Le metteur en scène Thomas Ostermeier au Festival « Interférences » de Cluj
Présent pour la première fois à Cluj, le célèbre théâtre Schaubühne de Berlin a offert au public un spectacle considéré comme le plus important moment du Festival international de théâtre « Interférences » accueilli par cette ville du centre de la Roumanie. Il s’agit de la pièce « Un ennemi du peuple » d’Henrik Ibsen, mise en scène par Thomas Ostermeier. Selon Tompa Gabor, directeur du Festival et du Théâtre magyare de Cluj, on ne pouvait trouver meilleur endroit pour présenter ce spectacle, en raison de la polémique créée autour du projet d’exploitation aurifère à base de cyanures à Roşia Montana, près de Cluj. Le thème abordé par Ibsen dans cette pièce peut se résumer ainsi: on vient de découvrir que l’eau potable de la ville est polluée, ce qui pourrait priver la ville de sa principale source de revenu: le tourisme. Faut-il dire ou taire cette vérité?
Luana Pleşea, 13.12.2014, 13:24
Présent pour la première fois à Cluj, le célèbre théâtre Schaubühne de Berlin a offert au public un spectacle considéré comme le plus important moment du Festival international de théâtre « Interférences » accueilli par cette ville du centre de la Roumanie. Il s’agit de la pièce « Un ennemi du peuple » d’Henrik Ibsen, mise en scène par Thomas Ostermeier. Selon Tompa Gabor, directeur du Festival et du Théâtre magyare de Cluj, on ne pouvait trouver meilleur endroit pour présenter ce spectacle, en raison de la polémique créée autour du projet d’exploitation aurifère à base de cyanures à Roşia Montana, près de Cluj. Le thème abordé par Ibsen dans cette pièce peut se résumer ainsi: on vient de découvrir que l’eau potable de la ville est polluée, ce qui pourrait priver la ville de sa principale source de revenu: le tourisme. Faut-il dire ou taire cette vérité?
Le spectacle a été suivi d’un dialogue avec ses créateurs, avec pour thème « Ibsen, notre contemporain. Ecologie et capitalisme : depuis un ennemi du peuple à Roşia Montana ».
A cette occasion, Thomas Ostermeier a expliqué les modifications apportées au texte d’Ibsen, écrit en 1882. La plus importante décision a été de « rajeunir » le personnage principal, le docteur Stockmann et sa femme, pour les intégrer à la plage d’âge de 30-35 ans, alors que les personnages originels sont beaucoup plus âgés. La raison de ce choix a été l’intention de déplacer le centre d’intérêt de la lutte politique vers une analyse psychologique de la jeune génération.
Thomas Ostermeier : « Nous avons utilisé un couple jeune et j’ai mis dans un seul personnage le rôle de la fille et de l’épouse du docteur Stockmann de la version d’origine puisque honnêtement cette pièce ne compte pas parmi les plus fortes pièces d’Ibsen;, elle est très banale. J’ai essayé de la rendre plus difficile en ajoutant certaines contradictions dans le personnage de Katherine Stockmann, l’épouse. Elle est, d’une part, solidaire avec son mari. D’autre part, elle est énervée par un homme qui se prend pour celui qui porte le flambeau de la vérité dans la société. Ce même individu qui inflige à son épouse de mauvais traitements, qui s’avère donc mauvais partenaire. Cet aspect a été très important pour moi : avoir un côté psychologique de l’activiste politique, de celui qui souffre d’un complexe d’infériorité par rapport à son frère aîné. C’est d’ailleurs en raison de ce complexe, qu’il devient activiste. Il existe donc une raison psychologique aussi, à part celle politique qui explique son chois de devenir activiste. J’ai également opéré de nombreux changements lors du dernier acte du spectacle, dont la situation tout à fait inhabituelle du chantage que le père exerce sur le jeune couple. Même cas de figure pour le maire qui lui dit que s’il poursuit sur cette voie, il sera emmené devant le juge et accusé d’avoir ruiné la réputation de l’entreprise … Toutes ces choses ne se trouvent pas dans la version d’origine de la pièce d’Ibsen. Et pourtant, cette situation est valable dans plusieurs pays : si on est confronté à un ennemi politique, on ne lutte pas par des moyens politiques, mais juridiques. »
De plus, la fin du spectacle est complètement différente du texte d’origine. Si dans le cas d’Ibsen, le médecin est le héros qui décide de fonder une école, Ostermeier choisit de le piéger, lui donnant la possibilité de choisir une vie meilleure, avec une grosse somme d’argent. Selon le metteur en scène allemand, cette fin est beaucoup plus réaliste.
On pourrait dire que Thomas Ostermeier est plus cynique, mais l’artiste a avoué durant le débat qu’il était très fâché en raison de l’arrogance de la jeune génération, de sa génération : «C’est une génération ambivalente, schizophrénique. D’une part, nous pensons que notre génération est beaucoup plus avancée pour ce qui est des droits des femmes et de notre comportement envers les autres. Nous tendons aussi à croire que nous prêtons beaucoup plus d’attention à notre attitude envers l’environnement… Et ainsi de suite.. Mais, en même temps, notre génération est responsable pour l’Holocauste écologique et les générations à venir nous demanderont pourquoi nous n’avons rien fait en ce sens. D’où cette véritable schizophrénie. Parce que, dans le même temps, nous prétendons avoir une vision beaucoup plus avancée du monde par rapport à nos parents. D’autre part, nous n’agissons pas, nous ne changeons rien côté politique. J’ai voulu parler de tout cela, de cette génération qui se rend à vélo au travail le matin, qui fait du yoga, qui ne fume pas, qui cherche à mener une vie saine, qui s’occupe beaucoup des enfants… Etre un bon parent ne signifie pas uniquement être à la maison et prendre soin de son enfant. Il faut aussi lui assurer un monde meilleur, un monde qui ne soit pas entièrement empoisonné. C’est ça la schizophrénie de notre génération et ça se voit dans tous les mouvements politiques récents, dans tous les échecs de ces mouvements ».
Pour le metteur en scène Thomas Ostermeier, le spectacle « Un ennemi du peuple » par l’Ibsen n’est pas un manifeste révolutionnaire: « Je ne crois pas que l’on puisse changer quelque chose par le théâtre. Le rôle du théâtre n’est pas de déclencher des révolutions. Pour moi, ce spectacle est plutôt une confession, une image du moment présent”, avoue Ostermeier. (Trad. Dominique, Alex Diaconescu, Valentina Beleavski)