Le festival euro-régional de théâtre TESZT
Un événement qui se propose de promouvoir la multi-culturalité et de familiariser le public avec les nouveautés en matière de théâtre de la région comprise entre le Danube et les rivières Cris, Mures, Tisa et non seulement, parce que parmi les invités de cette année on comptait aussi l’Italie, la Belgique et le Portugal. Bref, TESZT se veut une véritable plate-forme d’échanges culturels, une invitation au dialogue avec artistes et spécialistes du théâtre.
L’édition 2016 a privilégié les sujets sociaux qu’ils soient de Macédoine, de Serbie, de Hongrie, de Bulgarie, de Croatie ou de Roumanie. La sélection des pièces a été faite par Attila Balázs, le directeur du Théâtre magyar d’Etat de Timisoara, et par le coordinateur du festival, Gálovits Zoltán. Attila Balázs nous en parle : «Nous avons vu une multitude de spectacles. Après avoir fait une première sélection, nous avons commencé à regarder plus en détail et à déterminer les principaux thèmes dominants. Nous avons ainsi constaté qu’au cours de la dernière saison théâtrale on a beaucoup parlé de la personnalité humaine, de la relation de l’homme avec la société, avec lui-même, avec le monde qui l’entoure. Il y a eu de nombreuses modalités d’expression : des one-man-shows, des spectacles documentaires, des textes classiques, des spectacles musicaux ou des spectacles de poésie. »
Daniela Şilindean, critique de théâtre et conseillère littéraire du festival, nous parle de la thématique de cette année et des défis lancés aux spectateurs : « Cette année, le festival TESZT du Théâtre magyar de Timisoara s’est concentré sur des sujets extrêmement forts, qui ont demandé au spectateur soit de s’affronter soi-même, soit d’affronter la communauté, en jugeant à chaque fois l’humanité ou l’absence d’humanité, la solidarité ou son absence, en offrant une image bien réelle et authentique de la société d’aujourd’hui. Ce qui m’a surprise ? Quelques accents très forts dans des spectacles très radicaux du point de vue du discours. Des spectacles qui invitent à l’empathie pour la cause qu’ils soutiennent. Un autre aspect très important de l’édition 2016 – le fait que le spectateur n’a plus le droit d’être passif. Autrement dit, plus question de fauteuils confortables. Le spectateur doit être une partie active de la pièce et ce n’est pas une métaphore. S’il ne joue pas son rôle, il n’y a plus de spectacle. Il y a eu plusieurs projets fondés sur ce principe : déléguer le rôle de l’acteur, transformer la salle en scène, de sorte que le public s’implique, qu’il fasse partie du spectacle, qu’il joue son propre spectacle. »
Un des spectacles les plus forts du festival de Timisoara a été «Dogville», une coproduction serbe, une adaptation du film de Lars von Trier. C’est l’histoire de Grace, une jeune femme qui fuit les gangsters qui la poursuivaient et se réfugie dans une petite ville apparemment idyllique. Cette communauté isolée est toutefois rongée par les frustrations, par l’avarice et l’agressivité. Grace tombe victime des personnes qu’elle a aidées et auxquelles elle avait fait confiance. Le metteur en scène Kokan Mladenović explique ce qu’il a souhaité dire par ce projet: « Nous avons souhaité faire un spectacle sur le pays où nous vivons. Mais un tel spectacle ne peut être réalisé en ce moment dans aucun théâtre de Belgrade. C’est pourquoi nous avons formé une équipe d’amis et nous avons organisé une audition lors de laquelle nous avons trouvé deux jeunes actrices. Nous avons travaillé sur ce spectacle sur la Serbie dans des conditions presque de guérilla, remarquant le fait que le Belgrade d’aujourd’hui était devenu Dogville. Nous parlons du statut de la culture dans la société, de la manière dont on se rapporte aux minorités, dont les minorités sexuelles, de la violence faite aux femmes, de tout ce qui est tellement présent en Serbie et de tout ce qui devrait faire l’objet d’un spectacle de théâtre à notre avis. Le succès que ce spectacle a eu en Croatie, en Bosnie, en Slovénie, en Macédoine témoigne du fait que les problèmes qu’il présente ne se limitent pas à la Serbie d’aujourd’hui. On pourrait dire que l’Europe entière est devenue une sorte de Dogville, pas uniquement la Serbie.»
A noter aussi que les spectacles de Kokan Mladenović ont été primés par la plupart des festivals d’Europe Centrale et Orientale.
Le Festival Euro-régional de Théâtre de Timişoara s’est achevé par le spectacle d’un artiste très connu en Europe. Le chorégraphe et performeur bulgare Ivo Dimchev y a apporté sa production « I Cure », réalisé en collaboration avec Impulstanz – le festival international de danse de Vienne. «Si guérir est un choix, alors pourquoi ne pas le faire quand on est dans un théâtre ?» – demande Ivo Dimchev, pour expliquer son option de créer une performance interactive sur la guérison, une performance où l’artiste utilise au maximum certains de ses moyens d’expression.
Luana Pleşea, 06.08.2016, 13:20
Ivo Dimchev: « Je pense que le spectacle porte sur la guérison, mais pas tellement au niveau physique, au sens littéral. C’est plutôt une thérapie qui concerne notre manière limitée de concevoir la positivité et la santé. Il est évident qu’au moment où nous commençons à guérir ou que nous tentons de nous rétablir ou de penser de manière positive, nous nous entourons tout de suite d’un nombre immense d’ennemis. Donc, être en bonne santé, être positif c’est se trouver pratiquement dans une sorte de lieu dangereux. Je me suis rendu compte que la seule manière d’éviter ce danger est de permettre à tout ce qui est négatif, à tout ce qui est un ennemi de cette perspective, d’en faire partie. J’ai donc inséré dans le spectacle tous ces tabous et je tâche de mettre les gens dans la situation d’avoir affaire à la misère, à la sexualité, à la violence, à la mort, d’une façon qui les détermine à les accepter, des les envisager comme faisant partie de la vie. Tout cela n’est pas négatif, ce sont des choses que l’on doit comprendre, car elles sont tout à fait naturelles. Nous pouvons encore y trouver la beauté, ne pas juger. Par conséquent, du point de vue de la performance, c’est une sorte de thérapie. Certes, en une heure il est impossible de changer ce genre de choses, mais du moins les gens peuvent entrevoir une lumière au bout du tunnel. Pourtant, il y a, là-bas, une lourde porte. Il faut beaucoup de pratique, beaucoup d’énergie, beaucoup de patience et beaucoup d’amour pour ouvrir cette porte et obtenir cette liberté de ne pas juger les choses comme bonnes ou mauvaises, saines ou malsaines. »(Trad. Valentina Beleavski, Dominique)