Théâtre classique, le retour
Depuis maintenant 21 ans, le Théâtre classique Ioan Slavici d’Arad organise le seul festival du genre en Roumanie. L’édition de cette année a été placée sous le signe d’un paradoxe apparent, selon le motto proposé par Maria Zărnescu, chargée de la sélection des pièces, à savoir « une création est classique lorsqu’elle est moderne ». Puisque le texte contemporain intéresse de plus en plus, notamment les jeunes créateurs, nous avons demandé aux organisateurs du festival et aux participants quelle est la place du théâtre classique dans l’espace artistique roumain.
Luana Pleşea, 05.12.2015, 13:15
Depuis maintenant 21 ans, le Théâtre classique Ioan Slavici d’Arad organise le seul festival du genre en Roumanie. L’édition de cette année a été placée sous le signe d’un paradoxe apparent, selon le motto proposé par Maria Zărnescu, chargée de la sélection des pièces, à savoir « une création est classique lorsqu’elle est moderne ». Puisque le texte contemporain intéresse de plus en plus, notamment les jeunes créateurs, nous avons demandé aux organisateurs du festival et aux participants quelle est la place du théâtre classique dans l’espace artistique roumain.
Voici la réponse de Constantin Cojocaru, comédien bien connu du public. A ses 70 ans, il est monté sur les planches du festival d’Arad pour jouer dans le spectacle « Le canard sauvage » d’après Ibsen, mis en scène par Peter Kerek, cet automne, au Théâtre Bulandra de Bucarest: « Le théâtre classique est, en ces moments de forte offensive du nouveau, l’unique modalité d’offrir un point d’équilibre extrêmement important, de sorte à éviter que le théâtre ne soit submergé par le social et le politique. Moi, j’ai vécu aux temps où volet social était le plus important et celui politique – définitoire. En clair, sur les cinq spectacles en première du Théâtre de la jeunesse de Piatra Neamţ, trois, aux moins, devaient être roumains, dont deux traitant de thèmes politiques actuels. Malgré cela, grâce à je ne sais quelle échappatoire, un vrai spectacle de théâtre classique parvenait à s’insinuer dans le programme. Un spectacle qui parlait de l’homme en général, donc dépourvu de toute connotation sociale ou politique. C’est là, d’ailleurs, la vocation du théâtre classique, celle de définir et de recomposer, sur scène, donc de manière artistique, l’être humain, avec ses moments de détresse et d’allégresse. »
Liviu Pintileasa, 38 ans, est un des comédiens du Théâtre « Maria Filotti » de Brăila, présent au Festival de Théâtre classique d’Arad avec le spectacle « Platonov ». Egalement connu pour ses rôles au cinéma ou dans les pièces montées par des compagnies indépendantes, il parle avec enthousiasme du théâtre classique: « Cela fait un certain temps que les textes contemporains ne sont plus à la mode et que l’on assiste à un regain d’intérêt pour le théâtre classique. Le fait que même les théâtres indépendants reviennent aux textes classiques le démontre largement. Moi aussi je suis un bon exemple en ce sens. Je joue du théâtre classique et au théâtre public de Braila et au Théâtre indépendant « Unthéâtre » de Bucarest. Bref, pour notre grande joie, la plupart des textes sont classiques et ce genre de spectacles jouit de succès auprès de nos spectateurs. »
On estime généralement, en Roumanie du moins, que les jeunes metteurs en scène préfèrent les textes contemporains, alors que les hommes de théâtre déjà consacrés sont particulièrement friands de textes classiques. Alexandru Mâzgăreanu fait partie de la nouvelle vague de jeunes metteurs en scène, pourtant, dans ses spectacles, les pièces classiques occupent autant de place que les pièces contemporaines.
Au festival d’Arad, Alexandru Mâzgăreanu a participé avec le spectacle « Les fourberies de Scapin » de Molière, mis en scène au Théâtre de la Jeunesse de Piatra Neamţ: « J’ai essayé de raconter une histoire sur de jeunes gens qui veulent aimer, qui tombent amoureux, qui luttent pour leur amour et refusent de se plier aux règles. Un spectacle sur des jeunes non conformistes, c’est l’idée sur laquelle le spectacle était construit. Je n’ai pas une attraction particulière pour la dramaturgie classique. Ce sont les thèmes importants, les grands thèmes, les conflits majeurs qui m’attirent. C’est la raison pour laquelle la balance penche souvent du côté des textes classiques. »
Grâce à la préférence de certains artistes pour la dramaturgie classique et d’une grande partie du public pour les grands textes, le Festival international de théâtre classique d’Arad en est arrivé, cet automne, à sa 21e édition. Bogdan Costea, directeur du Théâtre « Ioan Slavici », organisateur du festival, est pourtant plutôt réservé quant à l’avenir du théâtre classique: « Je peux affirmer en toute sincérité qu’aujourd’hui il n’est pas si facile de réaliser une sélection reposant sur des pièces de théâtre classique. Je ne dirais pas que le festival de théâtre classique, le théâtre classique en soi, le texte classique finiront par disparaître, mais ils traversent une période plutôt délicate. Je pense qu’il sera de plus en plus difficile aux jeunes hommes de théâtre de faire preuve de leur talent ou de s’exprimer par le biais de la mise en scène en restant confinés au texte classique. »
Le critique Maria Zărnescu, sélectionneur de l’édition de cette année du Festival de théâtre d’Arad, ne partage pas tout à fait cet avis: « Le fait que nombre de metteurs en scène — jeunes ou moins jeunes — se rendent compte que nous avons besoin de nouvelles traductions, notamment de Molière et des classiques français, me réjouit. Une deuxième nécessité que nous avons tous ressenti est liée au mariage des arts, un mélange destiné à faire triompher le spectacle. Je ne veux pas dire que tout spectacle doit devenir musical, mais ce mélange, ce syncrétisme des arts, est de plus en plus recherché. C’est que le public actuel ne se contente plus uniquement du texte, comme c’était le cas aux 17e ou 18e siècles — et cela devient encore plus difficile s’il s’agit d’une vieille traduction. De nos jours, le public a besoin d’autres stimuli. A mon avis, le théâtre classique ne perdra pas sa vigueur tant que les créateurs d’aujourd’hui sauront le rendre moderne. » (trad. : Mariana Tudose, Dominique)