Le documentaire « Amar», primé à Astra Film Festival
Le documentaire « Amar » raconte les histoires de plusieurs individus issus d'un milieu défavorisé, en proie aux addictions, ayant vécu dans la rue ou derrière les barreaux des prisons européennes.
Corina Sabău, 23.03.2024, 11:23
Passer de derrières les barreaux à derrière la caméra
Le documentaire « Amar» de Diana Gavra a remporté le Prix pour les Nouvelles perspectives lors de l’édition 2023 du Festival Astra Film de Roumanie. Le film se penche d’une manière courageuse et intime sur un groupe de pickpockets pour qui le vol est un véritable « mode de vie ». La réalisatrice Diana Gavra offre à ses protagonistes suffisamment d’espace pour qu’ils arrivent à vivre en toute sincérité leur vie compliquée, en encourageant le spectateur à voir au-delà des clichés et des stéréotypes. Le personnage principal du film est Amar Răducanu, un jeune homme d’ethnie rom que la réalisatrice, Diana Gavra, a rencontré en 2021 alors qu’il lui avait volé une enveloppe pleine d’argent. Diana a porté plainte au commissariat et les policiers ont identifié le jeune voleur sur les images enregistrées par les caméras de vidéosurveillance. A peine sorti de prison où il a purgé une peine pour vol, Amar a proposé à Diana de lui restituer l’argent à condition que celle-ci retire sa plainte. Sauf que la réalisatrice s’est rendue compte que pour remplir sa part du marché, le jeune homme aurait dû voler l’argent à quelqu’un d’autre. Pour éviter ce scénario, elle a proposé à Amar de retirer sa plainte à condition qu’il accepte de jouer dans son film documentaire. C’est comme cela que la collaboration entre les deux a commencé. Il convient de préciser que Diana Gavra était non seulement réalisatrice, mais aussi avocate, professeure des universités à l’Ecole nationale des études politiques et administratives, SNSPA et avait un doctorat ciblé sur l’Intégration des Roms. D’où son intérêt pour la vie d’Amar. Faire un film qui lui soit consacré a représenté un vrai défi, notamment parce qu’elle s’est vu obligée d’entrer en contact avec un monde totalement inconnu. Diana Gavra :
« J’ai voulu que ce film mette le projecteur sur un monde totalement inconnu auquel j’arrive à attribuer une perspective humaine. J’ai voulu regarder tous ces jeunes tels qu’ils sont en réalité, avec leurs problèmes, leurs sentiments, leurs émotions, leurs désirs et leurs frustrations. Tout au long d’une année de tournage, je les ai observés en train de participer à des mariages, des baptêmes, des enterrements, j’ai été témoin de tout ce qui est arrivé à Amar, à sa famille et à leurs proches. Or, leur réalité est différente de la nôtre. Nous vivons dans une bulle et nous avons l’impression que tout le monde pense comme nous et que voilà, s’entendre les uns avec les autres est très facile. Or, mon monde à moi et celui d’Amar arrivent à entrer en contact seulement en cas de conflit. Ce fut le cas en 2021 quand il a volé mon argent et que moi, j’ai déposé plainte au risque de le voir condamné à des années de prison. Mais, en réalité, nous ignorons complètement la manière dont ces gens vivent et eux non plus, ne savent pas à quoi nos vies ressemblent. Ils ignorent aussi les perspectives de vie différentes qu’ils pourraient avoir. C’est la principale raison pour laquelle j’ai décidé de faire ce film, pour projeter une nouvelle lumière sur leur univers et sur le nôtre aussi, tout en soulevant des problèmes de responsabilité sociale. Comme mon documentaire le montre, même s’il est né à Bucarest, au cœur de la ville, rue Episcop Radu, près de l’Avenue Mosilor, Amar est analphabète. Or, en Roumanie, nous menons des débats au sujet de l’analphabétisme fonctionnel et nous exprimons notre inquiétude face à la propagation de ce phénomène. Amar ne sait même pas écrire son prénom. Or moi, je n’arrête pas de me poser la question : comment cela est-il possible qu’un enfant né au cœur de Bucarest, en 1986, soit complètement délaissé ? Il est vrai que sa famille ne l’a pas inscrit à l’école, que l’éducation ne représente pas un repère pour ses parents, mais pourquoi la société n’a rien fait pour lui ? Je me dis que les statistiques devraient mentionner que cet enfant n’a jamais fréquenté les bancs d’une école. N’avons-nous pas une responsabilité envers ces gens ? A l’époque de Chat GPT, comment se fait-il qu’un jeune comme Amar ne sache même pas écrire son nom ? »
Pour Amar c’est plus qu’un film, c’est un autre monde
Le documentaire « Amar » raconte les histoires de plusieurs individus issus d’un milieu défavorisé, en proie aux addictions, ayant vécu dans la rue ou derrière les barreaux des prisons européennes. Parmi eux, certains sont des causes perdues, d’autres se sont rattrapés et ont fini par s’intégrer au sein de la société. Au moment où il a fait la connaissance de Diana Gavra, Amar Răducanu avait 35 ans dont 13 passées en prison. La proposition de la réalisatrice a complètement changé sa vie, affirme-t-il :
« Vous vous rendez compte que ce film m’a aidé à sortir de mon monde, ce monde criminel que j’aimerais bien quitté. J’ai une famille, j’ai des enfants, je ne veux plus retourner en prison, j’en ai marre de passer ma vie en taule. Je veux mener une vie meilleure, je veux avoir un toit. Et la proposition de Diana Gavra est tombée au bon moment pour me faire découvrir un univers que je ne connaissais pas du tout. Et j’aime bien cet autre monde. Dans un premier temps, quand le tournage a commencé, j’ai eu du mal à m’habituer à la caméra. Mais, petit à petit, cela a fini par me plaire et tous comme les autres protagonistes, j’ai compris comment me comporter devant la caméra ».
Le documentaire AMAR est produit par Pintadera Film et Pro Omnia Cinéma, avec le soutien du Centre national de la Cinématographie. Le directeur de la photographie est Marius Panduru et le montage porte la signature de Eugen Kelemen et Monica Pascu. (Trad : Ioana Stancescu)