News from Polska – expérimentations théâtrales polonaises à Bucarest
« The Tickler and the Ticklee », « Chatouilleur et chatouillé », c’était le thème de la troisième édition du festival des arts du spectacle « News from Polka », organisé conjointement, ce printemps, par l’Institut Polonais de Bucarest et le Centre national de la danse.
Luana Pleşea, 22.04.2017, 16:38
Larisa Crunteanu, la commissaire de l’évènement, explique ce choix : « Chatouilleur et chatouillé » est un thème que j’ai imaginé à partir d’un concept appartenant à la psychologie du développement du début du 20e siècle. L’idée c’est que les gens ne peuvent pas se chatouiller eux-mêmes. Cette sensation n’est possible que par l’intervention d’une tierce personne, le fait de se chatouiller soi-même n’arrivant pas à ce même résultat. C’est ce paradoxe qui m’a fait penser à la manière dont fonctionne le dialogue intérieur. Notre cerveau est peuplé des voix des autres, mais nous ne les reconnaissons pas, nous sommes incapables de distinguer nos propres pensées des propos des autres. A partir de ce paradoxe apparent, mais transposé sur un plan mental et dans le dialogue, j’ai essayé de faire une sélection d’ouvrages qui incluent, d’une manière ou d’une autre, le dialogue intérieur en tant que zone neutre, où les interlocuteurs ne sont pas clairement définis. S’il s’agit d’un monologue ou bien d’un dialogue, qui sont les interlocuteurs, tout cela reste à découvrir. »
Être chargé de décider des spectacles appartenant à une autre culture qui seront présentés chez soi implique une certaine responsabilité, explique Larisa Crunteanu. « En choisissant ces spectacles, j’ai également pensé à la manière dont ils seront perçus, dont ils peuvent créer des contrastes avec ce que l’on peut voir actuellement sur les scènes roumaines. J’ai été également intéressée par la manière dont des spécialistes de la danse choisissent de travailler sur les textes dramaturgiques ou indiquent des procédures théâtrales par leurs travaux. Je crois que c’est pour cela que j’ai choisi de les appeler œuvres performatives, afin de ne pas les confiner à la seule zone de théâtre-danse. »
Les thèmes abordés dans les spectacles invités à la troisième édition du festival « News from Polska » sont proches de l’homme contemporain. « Make Yourself », le spectacle créé par Marta Ziółek, dans lequel elle se produit aux côtés de cinq autres chorégraphes et d’une chanteuse, présente un Univers futuriste, quelque chose entre un gymnase, une église et une corporation.
« Make Yourself » est un spectacle plein de vitalité, dans lequel Marta Ziółek utilise au maximum les énergies des artistes, pour s’attaquer au sujet de l’identité : « J’ai été intéressée par la manière dont l’identité devient un produit dans notre société, dont nous pouvons devenir un objet. C’est un genre de fiction très commune dans le capitalisme, où la liberté devient un mensonge. La liberté individuelle est une sorte de prison dans laquelle nous vivons. Nous parlons de consumérisme et d’une certaine manière de nous concevoir en tant que sujets libres. Voici donc un paradoxe du monde contemporain : d’un côté, on parle beaucoup de formation et de devenir un être libre et, de l’autre côté, on devient l’esclave de certaines exigences et de certains désirs. J’ai voulu voir si nous pouvons nous libérer de ce genre de combat et si nous pouvons dévoiler ce mécanisme dans lequel nous vivons. Il y a donc dans ce spectacle une quête de liberté, produite par ce flux énergétique qui nous unit. »
Marta Ziółek s’est également proposé de créer un spectacle que le public puisse comprendre. D’ailleurs, « Make Yourself » a connu un grand succès en Pologne et aussi à Bucarest.
Ramona Nagabczynska, un des chorégraphes qui se sont produits dans le spectacle « Make Yourself », a été invitée au festival « News from Polska » avec le spectacle « pURe », consacré à l’idée de corps naturel, à partir du concept de « matière Ur », créé par le renommé metteur en scène et peintre polonais Tadeusz Kantor.
Selon lui, la matière contient un pouvoir que l’artiste se doit d’écouter ; dans ce contexte, il s’agit du corps, explique Ramona Nagabczynska : « J’ai un certain intérêt pour le corps comme objet. Souvent, ce ce qui se passe avec l’artiste durant le spectacle me sert de point de départ pour le thème du spectacle. La transformation est une idée très importante pour moi. C’est pourquoi j’utilise les connaissances obtenues comme danseur dans mon travail de chorégraphe. Ce qui plus est, j’aime travailler avec le corps en tant qu’instrument visuel, c’est-à-dire que j’essaie de séparer la danse du théâtre, pour la rapprocher des arts visuels. Je ne cherche pas à créer quelque chose de trop intellectuel. En fin de compte, je suis intéressée plutôt par l’effet de mon jeu sur les gens. »
Le festival « News from Polka » s’est achevé par un petit concert « Exit promises », de l’artiste d’origine australienne Zone-L, Laura Hunt de son vrai nom : « Depuis huit ans, je travaille constamment avec le son et je suis curieuse de voir comment il fait réagir les gens. Quelles émotions il éveille en eux. Ils sont nombreux à concentrer leurs vies autour des différents sons. Le son m’intéresse aussi d’un point de vue musical, et là, mon approche devient un peu politique. Je fais des commentaires sur la culture qui nous demande constamment de devenir meilleurs, de faire quelque chose de meilleur. J’utilise des échantillons de sons, avec des voix qui disent « tu vivras une vie meilleure en écoutant cette pièce pendant une dizaine de minutes ». J’utilise des voix tirées d’Internet, des voix de la culture du bricolage. Je joue avec ces voix, afin de créer de la musique de danse. »
Larisa Crunţeanu, commissaire du festival « News from Polska », explique pourquoi elle avait invité une artiste de l’extérieur de l’espace polonais : « Laura Hunt est une artiste d’origine australienne, que j’ai choisi d’inviter pour faire contrepoids aux tendances politiques de plus en plus nationalistes de Pologne. L’Institut polonais a été très ouvert à l’idée de présenter une position provenant d’une région apparemment exotique. En même temps, nombre d’artistes invités au festival partagent en fait la même situation de précarité. Ils voyagent d’un pays à l’autre, pour exporter leurs œuvres et leurs pratiques artistiques là où ils trouvent du soutien. » (trad. : Alex Diaconescu)