Les réalisateurs Cristian Mungiu et Bogdan Mirică
Le cinéma roumain sest fait remarquer, cette année aussi, au Festival international du film de Cannes, où il a été représenté par cinq productions: le long-métrage « Sieranevada », de Cristi Puiu, le court-métrage « 4:15 P.M. La fin du monde », écrit et réalisé par les débutants Cătălin Rotaru et Gabi Virginia Şarga, le court-métrage décole « Tous les fleuves vont à la mer « , produit par lUNATC, réalisé par Alexandru Badea et présenté dans la section Cinéfondation, et les deux productions entrées au palmarès – « Baccalauréat » (prix de la mise en scène pour Cristian Mungiu) et « Chiens », de Bogdan Mirică, récompensé du prix de la critique internationale FIPRESCI de la section « Un Certain Regard ». Cristian Mungiu est déjà bien connu sur la Croisette, où trois de ses quatre longs-métrages ont reçu des récompenses: « 4 mois, 3 semaines et deux jours » a eu la Palme dOr, en 2007; « Au-delà des collines » a été distingué, en 2012, du prix du meilleur scénario et du prix dinterprétation féminine pour le travail des comédiennes Cristina Flutur et Cosmina Stratan; enfin, cette année, Cristian Mungiu sest vu attribuer le prix de la mise en scène, ex-æquo avec le Français Olivier Assayas, récompensé, lui, pour le film « Personal Shopper ».
Christine Leșcu, 13.08.2016, 13:30
Le cinéma roumain sest fait remarquer, cette année aussi, au Festival international du film de Cannes, où il a été représenté par cinq productions: le long-métrage « Sieranevada », de Cristi Puiu, le court-métrage « 4:15 P.M. La fin du monde », écrit et réalisé par les débutants Cătălin Rotaru et Gabi Virginia Şarga, le court-métrage décole « Tous les fleuves vont à la mer « , produit par lUNATC, réalisé par Alexandru Badea et présenté dans la section Cinéfondation, et les deux productions entrées au palmarès – « Baccalauréat » (prix de la mise en scène pour Cristian Mungiu) et « Chiens », de Bogdan Mirică, récompensé du prix de la critique internationale FIPRESCI de la section « Un Certain Regard ». Cristian Mungiu est déjà bien connu sur la Croisette, où trois de ses quatre longs-métrages ont reçu des récompenses: « 4 mois, 3 semaines et deux jours » a eu la Palme dOr, en 2007; « Au-delà des collines » a été distingué, en 2012, du prix du meilleur scénario et du prix dinterprétation féminine pour le travail des comédiennes Cristina Flutur et Cosmina Stratan; enfin, cette année, Cristian Mungiu sest vu attribuer le prix de la mise en scène, ex-æquo avec le Français Olivier Assayas, récompensé, lui, pour le film « Personal Shopper ».
Une reconnaissance méritée et qui lhonore, considère Cristian Mungiu, dautant plus quelle saccompagne de lappréciation du public, notamment celui de létranger et de la diaspora roumaine, car, ajoute le réalisateur roumain au nom de tous ses collègues, « il arrive souvent que nous soyons plus connus et plus respectés dans dautres pays quen Roumanie ».
Ce sont, dailleurs, les préférences du public qui pèsent sur le choix du sujet de ses films, fait savoir Cristian Mungiu: « Cest un croisement de ce qui mintéresse et mémeut personnellement avec ce qui, je crois, a un impact aussi sur le public. Cest à partir de là que jessaie de construire un film qui ne soit ni un cours de sciences-po ni un commentaire social, mais seulement un produit cinématographique avec action, histoires… Si je prends lexemple de « 4 mois, 3 semaines et deux jours », je nai jamais voulu en faire un film qui condamne le communisme, je ne me suis jamais proposé de revisiter lépoque pour en extraire une chronique des dernières années du régime communiste. Jai juste raconté une histoire que je connaissais. Le plus important cest que les gens se rendent compte quils sont en train de regarder un film. Si, en plus des émotions éveillées par tout produit artistique, le film leur pose aussi des questions… ben, tant mieux ».
« Baccalauréat », la production la plus récente signée par Cristian Mungiu, non seulement pose des questions, mais touche un point douloureux de la société roumaine: la corruption. Elle renvoie aussi au premier film de Mungiu, « Occident », une comédie sur le dilemme des jeunes de partir à létranger ou de rester au pays, sortie en 2002. « Baccalauréat » parle de ceux qui sont restés et qui sont confrontés aujourdhui au même dilemme du départ de leurs enfants.
Est-ce un cycle qui se referme? Cristian Mungiu: « Je serais heureux que ce cycle se referme. Mais je crois que, malheureusement, il nen est pas encore là et que nous le passerons à nos enfants. Javoue que, 15 ans après « Occident », je ne mattendais pas à ce quon soit là. Je ne pensais pas reprendre ce thème, jespérais voir les choses évoluer différemment. Cette fois-ci, jai approché le thème sous un autre angle, celui dun parent qui a beaucoup plus de soucis quil y a 15 ans, quand nous pensions pouvoir changer le monde dici. Aujourdhui, quand je réfléchis aux conseils que les parents devraient donner à leur progéniture, je me rends compte que nous navons pas progressé comme je le souhaitais et quil est difficile de donner des conseils ou de prendre des décisions. Cest ce qui ma poussé à revisiter ce thème qui préoccupe de nombreux parents de ma génération. »
Bogdan Mirică a été présent à lédition 2016 du Festival de Cannes avec son premier long-métrage, « Chiens », désigné meilleur film de la section « Un certain regard » par le jury de la critique internationale FIPRESCI. Bogdan Mirică, qui a débuté comme réalisateur en 2010, avec le court-métrage « Junkie », avouait avoir découvert le cinéma à lâge de 30 ans, quand il avait commencé à écrire des scénarios. Alors, il nous a semblé tout à fait naturel de lui demander ce qui est plus important dans un film – lhistoire ou linnovation purement cinématographique?
Bogdan Mirică : « Dans mon film, cétait mon choix de reléguer lhistoire au second plan, parce quil nest pas très difficile décrire une histoire cohérente du début à la fin. Moi, jai voulu maventurer sur le terrain des sensations et proposer un film qui frappe au plexus solaire, pas forcément par lhistoire racontée, mais par lensemble, par latmosphère. Mais quand je dis que la narration est secondaire, cela ne veut pas dire quelle est débile, mais quelle a des ellipses, des tranches qui ne vont pas jusquau bout, mais que le spectateur peut boucler, sil est observateur. »
Scénariste de ses propres productions, Bogdan Mirică affirme que tout nouveau film part dun mélange de sensations, avant dêtre mis sur papier. Cest ce qui est arrivé avec le long-métrage « Chiens »: « Jécris à partir dun sentiment, dune émotion plutôt confuse, et puis, les choses commencent à sordonner et je crée une histoire autour de cette émotion. Dans ce cas précis, cétaient des souvenirs denfance, quand jai passé plusieurs étés chez ma grand-mère, à la campagne. Cest là que jai assisté, des fois, à des conflits, certains assez agressifs, entre des gens du coin. Des années plus tard, je me suis rendu compte que ce qui avait effrayé lenfant que jétais ce ne fut pas la manifestation de la violence mais son caractère arbitraire. Mon film part dune réalité roumaine, mais je nai pas eu en tête de reconstituer cette réalité. Ce nest pas un film réaliste, les personnages parlent presquen paraboles, le temps du film est une licence poétique. On ma dailleurs dit que cest une atmosphère quasi tchékhovienne. Mais si, à lavenir, je sens que ces artifices sont un fardeau et que je dois être plus près de la réalité, je le ferai… probablement. »
Quels que soient ses futurs choix, Bogdan Mirică a fait un début prometteur. Comme ce fut également le cas de Cristian Mungiu, qui vient dêtre invité à rejoindre les membres ayant le droit de voter, de lAcadémie du film des Etats – Unis. (Trad.: Ileana Taroi)