Le Prix Spécial Gopo attribué à la critique de cinéma Magda Mihăilescu
Corina Sabău, 10.12.2021, 13:59
Lors
du quinzième Gala des Prix Gopo, la critique de cinéma film Magda Mihăilescu s’est
vu attribuer le Prix spécial pour l’ensemble de sa carrière. Diplômée du
département de journalisme de la Faculté de philosophie de l’Université de
Bucarest, membre de l’Union des cinéastes de Roumanie et de la Fédération
internationale des critiques de cinéma (FIPRESCI), Magda Mihăilescu a débuté en
1964, en tant que chroniqueuse cinéma, dans les pages de la revue Flacăra. Elle passe ensuite au quotidien
Informația Bucureștiului, une
rédaction qu’elle quitte en 1982, lorsqu’elle se voit interdire de travailler
dans la presse. Magda Mihăilescu reprend l’activité journalistique après 1990, avec
une rubrique cinéma au quotidien Adevărul
et la page cinéma Travelling de la
revue Adevărul Literar și Artistic,
qu’elle assure de 1991 à 2005. Entre 2005 et 2008, elle est titulaire de la
rubrique cinéma du journal Gândul. Depuis
2005, elle est journaliste indépendante et publie des articles dans le journal
en ligne DCNEWS, dans la revue virtuelle de l’Union des cinéastes Aarc et dans
la revue de cinéma italienne Otto e mezzo.
En 1969, Magda Mihăilescu publie son premier volume, une monographie consacrée
à l’actrice Sophia Loren, qui sera suivie de plusieurs études sur l’histoire du
cinéma et de contributions à des ouvrages collectifs. Elle a signé, aux côtés
de quatre autres critiques européens, le volume Guardare in faccia il male, Lucian Pintilie fra cinema e teatro
(Italia, Pesaro, 2004). Elle est l’auteure des ouvrages Ces Giocondes sans sourire-Conversations avec Malvina Urşianu (Éditions
Curtea Veche, 2006), François Truffaut – L’homme
qui aimait les films (Éditions Curtea Veche, 2009), Ma sœur d’Australie-Vieilles rencontres avec Irina Petrescu (Les
éditions de l’Union des cinéastes, 2019).Elle a coordonné, avec Cristina
Corciovescu, également critique de cinéma, les ouvrages Les dix meilleurs films roumains de tous les temps (Éditions
Polirom, 2010) et De camarade Ceaușescu à
monsieur Lăzărescu (Éditions Polirom, 2011).
En 2009, après la sortie du
livre consacré à François Truffaut, le critique de cinéma Alex.Leo Șerban écrivait
dans la revue culturelle Dilema: « Le
livre de Magda Mihăilescu, François
Truffaut – L’homme qui aimait les films, est, à mes yeux, le meilleur livre
de cinéma jamais écrit en roumain. » Nous avons interrogé Magda Mihăilescu
sur sa passion pour le réalisateur français, une passion née dès sa première
rencontre avec l’œuvre de Truffaut, lors de la projection du film Les quatre cents coups. « François Truffaut m’a
bouleversée et m’a marquée pendant une certaine période. Ma carrière venait de
commencer lorsque j’ai découvert son art. Ce qui m’a impressionnait chez lui c’était
la façon dont il avait construit sa carrière, et quand je dis ça, je pense à
son parcours dans le cinéma en général, pas seulement en tant que réalisateur,
car Truffaut – c’est bien connu – a été un des plus « furieux »
critiques français, avec une approche inédite du cinéma de l’Hexagone. Ce changement
de carrière m’a intéressée et m’a séduite, l’idée de voir comment le critique
colérique et furibond, le fossoyeur du cinéma français selon certaines voix,
s’est transformé en un critique calme, classique presque, mais qui a réussi à agiter
les eaux de la modernité. J’ai été intéressée de voir comment il s’était
construit cette carrière d’homme de cinéma, en passant de la condition de
critique à celle de plus important cinéaste français de l’après-guerre. C’est
la vérité, qu’on l’accepte ou non. Jean-Luc Godard, pour mentionner quelqu’un
de bien plus spectaculaire du monde du cinéma, a peut-être fondé une école.
Truffaut, lui, n’a pas fondé d’école, mais ils sont nombreux à rêver d’arriver
au même bout de chemin que lui. J’ai été impressionnée par sa condition
tellement complexe. Sans l’avoir jamais rencontré – et ça c’est un des
paradoxes de ma vie, j’ai rencontré de grands cinéastes, mais pas Truffaut -
tout ce que j’ai lu ou entendu dire de lui m’a fait comprendre qu’il était
quelqu’un de très humain, un être plein de charme et très généreux. De nombreux
jeunes cinéastes français ont fait leurs débuts grâce au soutien financier de
Truffaut, qui n’en a jamais parlé, d’ailleurs. », a-t-elle répondu.
Durant sa carrière, Magda Mihăilescu a interviewé
en exclusivité pour la Roumanie de grands cinéastes tels Federico Fellini,
Sophia Loren, Ennio Morricone, Andrzej Wajda, Orson Welles, Laurence Harvey,
Marco Bellocchio, Claude Lelouch, André Téchiné, Fanny Ardant, Jean-Paul
Belmondo, Emir Kusturica. Magda Mihăilescu évoque sa rencontre avec Federico
Fellini. « Ma rencontre avec Federico Fellini a
été un miracle. J’étais à Rome au moment où il tournait « Amarcord » à
Cinecittà. Et je peux vous dire que j’ai eu cette chance d’être suffisamment
jeune et en forme, car, lorsque j’ai reçu l’autorisation d’assister au
tournage, on m’a dit que personne ne pouvait me recommander à Fellini. Je
pouvais donc m’installer sur le plateau de tournage, Fellini tournant jour et
nuit, et résister autant que possible : si Fellini remarquait ma présence,
il viendrait me parler. Ce fut donc un test de résistance pour moi et, deux
jours plus tard, Fellini s’est approché de moi et m’a demandé ce que je faisais
là, quel était mon travail. Et c’est comme ça que j’ai pris part à cette magie,
de regarder Fellini travailler. C’est difficile de le raconter, mais quand j’ai
écrit mon reportage, j’ai quand même été capable de trouver les mots pour le
faire. C’est difficile de raconter Fellini, car il jouait tout le temps sur le
plateau de tournage, avec les figurants, avec tout le monde qui était là. Il
tournait une scène d’hiver en plein été, avec de la neige artificielle
bien-sûr, et il était là, enveloppé dans un manteau épais, alors que nous
autres portions des vêtements d’été, car on était en juin. Et il est venu nous
demander comment on faisait pour ne pas avoir froid. Malheureusement, je ne
suis pas entrée dans son jeu pour feindre le froid, sans comprendre que la
réalité inventée par Fellini était plus forte que la réalité météorologique. Il
était comme ça, Federico Fellini. On a dit qu’il était un sorcier et c’est vrai.
Le fait d’assister à ce tournage a probablement été le plus fort moment de mes
rencontres avec le miracle de la naissance du cinéma. », a conclu Magda
Mihăilescu. (Trad. Ileana Ţăroi)