moi, nous avons voulu faire en sorte que Sebastian ne devienne pas antipathique pour le public. Le sectateur ne doit pas rentrer chez lui ayant les mêmes idées ou la même opinion formée en regardant les infos à la télé. Il y a un message très important : voilà ce qui peut arriver, à quoi mènent les abus et la violence inutile, gratuite. Un seul mot peut blesser plus qu’un coup, un mot peut laisser des traces beaucoup plus profondes.»
Les créateurs du spectacle « 20 Novembre» souhaitent que l’histoire du jeune Sebastian Bosse soit un point de départ pour le public. Ali Deac explique : « Je veux que le spectateur réfléchisse plus loin : qu’est-ce que je peux faire, moi-même? Je ne peux pas changer le système, mais je peux commencer par les petites choses. Je peux commencer par la manière dont j’éduque mes enfants, essayer de leur faire comprendre ce qu’ils font de mal. Même si je ne suis pas d’accord avec Sebastian, lorsque les spectateurs rentrent chez eux, j’aimerais qu’ils pensent au fait que ces choses sont arrivées et comment ils pourraient prendre une attitude. Commencer à petits pas pour tenter de rendre ce monde meilleur… Autant que possible ».
La 3e première de Sibiu est un spectacle intitulé « Des revenants », mis en scène par Alexandru Dabija, sur des textes fondés sur le folklore roumain écrits par deux auteurs contemporains de renom : Cătălin Ştefănescu et Ada Milea. On y parle de « la manière dont on voit d’ici, depuis cette partie du monde, les allées entre « l’au-delà » et « ici »». «Nous nous éloignons de plus en plus de nos morts, nous les oublions extrêmement vite. A mon avis ce n’est pas bien de les laisser de côté. Je pense que le monde d’au-delà nous épouvante pour la simple raison que nous ne pouvons pas le contrôler», affirmait le metteur en scène Alexandru Dabija dans une interview. Pourtant, malgré l’idée de la mort qui domine le spectacle, on y rit beaucoup.
L’acteur Adrian Matioc du Théâtre national Radu Stanca de Sibiu explique : «C’est un spectacle que je joue avec un plaisir extraordinaire ! Et le public le reçoit aussi avec un plaisir extraordinaire ! C’est un spectacle qui surprend, où l’attention du public est captée constamment, où quelque chose de nouveau apparaît à chaque pas. C’est un enchaînement d’histoires, de mythes, de parfums, de goûts… De gens ! Il parle des gens, de nous, des gens qui nous ont élevés. De gens qui croyaient en Dieu, mais qui croyaient aux entités bizarres qui protégeaient leurs jardins et qui, des fois, remplissaient leurs resserres de maïs… C’est un spectacle sur les histoires que nous racontaient nos grands-parents à la lumière des bougies qui projetait des ombres mystérieuses sur les murs, lorsqu’on n’avait pas d’électricité… des histoires qui nous épouvantaient… Voilà de quoi il s’agit dans ce spectacle…»
Histoires contemporaines ou anciennes, réelles ou mythiques, histoires qui font pleurer, d’autres qui font rire, histoires qui nous invitent à réfléchir sur notre passé, notre présent et notre avenir, sur nos erreurs et sur la manière dont on peut devenir des gens meilleurs dans un monde meilleur – tout cela est à découvrir sur la scène du Théâtre Radu Stanca de Sibiu. (Trad. Valentina Beleavski)