Mihai Eminescu, un poète toujours d’actualité
Le 15 janvier, c’est aussi la date de naissance de notre poète national, Mihai Eminescu. 168 ans près sa mort, les Roumains ont-ils encore envie de découvrir Eminescu et de lire ses poèmes ? En le présentant, les manuels scolaires se bornent toujours à quelques stéréotypes et la critique de son œuvre n’a pas beaucoup évolué depuis un demi-siècle. Pour comprendre l’œuvre de Mihai Eminescu, il est essentiel de comprendre le contexte dans lequel il a vécu – estime le critique littéraire Luminiţa Corneanu, professeur de littérature au lycée et à l’Université. Elle plaide en faveur d’une approche biographique : Eminescu a été – je cite – « un homme passionnel et passionné, un journaliste redoutable, virulent, un caractère excessif, un homme qui a vécu une grande histoire d’amour avec une femme qui s’appelait Veronica Micle » – fin de citation. De l’avis de notre invitée, l’approche biographique est la plus efficace pour rapprocher le public jeune d’une littérature écrite il y a un siècle et demi.» Luminiţa Corneanu : « Même en admirant énormément la poésie de Mihai Eminescu – et moi, j’ai effectivement une grande admiration pour cette poésie – il faut reconnaître qu’il s’agit d’une poésie écrite avec les moyens poétiques du 19e siècle et qui reflète une sensibilité spécifique de cette époque. Les moyens d’expression poétique sont ceux du 19e siècle et le contenu relève de cette même époque. Prenons, par exemple, le poème « Le Lac », qui figure dans les manuels. Dans ce poème, un lac, situé au cœur d’une forêt, est le lieu de rapprochement de deux jeunes – le poète et sa bien-aimée. Imaginez la façon de s’y rapporter des jeunes de notre époque, qui font connaissance sur Facebook et se rencontrent dans un club. La poésie de Mihai Eminescu n’est pas très accessible aux enfants de nos jours, qui, le plus souvent, ne comprennent pas de quoi il s’agit. »
Corina Sabău, 27.01.2018, 14:08
Le 15 janvier, c’est aussi la date de naissance de notre poète national, Mihai Eminescu. 168 ans près sa mort, les Roumains ont-ils encore envie de découvrir Eminescu et de lire ses poèmes ? En le présentant, les manuels scolaires se bornent toujours à quelques stéréotypes et la critique de son œuvre n’a pas beaucoup évolué depuis un demi-siècle. Pour comprendre l’œuvre de Mihai Eminescu, il est essentiel de comprendre le contexte dans lequel il a vécu – estime le critique littéraire Luminiţa Corneanu, professeur de littérature au lycée et à l’Université. Elle plaide en faveur d’une approche biographique : Eminescu a été – je cite – « un homme passionnel et passionné, un journaliste redoutable, virulent, un caractère excessif, un homme qui a vécu une grande histoire d’amour avec une femme qui s’appelait Veronica Micle » – fin de citation. De l’avis de notre invitée, l’approche biographique est la plus efficace pour rapprocher le public jeune d’une littérature écrite il y a un siècle et demi.» Luminiţa Corneanu : « Même en admirant énormément la poésie de Mihai Eminescu – et moi, j’ai effectivement une grande admiration pour cette poésie – il faut reconnaître qu’il s’agit d’une poésie écrite avec les moyens poétiques du 19e siècle et qui reflète une sensibilité spécifique de cette époque. Les moyens d’expression poétique sont ceux du 19e siècle et le contenu relève de cette même époque. Prenons, par exemple, le poème « Le Lac », qui figure dans les manuels. Dans ce poème, un lac, situé au cœur d’une forêt, est le lieu de rapprochement de deux jeunes – le poète et sa bien-aimée. Imaginez la façon de s’y rapporter des jeunes de notre époque, qui font connaissance sur Facebook et se rencontrent dans un club. La poésie de Mihai Eminescu n’est pas très accessible aux enfants de nos jours, qui, le plus souvent, ne comprennent pas de quoi il s’agit. »
Chose indéniable, pourtant, l’impact de Mihai Eminescu a été si grand qu’il a marqué un tournant dans la littérature roumaine. Luminiţa Corneanu : « Ouverture aux nouvelles idées, ouverture vers la philosophie, intégration du romantisme, remise à jour de la poésie roumaine, qu’il mettait au diapason de la poésie occidentale, de la littérature européenne – tout cela est dû à Mihai Eminescu. Il nous a légué une langue littéraire, un langage poétique. Sa présence dans notre culture a été décisive pour la littérature roumaine. Comme je le disais tout à l’heure, je suis persuadée que l’on arrive plus facilement à comprendre sa poésie en étudiant sa vie, pourtant les jeunes et le public de notre époque peuvent goûter certains de ses poèmes, même en l’absence de toute donnée biographique. Il s’agit des poèmes qui constituent la partie « sombre » de sa lyrique, la partie « plutonienne », comme le critique Ion Negoiţescu appelait les poésies posthumes de Mihai Eminescu. »
Avant d’être un poète national, Mihai Eminescu est un poète important – estime Carmen Muşat, rédactrice en chef de la revue « Observator Cultural ». Aussi, avant de lui rendre hommage, convient-il de le relire : « A mon avis, sans Mihai Eminescu, la littérature roumaine aurait été tout à fait différente de ce qu’elle est à présent et le processus d’évolution de la littérature et de la langue roumaine aurait été retardé. Mihai Eminescu a le grand mérite d’avoir structuré une langue littéraire et élaboré une œuvre nuancée et qui s’ouvrait vers de nombreux horizons. A le lire attentivement, on se rend compte que Mihai Eminescu n’est pas seulement un poète romantique. Sa prose est, en effet, typiquement romantique, mais sa poésie dépasse les limites du romantisme et elle annonce nombre de possibilités et de directions de la littérature roumaine des temps à venir. Dans certains de ces poèmes, au-delà de la mélodie, du rythme et de la rime, au-delà de l’imaginaire et de la rhétorique typiquement romantiques, on retrouve le modernisme de la fin du 19e siècle et du début du 20e. »
En raison de l’idéologisation et de la mythisation excessive du poète, l’écrivaine Simona Popescu n’a pas ressenti le besoin d’approfondir l’œuvre de Mihai Eminescu à l’école. Elle allait découvrir son œuvre beaucoup plus tard, quand elle était étudiante : « Mon Eminescu, Eminescu – le poète humain, Eminescu – le poète merveilleux, je l’ai redécouvert quand j’étais à l’Université, lorsque j’ai lu et relu intégralement son œuvre, y compris toutes les variantes de ses poèmes publiées dans l’édition critique de l’historien littéraire Dumitru Murăraşu. J’étais toujours étudiante quand j’ai imaginé une interprétation, une approche personnelle de la poésie de Mihai Eminescu. J’ai découvert un poète ludique, ironique, parodique et même auto-parodique. Je participais à l’époque aux Colloques sur Mihai Eminescu tenus à Iaşi et je me rappelle avoir choqué l’auditoire par un commentaire sur un poème dont je n’avais jamais entendu parler à l’école. Même de nos jours on ne le cite presque pas, car il est difficile à interpréter. Il s’agit du poème « Antropomorfism » (Antropomorphisme), une sorte de parodie du célèbre poème « Luceafărul » – L’Astre du jour, mais écrit avant ce dernier. C’est toujours une histoire d’amour, pas entre une mortelle et l’Astre du jour, mais entre un coq et une poule. Dans ce poème, Eminescu fait une parodie de ses propres thèmes, des idées de ses propres poèmes profonds, graves. C’est un spectacle inouï que seul un grand poète peut se permettre, surtout qu’il s’agit d’une auto-parodie signée Minunescu. Ce nom, « Minunescu », ressemblant beaucoup à « Eminescu », peut en même temps être perçu comme une dérivation du verbe roumain « a se minuna » – s’émerveiller. Je me suis énormément réjouie en tombant sur ce Minunescu, qui m’a fait aimer encore plus Eminescu. »(Aut. : Corina Sabău ; Trad. : Dominique)