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L’écrivaine Ileana Malancioiu


« Bravo, femme ! Courageuse. Apre. Elle voit, elle sait, elle dit. Et elle y met son cœur de femme sensible. Esprit profond, aux aspérités. Grande poétesse. En effet, voici ce que j’admire chez elle : une force très intelligente mais à la fois accessible à la compassion, à la tendresse (indirecte). Je l’ai qualifiée : une Antigone qui tient Oedipe par la main, mais une Antigone à l’âme d’Electre » – C’est ainsi que Nicolae Steinhardt, l’auteur du « Journal de la Félicité », œuvre unique de la littérature roumaine, décrivait l’écrivaine Ileana Malancioiu.

L’écrivaine Ileana Malancioiu
L’écrivaine Ileana Malancioiu

, 26.01.2013, 13:00


« Bravo, femme ! Courageuse. Apre. Elle voit, elle sait, elle dit. Et elle y met son cœur de femme sensible. Esprit profond, aux aspérités. Grande poétesse. En effet, voici ce que j’admire chez elle : une force très intelligente mais à la fois accessible à la compassion, à la tendresse (indirecte). Je l’ai qualifiée : une Antigone qui tient Oedipe par la main, mais une Antigone à l’âme d’Electre » – C’est ainsi que Nicolae Steinhardt, l’auteur du « Journal de la Félicité », œuvre unique de la littérature roumaine, décrivait l’écrivaine Ileana Malancioiu.


Prix national de la poésie «Mihai Eminescu », «Grand prix Prométhée», Grand Prix « Lucian Blaga », « Prix de la revue Adevarul littéraire et artistique » ou encore « Prix Opera Omnia» accordé par l’Association des Ecrivains de Bucarest — voilà quelques-unes des distinctions dont Ileana Malancioiu s’est vu récompenser pour ses volumes de poésie, essais et créations journalistiques. Un deuxième volume signé Ileana Malancioiu et intitulé « La légende de la femme emmurée » paraissait fin décembre dernier en Irlande, chez les Editions « Gallery Press », le premier à avoir été publié dans ce pays étant celui intitulé « Après la Résurrection de Lazare ».


Invitée d’honneur il y a deux ans de l’événement « Notre langue, le roumain », organisé en République de Moldova, Ileana Malancioiu lançait l’idée de réaliser un buste de Paul Goma, l’intellectuel roumain dissident le plus important, qui s’était établi à Paris. L’événement a abouti à la parution du « Livre de la poésie 2012 », qui s’ouvre sur la poésie de Malancioiu et qui comporte une sélection des créations signées par des poètes de Bessarabie.


Ileana Malancioiu:« Les intellectuels de Bessarabie qui ont lutté pour la langue roumaine ont réalisé quelque chose de très important. Ils ont créé la Grande Roumanie d’un point de vue culturel. Il y a beaucoup de poètes moldaves talentueux et le préjugé des intellectuels roumains selon lequel en République de Moldova on écrit comme on le faisait au siècle passé est toujours d’actualité. J’ai voulu parler de Paul Goma car en Roumanie il a été victime d’une grande injustice. Nous ne sommes pas très nombreux à parler de lui avec amour. Ce fut là aussi peut-être sa faute, vu que son journal a soulevé beaucoup de questions. En fait, il se disait triste du fait que notre enthousiasme des années ’90 se soit éteint. Ces mots étaient issus de sa tristesse et les gens ont senti le besoin de l’isoler, ce qui n’est pas correct vu qu’il est quand même le symbole de notre résistance, tant qu’elle a été. Je ne trouve pas normal qu’il mène sa vie seul et isolé à Paris, et que dans le pays, toute sorte de faux dissidents se révèlent. C’est une tristesse sans fin qu’un homme comme lui se voit isoler ».


Diplômée de la faculté de philosophie en 1968, Ileana Malancioiu se voit publier en 1978 sa thèse de doctorat « La Faute tragique », 6 autres de ses volumes ayant été publiés entre temps. Ileana s’est vu obliger à renoncer à la philosophie, car comme elle l’avouait elle-même, «l’époque ne prêtait pas à la philosophie ».


Même son mémoire de maîtrise, «La place de la philosophie de la culture dans le système de Lucian Blaga », a suscité un véritable tollé. Elle s’est vu reprocher par la plupart de ses professeurs qu’après 5 années d’études de philosophie marxiste, elle avait choisi comme thème la philosophie de Lucian Blaga (philosophe et poète roumain réduit à l’isolement par le régime communiste). Ileana allait provoquer un autre scandale dans les années ’70, lorsqu’elle travaillait à la télévision. A cette époque-là, caractérisée par une liberté apparente, Ileana avait une émission intitulée « Poètes roumains contemporains », dans laquelle elle parvenait à faire connaître au public des poésies de Alexandru Philippide, Constantin Noica, Dimitrie Stelaru, Eugen Jebeleanu, Emil Botta.


Une simple question adressée à ceux qui ont décidé d’interdire l’émission a profondément dérangé la direction de l’époque de la télévision publique. Le cas a été examiné en séance du parti et Ileana Malancioiu s’est vu contrainte de quitter définitivement l’institution. En 1985, la vente de son volume « L’escalade de la montagne » est suspendue dans les librairies et tout commentaire littéraire est interdit. Trois ans plus tard, à une époque où la censure intervenait même dans les œuvres du philosophe Constantin Noica, Ileana Malancioiu décide de démissionner de la revue littéraire « Viata romaneasca » (« La vie roumaine »). Elle est suivie de près par la Securitate(, comme on peut le constater à feuilleter le dossier de Dorin Tudoran).


Et pourtant, Ileana Malancioiu affirme : « On ne doit pas me reconnaître les mérites d’un grand dissident. Tout ce que j’ai fait, moi, ce fut d’essayer en tant qu’écrivain de sauver des livres. J’ai donc rejeté les mensonges, la censure, c’est tout. Loin de moi de jouer les dissidents. A chaque fois quand on me traitait de dissidente, je disais « Paul Goma fut un vrai dissident, pas moi ! » C’est lamentable d’assumer plus de vertus qu’on ne mérite. Il est vrai que les temps étaient durs, mais puisque la revue « Viata romaneasca » avait un tirage plus restreint, on arrivait, après de longs combats, à y faire paraître des articles qui n’avaient pas de chances réelles de publication dans des revues au tirage plus grand, telles « Romania literara ».


Ileana Malancioiu a fait ses débuts poétiques inspirée par les vers du poète russe Sergueï Essenine et de ses confrères roumains Mihai Eminescu et George Bacovia avant de trouver sa propre voix. Qu’est-ce qu’elle a emprunté de ces fameux prédécesseurs ? « Presque tout le bagage poétique dont on s’accompagne une fois engagé sur la voie de la poésie. Après avoir exercé ma technique sur des vers d’Eminescu et de Bacovia, j’ai décidé de jeter toutes ces imitations pour repartir à zéro et dire ce que j’avais vraiment à dire. Pourtant, en l’absence de tous ces exercices de versification, je ne serais jamais parvenue à atteindre le niveau poétique actuel. Ensuite, j’ai commencé à lire systématiquement les poèmes de Baudelaire. C’est-à-dire, lire des poésies, le crayon à la main et tenter de comprendre pourquoi lui, à la différence d’autres poètes, a tellement bien résisté. Généralement, le poète est obsédé par la mort, surtout à partir d’un certain âge. Or, à un moment donné, l’obsession risque de devenir tellement grande que le poète arrive à se sentir menacé et refuse d’en parler. On évite le mot, comme si on pouvait éviter la mort. Mais le silence n’est pas mauvais non plus. Il y a des moments quand on risque de dire des choses qui ne nous représentent plus. Le mieux serait alors de faire de pauses lecture, très utiles pour replonger dans l’écriture ou pour clôturer brillamment une carrière. La clôturer avant que la dégradation ne se déclenche ! »


« Je ne saurais être dans mes poèmes autre que dans ma vie réelle. Au contraire. Pourtant, je n’ai jamais renoncé à faire des efforts pour trouver le mot juste, celui qui arrive à m’exprimer telle que je le suis. Et je suis terrifiée par la crise du mot qui me réduira définitivement au silence » a encore affirmé Ileana Malancioiu…(trad. : Alexandra Pop, Ioana Stancescu)

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