Les 25 ans du Festival national de théâtre
Le Festival national de théâtre, événement organisé dès le début par l’Union théâtrale de Roumanie, UNITER, est parvenu à sa 25e édition. Une édition-anniversaire, donc, fait illustré dans la programme proposé par Marina Constantinescu, directrice artistique. Dix jours durant, 41 spectacles représentatifs du pays, trois productions théâtrales étrangères et une cinquantaine d’événements connexes ont fait les délices des spectateurs.
Luana Pleşea, 07.11.2015, 13:35
Un des spectacles étrangers invités au festival a été celui coproduit par plusieurs compagnies de théâtre de Suède et réalisé d’après le texte d’un auteur roumain. Il s’appelle « Le tigre » et a eu pour point de départ la pièce « Le Tigre de Sibiu », portant la signature de Gianina Cărbunariu. La première du spectacle a eu lieu en septembre, au Théâtre dramatique royal de Stockholm. Ulrika Josephsson, productrice du spectacle, explique ce choix : « Pour nous autres, artistes de Suède, ce texte est tout à fait à part, d’abord par son écriture. Ce n’est pas comme si l’on incarnait un personnage. Les comédiens racontent une histoire de manière directe, en faisant appel à des animaux pour parler de ce qui se passe dans la société de nos jours. Un autre élément particulier est le sujet du récit, qui, à mon avis, constitue une sorte de lien entre les gens. Lors de la première lecture de la pièce en Suède, dans la ville d’Orebro, les comédiens ont cru que l’on y avait fait des modifications de sorte à donner l’impression qu’il s’agit justement de cette ville. Je leur ai dit que rien n’y avait été changé, qu’il s’agissait bel et bien du texte original. Cela en dit long sur l’universalité de son message.
Un autre élément d’originalité, c’est le regard que les gens portent sur les étrangers, la façon dont ils réagissent. L’étranger est représenté dans la pièce par le tigre. Ce que j’apprécie aussi dans le texte de Gianina, c’est l’humanité de l’approche. Il y a beaucoup de compassion envers les gens, même lorsqu’ils ont une conduite affreuse. C’est ainsi que nous devrions réagir devant un tel « tigre ». Bref, c’est une pièce très politique, mais écrite dans un style direct, avec bien de la compassion et de l’humour. »
Si l’année dernière la production du FNT a été la comédie musicale «West Side Story», cette année, en partenariat avec le Festival International de théâtre de Sibiu, l’on a créé la plate-forme «Manifeste pour le dialogue», en partant du spectacle «Antisocial» de Bogdan Georgescu. Celui–ci nous en parle : «Nous avons commencé en novembre dernier par un atelier de théâtre. Ce qui m’a intéressé ont été les relations inter-humaines dans le contexte du phénomène des réseaux sociaux qui nous envahissent en permanence. Et pour cause : deux semaines avant le début des répétitions, un scandale retentissant a eu lieu dans un lycée de prestige de Cluj, où plusieurs élèves ironisaient leurs profs dans un groupe secret sur Facebook. Au moment où les professeurs l’ont appris, 200 élèves ont été exclus du lycée. En partant de cette histoire, un mois durant, nous avons joué, improvisé et testé toute sorte de techniques de négociation, de débat et d’analyse. Ainsi est né le spectacle « Antisocial ». A mon avis, dans ce type de projets, l’enjeu n’est pas de mettre les projecteurs sur telle ou telle personne, mais plutôt d’apprendre, de travailler côte à côte et de fonctionner comme une équipe une fois l’école terminée ».
En ce mois de novembre, la production «Antisocial» fera le tour de 21 villes de Roumanie. Bogdan Georgescu : « Nous souhaitons rejoindre les gens au sein de leurs communautés et mettre à leur disposition un espace de débat. Nous n’offrons ni réponses, ni solutions. Par ce spectacle, par ces rencontres et par les débats à la fin du spectacle, nous voulons créer un espace consacré aux débats sur le système éducationnel et sur les manières de le repenser et de le rapprocher des réalités de l’année 2015».
«C’est un spectacle sur ma mère (…) sur ma mère qui souffre de la maladie d’Alzheimer, sur la mère que je n’ai pas perdue, mais qui m’a perdu, moi, bien qu’elle soit encore à mes côtés. Comment peut-on exprimer une telle douleur ? » s’interroge le metteur en scène Mihai Măniuţiu dans sa présentation du spectacle «Vertige». Un spectacle très émouvant dont la chorégraphie est signée par ses protagonistes : Vava Ştefănescu et Andrea Gavriliu.
Une production du théâtre « Aureliu Manea », de Turda, dont nous parle la chorégraphe Vava Ştefănescu : « Vertij est un spectacle chorégraphié, avec une forte composante visuelle et physique, et non du théâtre conventionnel. Il est construit autour du poème écrit par le metteur en scène lui-même, Mihai Măniuţiu, un texte dit par le grand comédien roumain Marcel Iureş. A ces paroles viennent sajouter les textes écrits par les corps des comédiens, tout au long du spectacle. Lorsque jai commencé à travailler sur cette thématique, je me disais quil serait impossible de mener ce projet à terme. Je pleurais tout le temps. Mais, progressivement, je me suis rendu compte quil faut passer à létape supérieure, à la sublimation de la tristesse et de la souffrance. Comme le disait Mihai Măniuţiu, ce nest pas le comédien qui pleure, cest le public. Dans ce spectacle, il nest pas question tant de la maladie elle-même, mais de la perte de soi, de limpossibilité de reconnaître sa propre identité et tous ceux qui nous entourent. »
Voilà, donc, les principaux repères de cette 25e édition du Festival national de théâtre, dirigé, cette année, par la critique Marina Constantinescu. Comment ce festival, cet agencement de spectacles se voient-ils de lextérieur? Voici les propos du critique international de théâtre George Banu: « Selon moi, lapproche de Marina Constantinescu est très intéressante dans la mesure où le festival sest ouvert vers dautres horizons, a doublé le nombre de spectacles, en réunissant différentes générations dartistes qui, dhabitude, entretiennent des relations polémiques. Ce festival semble être un terrain dentente », estime le critique international de théâtre George Banu. (trad.: Mariana Tudose, Valentina Beleavski, Andrei Popov)