« Nous tordons/tournons le chanvre vers l’avenir »
Ion Puican, 26.06.2021, 11:46
Lors du
vernissage de cette exposition pas comme les autres, Florica Zaharia,
conservateur au Musée métropolitain d’art de New York et directrice du Musée
des textiles de Băița (département de Hunedoara, dans l’ouest de la Roumanie),
nous a parlé de cette matière si spéciale qu’est le chanvre : « Nous avons été invités à participer à
cette exposition par l’Association Patzaichin et nous sommes très contents de
pouvoir y présenter des objets de la collection du Musée des textiles. Et ce
parce que le chanvre est tout aussi important que la laine. En fait, ce sont
les deux textiles les plus importants dans la culture roumaine, suivis par le
lin. Cela fait plusieurs années que le chanvre n’est plus cultivé, pour de
multiples raisons. Toutefois, il faudrait reprendre sa culture, puisque c’est
un fil extraordinaire qui peut fournir de nombreuses ressources. Le chanvre et
le lin sont deux fibres extrêmement importantes. S’y ajoute le coton. Ils ont
été utilisés pour fabriquer les vêtements d’été, des tissus pour l’intérieur,
tels le linge de lit ou les nappes. La laine, elle, assure le confort durant la
saison humide et froide. La spécificité de la laine roumaine, c’est sa fibre
dure. C’est valable pour toute la région des Balkans et des Carpates. Je suis
persuadée que la personne qui essaie une chemise en chanvre hésitera par la
suite d’acheter un vêtement synthétique. Les vêtements en chanvre ont cette
qualité exceptionnelle de permettre au corps de respirer et de protéger en même
temps des intempéries. »
La même Florica
Zaharia nous a présenté les objets que le Musée des textiles a décidé de
présenter à l’exposition organisée par le Musée du paysan roumain de Bucarest :
« Une des catégories les plus importantes, ce sont les échantillons de tissus,
car ils témoignent de la complexité du processus technologique de la production
et de la sélection les fibres de chanvre selon des critères de qualité. On
expose donc des objets utilisés dans la vie quotidienne et des objets destinés
aux moments de fête. S’y ajoutent deux chemises de la région des Monts Apuseni,
et une autre de la région des Pădureni. On constate ainsi que le chanvre s’est
répandu sur l’ensemble de la zone des Carpates. On expose aussi des objets de
la culture japonaise. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’il s’agit de la
même matière, travaillée différemment, c’est une technologie différente qui
correspond aux demandes de fibre des pays asiatiques. Au Japon, le fil n’est
pas tordu, il est formé en tressant les bouts des fils. En résulte un tissu
semblable à une feuille de papier. Ce fil n’a pas le même volume que le fil
tordu. C’est ce que notre musée souhaite montrer à chaque fois : placer la
culture roumaine et les textiles roumains dans un contexte global. Parce qu’en
comprenant les autres cultures, on se comprend mieux nous-mêmes. »
La culture
traditionnelle roumaine a été mise à l’honneur non seulement à l’aide de
tissus, mais aussi via d’autres manifestations de l’art. L’artiste
international Mircea Cantor y était présent aussi : « Pour moi, cette
exposition est un hommage rendu à tous ceux qui par leurs mains et par leurs
voix perpétuent aujourd’hui la mémoire reçue en héritage. Ces tisseuses et
tisserandes, ces maîtres artisans du Maramureş, ces chanteurs qui, par ce qu’ils
ont hérité de leurs ancêtres, nous montrent à quel point la tradition et les
racines sont importantes, à quel point il est important de les garder vives, de
les promouvoir et d’intégrer toute cette beauté de leur travail, leurs
vêtements, leurs sculptures, leurs chants de noces. Tout cela forme un trésor
très précieux que la Roumanie a la chance de garder encore. Chacun l’approche à
sa manière et j’en suis vraiment touché. Ce qui m’a impressionné chez Ivan
Patzaichin, ce sont sa passion et son attention pour le chanvre, qui fut un
véritable bouclier de protection du peuple roumain. Car, à regarder dans le
passé, les vêtements en chanvre appartenaient aux paysans, à la couche sociale
la plus défavorisée. L’Association Patzaichin a perpétué cette tradition et a
montré qu’il est possible de transformer un objet humble en objet noble. Voici
son mérite : continuer à travailler avec des fabriques roumaines, avec des
Roumains, à créer des emplois en Roumanie, justement en valorisant cette matière
qui revient sur le devant de la scène de l’agriculture mondiale. »
Aux côtés du
même Mircea Cantor, lauréat du prestigieux Prix Marcel-Duchamp en 2011, nous
avons réfléchi sur l’avenir du chanvre dans la société roumaine : « A mon
avis, il faut parier sur la Roumanie, parce que nous avons beaucoup de terrains
et de gens et de savoir-faire aussi. Il suffit d’y investir. C’est à la classe
politique de se rendre enfin compte qu’il existe un énorme potentiel à
valoriser. En matière d’artisanat aussi, car il existe toujours des gens qui
savent tordre et cultiver le chanvre et ils devraient être encouragés par des
politiques économiques et culturelles.»
Ceci dit,
l’exposition du Musée du paysan roumain de Bucarest prouve encore une fois que
les traditions sont toujours vivantes en Roumanie et que cela vaut vraiment la
peine de les découvrir et de les perpétuer. (Trad. Valentina Beleavski)