Le Festival du film de danse
Poussée par le désir de jeter les bases d’une industrie créatrice de films de danse, la chorégraphe et la réalisatrice Simona Deaconescu a lancé en 2014 la première édition du Dance Film Festival – le Festival du Film de danse, un événement qui a vite cartonné auprès du public.
Luana Pleşea, 07.10.2017, 13:40
Simona Deaconescu : «Cette démarche a eu pour point de départ mes propres créations artistiques. Au long des années, j’ai moi-même signé plusieurs films de danse sélectionnés par la suite dans les grands festivals internationaux. J’en ai un qui passe justement en ce moment, et apparemment, les échos sont des plus favorables. Or, ma présence en salle m’a permis de faire la connaissance de toute une communauté vraiment extraordinaire. J’ai eu l’occasion de voir toute sorte de films et de connaître toute sorte de personnes. Loin d’être des manifestations de niche, ces festivals réunissent dans la même salle des centaines de personnes fidélisées et passionnées par la danse. Du coup, je me suis dit: tiens, une idée qui pourrait marcher chez nous aussi! Surtout que le public roumain est très curieux. Or, tant que la curiosité existe, l’industrie créative peut imaginer des produits censés la satisfaire!»
Déroulée sous le concept The Age of the Strange, la troisième édition du festival a mis en avant une série d’événements proposant tous un retour à l’état naturel. Au total, 35 courts-métrages dont vingt inscrits dans la compétition internationale, 7 dans la compétiton roumaine et 8 dans la sélection Midnight’s Specials, une exposition d’art visuel, plusieurs ateliers et représentations – le Festival a encore une fois donné au public l’occasion de s’imprégner de la beauté de la danse.
Simona Deaconescu, directrice artistique du festival, ajoute : «On vit une période angoissante où on se sent tout le temps en danger, même en l’absence de menaces réelles. Tout le monde a ce sentiment d’incertitude qui me donne souvent la sensation que l’humanité est devenue un peu paranoïaque. C’est pourquoi l’édition actuelle du festival s’articule justement autour d’une contradiction: comment s’y prendre pour préserver notre corps proche de son état naturel dans un monde qui ne cesse de s’altérer? Et puis, est-ce que ça vaut vraiment le coup de lutter pour avoir un corps naturel pour l’obliger, par la suite, de vivre dans le contexte mondial actuel?»
20 films de 14 pays ont été choisis sur un total de 300 pour entrer dans la compétition finale internationale.
Simona Deaconescu: «On a eu des films qui tournaient autour de différents sujets politiques comme par exemple «2-28», récompensé d’une mention spéciale, et qui traitait de la dictature du général Chang à Taiwan. Ou encore des films sur la liberté en Israël ou sur les droits des femmes en Irlande. Des productions avec un thème précis. Après, on a eu des films qui ont parlé de l’idée de système, mais aussi d’autres qui ont mis en avant le rôle de la danse au sein de notre société, sa force de faire bouger les choses. Et puis, il y a eu toute une catégorie consacrée aux personnalités ou aux événements inédits et qui ont surpris moins par le sujet, mais plutôt par l’approche artistique des réalisateurs».
Parmi les idées innovantes de cette troisième édition du festival, la plus audacieuse fut, sans nul doute, celle de lancer une compétition nationale.
Simona Deaconescu : «Même si à présent on parle d’un nombre plutôt limité de films roumains de danse, il suffirait, je pense, de lancer un appel aux créateurs autochtones pour activer la communauté artistique et l’encourager à créer davantage. On est en quête de films de danse construits autour d’une idée maîtresse très intéressante. Je conseille aux chorégraphes roumains de collaborer avec des cinéastes ou d’assumer eux-mêmes le rôle de réalisateur et de se lancer dans la création de films de danse. Nous avons sélectionné au total sept films – très différents les uns des autres comme approche artistique, idée et style. Le prix du meilleur film roumain de danse a été attribué à «Golden Boi», l’oeuvre de deux jeunes chorégraphes. La production a recueilli tous les suffrages du jury pour la simple raison que le film, loin d’être parfaitement réalisé, repose sur une idée originale, tout à fait inédite, qui invite à l’innovation. Même si c’est un film avec des corps imparfaits placé dans un contexte imparfait, c’est du jamais vu. Mais il convient de préciser que les autres productions aussi se sont bien intégrées dans le contexte. Du coup, ce festival a créé un précédent et je suis sûre qu’il arrivera à booster la production de films de danse en Roumanie.»
Bien que très différents l’un de l’autre, les deux longs-métrages invités au festival ont fait salle comble. Réalisé par l’Italienne Stéphanie Di Giusto, «La Danseuse» a eu sa première en 2016, à Cannes, dans la section Un certain regard. Le film raconte la vie de Loïe Fuller, la chouchou du cabaret des Folies Bergère au début du XXe siècle et source d’inspiration pour Toulouse-Lautrec et les frères Lumière. Le deuxième long-métrage, «Wim», porte la signature de Lut Vandekeybus, sœur du célèbre chorégraphe et réalisateur Wim Vandekeybus. Le film reprend des brins de ses spectacles, de ses répétitions, ses interviews et ses enregistrements de famille pour explorer sa créativité infatigable.
La troisième édition du festival Bucharest International Dance Film Festival s’est déroulée du 7 au 10 septembre au cinéma Elvire Popesco, au Musée national de l’Art contemporain et au Centre national de la Danse de Bucarest. (Trad. Ioana Stancescu)