Nina Cassian est de retour à la maison d’édition Casa Radio
Le livre audio (accompagné aussi d’un CD) Dans / Danse, contenant des poèmes de Nina Cassian lus par la poétesse et plébiscité par le public, fait l’objet d’une nouvelle édition, au contenu particulièrement enrichi, y compris d’une interview réalisée par le journaliste Emil Buruiana. Le nouveau livre audio, sorti dans le contexte de l’anniversaire, l’année dernière, du centenaire de la naissance de l’autrice, contient 51 poèmes écrits et lus par Nina Cassian elle-même dans les studios de Radio Roumanie entre 1959 et 2003.

Corina Sabău, 08.03.2025, 10:56
Le livre audio (accompagné aussi d’un CD) Dans / Danse, contenant des poèmes de Nina Cassian lus par la poétesse et plébiscité par le public, fait l’objet d’une nouvelle édition, au contenu particulièrement enrichi, y compris d’une interview réalisée par le journaliste Emil Buruiana. Le nouveau livre audio, sorti dans le contexte de l’anniversaire, l’année dernière, du centenaire de la naissance de l’autrice, contient 51 poèmes écrits et lus par Nina Cassian elle-même dans les studios de Radio Roumanie entre 1959 et 2003. Cosmin Ciotloş signe la préface et Tudor Jebeleanu en est l’auteur des illustrations.
Quelques repères biographiques
Essayiste, traductrice, compositrice et artiste visuelle, Nina Cassian est née dans une famille d’origine juives Adolescente, elle fréquente des milieux intellectuels de gauche et, à l’âge de 16 ans, elle rejoint la Jeunesse communiste, une organisation illégale à l’époque, car l’adolescente espérait « libérer le monde de tous les antagonismes fondamentaux entre les sexes, les races, les peuples et les classes sociales ». Elle fait ses débuts littéraires en 1947, avec le volume de poèmes surréalistes « La scara 1/1 / A l’échelle 1/1 », mais une attaque idéologique du journal Scânteia la prend pour cible et la pousse à écrire aussi de la poésie attachée au réalisme socialiste. Au bout d’un détour d’environ huit ans, selon ses propres mots, Nina Cassian retrouve la vraie poésie et commence également à écrire de la littérature pour enfants.
Elle produit en même temps des traductions remarquables d’œuvres de Shakespeare, Bertolt Brecht, Iannis Ritsos et Paul Celan. « Povestea a doi pui de tigru numiti Ninigra si Aligru / L’Histoire de deux bébés tigres prénommés Ninigra et Aligru » est un superbe poème pour enfants, récompensé du Prix de l’Union des écrivains de Roumanie en 1969. En 1985, elle se trouve aux Etats-Unis en tant que professeur invité à la New York University, lorsqu’elle apprend l’arrestation et le meurtre en prison du dissident et ami proche Gheorghe Ursu, dont le journal confisqué par la Securitate contenait aussi des références aux opinions politiques « évidemment anti-Ceausescu » de Nina Cassian. Elle choisit de ne plus rentrer en Roumanie, où son appartement est confisqué et ses livres sont interdits et retirés des bibliothèques jusqu’à la chute du régime Ceausescu.
Aux Etats-Unis, Nina Cassian publie des traductions de ses poèmes écrits en roumain (« Life Sentence »), mais aussi des poèmes qu’elle écrit directement en anglais (« Take My Word For It », « Blue Apple », Lady Of Miracles »), ceux-ci étant récompensés en 1994 du prix « Le Lion d’Or » accordé par la New York Library. C’est d’ailleurs à New York que Nina Cassian passe les trente dernières années de sa vie ; elle y écrit ses mémoires, qu’elle considère comme « un projet majeur de son âge et de sa vie, un miroir des années volées et données ». Les trois volumes sont publiés en Roumanie entre 2003 et 2005, sous le titre « Memoria ca zestre / La mémoire comme une dot ».
La trace de Nina Cassian dans la littérature roumaine
Le critique littéraire Cosmin Ciotloş, coordinateur de la récente réédition du livre audio Dans, le réalisateur Alexandru Solomon et l’écrivain Călin-Andrei Mihăilescu étaient tous les trois présents au lancement officiel organisé par la maison d’édition Casa Radio. Une occasion pour le premier d’entre eux de parler de la longévité de la poésie écrite par Nina Cassian.
Cosmin Ciotloş : « J’ai voulu voir combien la poésie roumaine actuelle garde encore de l’œuvre de Nina Cassian. Et quand je dis « actuelle » j’ai en tête un laps de temps assez ample. Ainsi, j’ai tout de suite remarqué le fait qu’une grande partie des jeux inventés par Florin Iaru dans ses poèmes ont des dettes belles, nobles et légitimes envers la poésie de Nina Cassian. Ou bien que les poèmes de Mircea Cărtărescu rassemblés dans les volumes « Une soirée à l’opéra » et « Le Levant », bien qu’adressés à Ion Barbu, passent par le filtre de Nina Cassian. Il y a aussi plusieurs jeunes auxquels je fais énormément confiance parce qu’ils agitent un peu ces eaux trop troubles et trop viscérales de ma génération de poètes, des jeunes créateurs que j’affectionne, mais par rapport auxquels je ne pratique pas des exercices iconodoules. Je pense surtout à ceux qui publient sur la plateforme « Mafia Sonetelor », les très jeunes Ioan Coroamă, Florentin Popa ou Mihnea Bâlici, que j’investis de mon espoir. Je crois donc que notre réaction devant ce que Nina Cassian a laissé d’important en poésie doit être beaucoup plus qu’une simple admiration les yeux fermés. C’est une poésie qu’il faut filtrer par la raison et documenter à point, de façon à ce que, au bout de cette documentation et au-delà des postures éthiques sur lesquelles on puisse plus ou moins facilement porter jugement, que l’on soit en mesure de constater la présence devant nous d’une formule stylistique vivante. Une formule stylistique encore productive, issue non pas de la longévité de Nina Cassian, mais de la longévité de l’intelligence de Nina Cassian. »
Souvenirs new-yorkais
L’écrivain Călin-Andrei Mihăilescu, qui vit au Canada depuis la fin des années 1980, a d’abord rencontré Nina Cassian à 2 Mai, village bohème au bord de la mer Noire où la poétesse se rendait en été. Quelques décennies plus tard, il l’a de nouveau rencontrée à New York.
Călin-Andrei Mihăilescu : « Cela est un livre audio qui vous fait écouter la voix de Nina, enregistrée à la radio entre la fin des années 1950 et le début des années 2000. Et je trouve que la voix de Nina Cassian devrait occuper une place de marque dans un éventuel panthéon des grandes voix roumaines. C’était une voix très cultivée, intelligente, raffinée et en même temps érotique. Moi, j’ai mieux connu Nina à New York, pendant les vingt dernières années de sa vie. À une époque, on participait ensemble à des ateliers d’écriture créative, qui avaient lieu une fois par mois tantôt en roumain, tantôt en anglais et parfois dans les deux langues à la fois. Nina apportait toujours une bouteille d’un litre de whisky mauvais et elle était capable de faire rouler n’importe qui sous la table. Elle fumait aussi bien plus que moi, et croyez-moi que je fume beaucoup. Nina était une diva, qui vivait dans un appart relativement minable, sur la Roosevelt Island, une île sur l’East River ; là, elle a réussi à ne pas céder à la tentation de plonger dans les eaux de la rivière, choisissant de ne pas suivre les exemples de Paul Celan ou de Gherasim Luca, qui s’étaient tués en se jetant dans la Seine. Tout était humide dans ce coin, à l’exception de son appart, tapissé de revues dont de très nombreuses éditions de Gazeta Literară et de România Literară. Elle y avait aussi gardé le célèbre numéro de Paris Match de 1968 consacré à la visite du général Charles de Gaulle à Bucarest. »
Le réalisateur Alexandru Solomon a lui-aussi évoqué Nina Cassian avec beaucoup d’émotion, à travers la projection d’un petit film qu’il avait tourné en tant qu’adolescent à Vama Veche, sur la côte de la mer Noire. Le film montre des images de Nina Cassian en compagnie de la mère du réalisateur, la peintre et professeure de l’histoire de l’art Yvonne Hasan, aux côtés d’autres artistes collègues et amis. (Trad. Ileana Ţăroi)