Le documentaire « La mort de Iosif Zagor »
Un des films roumains les plus émouvants de l’année dernière.
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Corina Sabău, 15.02.2025, 13:00
« La mort de Iosif Zagor », le premier documentaire réalisé par Adi Dohotaru, récompensé du prix-mention à Astra Film Festival de Sibiu et projeté en ouverture du Festival One World Romania, est aussi un des films roumains les plus émouvants de l’année dernière.
Le documentaire s’est proposé de faire parler les personnes vulnérables
Le documentaire raconte les quatre dernières années de vie du vidéographe Iosif Zagor, qui a documenté sa solitude et sa maladie. Il a parlé de ses peurs nourries par son évacuation forcée de trois endroits lui ayant servi d’abri précaire à l’âge de la vieillesse. Iosif Zagor a filmé des vidéos dans sa chambre pour enregistrer sa propre vie et la vie d’autres personnes vivant dans des logements sociaux. Le logement, qui est le thème principal du documentaire, est abordé à travers la vulnérabilité de l’individu et le contexte problématique de l’accès au logement de plus en plus difficile pour les personnes vulnérables ou marginales.
Le film parle également des évacuations abusives de ces personnes. Le documentaire s’est proposé de faire parler le protagoniste, Iosif Zagor, et de créer un contexte propice à l’auto-présentation des personnes vulnérables, afin que celles-ci racontent leur propre histoire et deviennent visibles, explique Adi Dohotaru : « En 2017, des amis à moi de la société civile m’ont décrit la situation dans laquelle se trouvaient environ cinquante personnes qui risquaient de se faire évacuer de leurs logements. Cela m’a permis de rencontrer Iosif Zagor et ses voisins. Iosif avait une vieille caméra poussiéreuse, à cassette, qu’il n’avait plus utilisée depuis longtemps. Je l’ai prié de filmer sa propre situation et celle de ses voisins, afin de les faire connaître aux autorités et à l’opinion publique. Sauf que nous n’avons pas réussi à éviter l’évacuation ; nous l’avons juste reportée pour qu’elle n’ait pas lieu en hiver. Le documentaire montre comment nous avons gardé le contact avec Iosif Zagor et avec une partie de ses voisins, ce qui a fini par consolider une relation de confiance avec eux. Nous en sommes même devenus amis. Tout ça nous a donné l’idée de réaliser un film qui donne voix à de tels gens vulnérables. »
L’accès au logement – un problème de politique publique
Adi Dohotaru, qui fait ses débuts en tant que réalisateur avec le documentaire « La mort de Iosif Zagor », est un adepte de la méthodologie de l’Action participative et il utilise dans ses projets la technique de l’Anthropologie performative pour mettre en valeur ses collaborateurs. Il écrit aussi des lois et des poèmes, il fait de la recherche civique et environnementale. « En tant que militant, chercheur ou homme politique, j’ai proposé, avec d’autres experts, militants et personnes vulnérables, des politiques publiques qui permettent aux décideurs d’investir des fonds dans des logements sociaux. La moyenne de logements sociaux accessibles est d’un peu moins de 10% sur l’ensemble de l’Union européenne, mais elle est de 1% en Roumanie », a affirmé Adi Dohotaru, le réalisateur du documentaire.
Adi Dohotaru : « En effet, en Roumanie, la situation est encore pire que la moyenne européenne. Un gros problème vient de la privatisation, après 1989, du stock de logements publics. Une politique alternative, d’aide à ces gens, aurait dû préserver un plus grand nombre de logements publics, ce qui aurait donné une chance aux individus vulnérables, aux personnes âgées ou aux femmes qui essaient de sortir de mariages abusifs. De telles politiques publiques seraient venues en aide à un plus grand nombre de catégories de population vulnérables. Mais cela n’a pas été le cas, malheureusement. Après la privatisation des logements publics, d’autres nouveaux n’ont pas été construit, comme cela s’est passé en Occident. Et je voudrais mentionner que cette tendance internationale s’est accentuée ces dernières décennies, le stock de logements publics ayant baissé même en Europe occidentale. Au fond, pourquoi l’Etat s’est-il retiré de ces politiques publiques? Nous avons un Etat néo-libéral, qui n’encourage pas les politiques sociales et environnementales. Or il existe des domaines régulés par l’Etat, et c’est le cas du logement ; faire changer cette réalité est le sujet d’un long débat. En fin de compte, dans mon film, je montre ce que ces personnes sont obligées de vivre, une réalité d’absence ou de présence minimale de l’Etat. Comme je le disais, c’est une situation générale, qu’on ne rencontre pas qu’en Roumanie. Nous vivons dans un contexte très compétitif, très individualiste, du chacun pour soi, et nous n’avons pas le temps nécessaire de raisonner avec les problèmes des autres, puisque nous sommes débordés par nos propres problèmes. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur nous à l’échelle individuelle, mais aussi sociétale. Et pour que les choses changent, il faut des mouvements sociaux et politiques qui expriment de tels problèmes. Or, à l’heure où l’on parle, de tels programmes politiques, ciblés sur le niveau de vie général et sur le logement, sont peu nombreux, notamment chez les partis mainstream. »
Le documentaire « La mort de Iosif Zagor » est réalisé par Adi Dohotaru et produit par Monica Lăzurean-Gorgan via la maison de production Filmways, en coproduction avec SOS – Societate Organizată Sustenabil, les coproducteurs étant Adi Dohotaru et Radu Gaciu. Alexandru Popescu a assuré le montage. Le film bénéficie du soutien du Programme de master de film documentaire de la Faculté de théâtre et de cinéma de l’Université « Babeș-Bolyai » de Cluj-Napoca. (Trad. Ileana Ţăroi)