Le long-métrage « Aferim! », du réalisateur Radu Jude à Berlin
La publication mentionnée apprécie les décisions du réalisateur, les mérites du scénario, cosigné par Radu Jude et Florin Lăzărescu, la prestation des acteurs, notamment celle de Toma Cuzin, et la qualité de l’image en noir et blanc réalisée par Marius Panduru. The Hollywood Reporter, cette autre publication importante de l’industrie du cinéma aux Etats-Unis, vante elle aussi le film de Radu Jude: « Le concurrent a des chances d’être primé, à considérer l’aspect impressionnant, l’actualité du sujet et le scénario extrêmement amusant de son film.
Corina Sabău, 14.02.2015, 14:12
La publication mentionnée apprécie les décisions du réalisateur, les mérites du scénario, cosigné par Radu Jude et Florin Lăzărescu, la prestation des acteurs, notamment celle de Toma Cuzin, et la qualité de l’image en noir et blanc réalisée par Marius Panduru. The Hollywood Reporter, cette autre publication importante de l’industrie du cinéma aux Etats-Unis, vante elle aussi le film de Radu Jude: « Le concurrent a des chances d’être primé, à considérer l’aspect impressionnant, l’actualité du sujet et le scénario extrêmement amusant de son film.
Ces dernières années, le racisme dirigé contre la communauté rom d’Europe de l’Est a inspiré bien des productions cinématographiques remarquables. Le long-métrage « Aferim! » réussit à remonter jusqu’aux racines historiques de ce thème si actuel. Pour écrire le scénario, le réalisateur Radu Jude et l’écrivain Florin Lăzărescu ont puisé dans des expériences réelles vécues par les esclaves roms. Ce qui plus est, ils parviennent à transposer ce sujet sombre en un thème à la fois drôle et personnel, en évitant de le transformer en un discours rigide de réalisme socialiste », écrit encore The Hollywood Reporter.
« Aferim! », qui compte parmi les projets cinématographiques d’envergure de ces derniers temps, est un film historique. L’action se passe en Valachie, au début du XIXe siècle, lorsque tous les Tsiganes étaient esclaves. Un sergent de ville et son fils, dans les rôles desquels on retrouve Teodor Corban et Mihai Comănoiu, sont sur les traces d’un esclave tsigane fugitif (Cuzin Toma). Le tournage du film « Aferim! », qui a eu lieu dans les Monts Măcin, en Dobroudja (sud-est de la Roumanie), et dans la région de Giurgiu (sud), a coûté 1 million 400 mille euros. La plupart des décors a dû être reconstituée, afin de rendre l’influence turque très présente à l’époque. C’est ce qui explique d’ailleurs le titre du film. Mot d’origine turque, « Aferim! » se traduit par « bravo ». « Les Tsiganes sont-ils des êtres humains? D’où viennent-ils? Ce sont des questions que l’humanité s’est posée à travers les siècles, surtout au milieu du XIXe », affirme Constanţa Vintilă-Ghiţulescu, consultante en histoire du film « Aferim ».
Voici les propos du réalisateur Radu Jude: « Le film ne traite pas uniquement de l’exploitation esclavagiste des gitans. Pourtant, vu que l’on n’en a pas beaucoup parlé, c’est ce qui capte le plus l’attention. D’autre thèmes sont disséminés à travers le film : la condition de la femme, la religion, la manière dont les idées sont véhiculées, la tolérance. Ce que j’ai souhaité exprimer, c’est le fait que, tout comme pour un phénomène de la vie individuelle, un phénomène social trouve partiellement son origine dans un passé plus ou moins lointain. Souvent on oublie cet aspect, car cela implique une certaine responsabilité vis-à-vis du passé, responsabilité que l’on ne souhaite pas ou que l’on a du mal à assumer. Et je pense que pour les sociétés il se passe le même phénomène dont Freud parlait en se rapportant à l’individu : ce que l’on a refoulé nous revient. C’est pourquoi je pense qu’il est très important que toute société se rappelle périodiquement les choses plus ou moins désagréables. »
« Aferim » est le plus important film roumain réalisé depuis 2010 — année de l’« Autobiographie de Nicolae Ceauşescu » du cinéaste Andrei Ujică et d’« Aurora » signé par Cristi Puiu. « Aferim », troisième long métrage de Radu Jude (37 ans), « Aferim » propulse presque son réalisateur à la tête du peloton des meilleurs cinéastes roumains contemporains. Cette œuvre du 7e art, qui deviendra classique dans la cinématographie roumaine, est aussi une intervention pertinente à l’agenda des débats publics actuels — estime le critique Andrei Gorzo. Repassons le micro à Radu Jude: « J’ai eu des sources d’information en tous genres, et pas seulement des sources du cinéma. En fait, ce qui m’a intéressé le plus, c’était comment réaliser une reconstruction historique sans berner le spectateur, lui donnant l’illusion de voir une tranche de vie captée par la caméra. Et à cet effet, c’est une discussion très longue, certains théoriciens du cinéma sont contre le film historique et considèrent qu’il nie le côté fondamental du cinéma. Ma préoccupation a pourtant été de faire un film — même s’il est difficile de lui conférer un cadre historique — et j’ai souhaité que le spectateur ait un indice que ce qu’il voit n’est qu’un film et que les images en question doivent être interrogées par lui pour arriver à ses propres réponses. Dans « Aferim ! », la convention est tracée dans des touches plus épaisses, ce qui n’est ni bien, ni mauvais ; c’est juste une tentative de signaler au spectateur qu’il doit faire attention et ne pas prendre les choses au premier degré ».
Une des intentions à la base de son nouveau film, dit Radu Jude, a été de faire une étude comparée de l’histoire des mentalités, de questionner certaines des coutumes et des idées reçues : « Je me réfère aux gens qui ont une certaine disponibilité pour la communication que tout acte artistique présuppose, y compris un livre ou un film. J’ai utilisé ici une phrase qui m’a beaucoup ému, Wittgenstein termine son premier livre en disant quelque chose comme : « j’espère que ce livre ne soit qu’une échelle sur laquelle le lecteur monte, et qu’enfin il jette l’échelle et qu’il réfléchisse par ses propres moyens ». Bien sûr, je ne me compare pas à Wittgenstein, mais c’est aussi ce que je souhaiterais — que le film ne soit qu’un petit pas dans une direction que les spectateurs éventuels parcourent seuls et qu’ils arrivent plus loin que le film ne les emmènera ».
Le long métrage « Aferim ! » de Radu Jude sortira en Roumanie début mars. (trad Mariana Tudose, Dominique)