Lia et Dan Perjovschi, primés
La Fondation Culturelle européenne a décerné fin mars le prix « La princesse Margriet » aux artistes roumains Lia et Dan Perjovschi et au chef d’orchestre d’origine israélienne établi en Allemagne, Yoel Gamzou. La cérémonie a été accueillie par le Centre culturel Egg de Bruxelles, avec comme amphitryon la directrice de la Fondation culturelle européenne.
Corina Sabău, 03.08.2013, 13:00
La Fondation Culturelle européenne a décerné fin mars le prix « La princesse Margriet » aux artistes roumains Lia et Dan Perjovschi et au chef d’orchestre d’origine israélienne établi en Allemagne, Yoel Gamzou. La cérémonie a été accueillie par le Centre culturel Egg de Bruxelles, avec comme amphitryon la directrice de la Fondation culturelle européenne.
Les lauréats se sont vu remettre le prix par Son Altesse Royale la princesse Margriet des Pays Bas. Le discours d’ouverture a été prononcé par Son Altesse Royale la Princesse Laurentien des Pays Bas, en présence de la Princesse Astrid de Belgique. « Les lauréats de cette année nous obligent de porter un regard critique aussi bien sur le passé que sur l’avenir », «Ainsi nous amènent-ils et nous lancent-ils le défi de nous définir de nouveaux paramètres et de nous dessiner une nouvelle carte mentale vers une Europe plus ouverte, plus démocratique et plus élargie », a déclaré Son Altesse Royale la Princesse Laurentien dans son discours d’ouverture.
Dan Perjovschi: «C’est la reconnaissance européenne d’une activité que nous avons déroulée chez nous, en Roumanie. Ce prix récompense non seulement notre valeur individuelle — celle de Lia et la mienne – mais aussi notre travail commun — une activité qui concerne plutôt la communication par l’art que l’art lui-même. Mon épouse, Lia, a créé une plate-forme de débats appelée «Archives de l’art contemporain». Cet aspect est d’ailleurs mentionné dans la motivation du prix, qui rappelle l’impact social de l’art et la manière dont l’art et notre activité peuvent influencer la manière dont la monde et l’Europe sont perçus. Notre décision de ne pas quitter la Roumanie est un autre aspect essentiel. Nous avons en fait reçu un prix néerlandais pour être restés au pays, alors que la plupart des bons et très bons artistes s’établissent dans les grandes capitales européennes .»
De par son art, Dan Perjovschi se considère comme un marginal. Toutefois, il estime que tant pour lui que pour son épouse Lia, il s’agit d’une sorte de « déclaration », de « statement ». Ce qui veut dire qu’il faut faire attention à l’espace et au contexte dans lequel on s’exprime et non pas en dernier lieu à qui on confectionne des t-shirts gratuits, comme Dan aime plaisanter. Par exemple, il y a 10 ans, Dan et Lia Perjovschi ont refusé toute collaboration avec le Musée national d’art contemporain. Et ce parce que le Musée avait été aménagé dans le siège de la Maison du Peuple, un édifice érigé sur l’ordre de l’ancien dictateur communiste Nicolae Ceausescu.
Poétiques, élaborés et raffinés au début, les dessins ont changé pour devenir plus simples, et ce à cause de l’historie, avec les descentes des mineurs, l’époque où Ion Iliescu a été président ou encore la guerre en Irak, estime Dan Perjovschi en se référant à ses créations : «Je pratique un langage artistique marginal, une sorte de dessin qui ressemble à la caricature, mais ne l’est pas. Généralement, quand on met côte à côte une peinture et une caricature, les gens diront que seule la peinture est de l’art, parce qu’ils ont été éduqués ainsi. Or, moi je dis qu’ils se trompent, que tout élément peut permettre une communication artistique et devenir porteur d’un message esthétique ou politique. Cela dépend de la manière dont on s’y prend. Et ma femme, Lia, fait la même chose. Dans les salles d’exposition, elle crée une sorte d’ « institutions » temporaires. Or, ces institutions ne sont pas nécessairement artistiques. Certaines sont liées à la science, d’autres à la communication, ce sont des démonstrations très intéressantes. Je dirais que nous appartenons à une catégorie d’artistes qui souhaitent renverser les choses, les faire d’une autre façon, transformer le monde des musées. Nous souhaitons que le musée cesse d’être cet espace que nous visitons le dimanche, après avoir pris soin de mettre nos plus beaux habits. Le musée, le territoire artistique doivent, au contraire, être un espace que nous visitons chaque jour et qui fait partie de notre quotidien, de notre existence.»
Dan Perjovschi a dessiné dans les grands musées de la planète, en recouvrant leurs murs d’histoires sur le monde où nous vivons. Il entretient une longue amitié avec la Revue 22, avec laquelle il collabore depuis sa création. « Tout est dessin et tout peut être transformé en dessin » affirme l’artiste qui a réussi à s’exprimer aussi dans des endroits où la liberté d’expression se voit sanctionner.
« N’importe quelle culture peut être aussitôt stigmatisée. Mais cet aspect ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est de comprendre des choses. Aux Emirats Arabes Unis, où les hommes peuvent avoir 4 épouses, j’ai fait un dessin où un Arabe s’exclamait « Give me five »! » raconte Dan Perjovschi qui évoque d’autres expériences similaires : «J’ai été à Cuba, j’ai été en Chine, je suis allé à Moscou, où des restrictions sont imposées à la liberté d’expression et où on vous dit ouvertement que vous pouvez tout critiquer, sauf l’Eglise orthodoxe. Je suis arrivé dans des espaces sensibles, pourtant j’y ai dessiné de façon à créer un espace de réflexion. En ce qui concerne ma collaboration avec la revue « 22 », je peux dire que je n’ai pas gaspillé mon temps en m’occupant de politique — au contraire, c’était du temps gagné. Pour moi, « 22 » n’est pas une publication, c’est une plate-forme de débat. Cela a été comme une exposition itinérante qui est entrée dans les maisons des gens. Les dessins que j’y ai publiés sont comme des résumés de certaines situations, de certains articles très intelligents, écrits par des gens éveillés. Et mes dessins se proposent de condenser des idées importantes, que j’ai puisées au domaine politique, pour les transférer dans le domaine artistique ou social. C’est d’ailleurs ce que je fais lorsque je réalise une installation sur les murs, n’importe où dans le monde. »
Kristine Stiles, professeure à Duke University, a collaboré avec les époux Perjovschi pendant ces 20 dernières années. Ecoutons ce qu’elle a déclaré dans son discours laudatif, lors de la remise du prix « Princesse Margriet » : « Reconnus sur le plan international pour leur originalité, authenticité féroce, dignité, intégrité ainsi que pour avoir mis leur vie au service de l’art et de la société, Lia et Dan Perjovschi sont devenus les ambassadeurs idéaux de la culture européenne, des citoyens du monde qui ont changé la manière dont le but de l’art est perçu dans la société ». (trad. : Dominique, Alexandra Pop)