« Le Cas de l’ingénieur Ursu » – un documentaire sur la quête de la justice
Cela fait plus de trente ans qu’Andrei Ursu se bat pour faire connaître la vérité sur la mort de son père.
Corina Sabău, 24.08.2024, 09:38
Gheorghe Ursu a été tué dans les cellules de la Securitate (l’ancienne police politique communiste) après avoir contesté la décision de Nicolae Ceaușescu d’arrêter les travaux de consolidation des bâtiments structurellement abîmés par le tremblement de terre de 1977. Réalisé par Liviu Tofan et Șerban Georgescu et récemment sorti dans les salles obscures, le film documentaire « La Cas de l’ingénieur Ursu » parle de la quête de la justice dans un système qui s’y oppose farouchement.
Deux histoires de deux ingénieurs
Liviu Tofan, coréalisateur du documentaire, cinéaste et journaliste de la rédaction roumaine de Radio Free Europe Europa Liberă durant deux décennies, a présenté les deux histoires racontées par le film : « Derrière ce titre, « Le Cas de l’ingénieur Ursu », il y a deux histoires de deux ingénieurs Ursu, le père et le fils. Elles sont emblématiques l’une – de la Roumanie du régime communiste dans les années 1980 (celle de Gheorghe Ursu), et l’autre – de la Roumanie actuelle (celle d’Andrei Ursu), à travers son combat long de plus de trente ans, pour que justice soit rendue à son père. Les deux histoires commencent avec le tremblement de terre de 1977 et je dirais que les deux sont marquées d’un disque rouge (ndlr. Un disque rouge est appliqué sur les bâtiments dont la structure de résistance est très abîmée): un tel disque est collé à la Roumanie communiste et l’autre à la justice dans la Roumanie démocratique. Malheureusement, la seconde histoire, celle d’Andrei Ursu, n’est pas plus encourageante que celle de Gheorghe Ursu. Trente-cinq ans après la Révolution, nous continuons d’attendre un jugement juste dans l’affaire de la mort du dissident politique Gheorghe Ursu, juste d’un point de vue juridique, mais aussi historique. Gheorghe et Andrei Ursu sont deux personnalités extrêmement fortes, qui fonctionnent en tant que véritables modèles à suivre dans une société tellement ébranlée comme celle dans laquelle nous vivons. Ce sont deux modèles rares, qui portent ce film. Gheorghe Ursu a été tué par la Miliție (la police de l’époque communiste) et par la Securitate (l’ancienne police politique) parce qu’il avait refusé tout compromis au cours de l’enquête, c’est ce que nous apprennent les documents de la Securitate. Il avait nettement refusé d’impliquer ses amis dans les enquêtes, un refus à ce point sans appel que l’ingénieur a effectivement été écrasé. Gheorghe Ursu est un modèle d’honneur et de verticalité, qui n’a jamais abandonné ses principes. Son fils, quant à lui, est un homme qui sacrifie réellement sa vie pour un idéal. Andrei Ursu a mis sa vie en balance deux fois, en faisant une grève de la faim pour ses idées, qu’il considère être plus importantes que sa vie. C’est d’ailleurs là que réside la valeur du film: dans la force de ces modèles. »
Les accusés ont été définitivement acquittés
Le documentaire a été projeté pour la première fois l’été dernier, quelques jours seulement avant le prononcé du jugement définitif de la Haute Cour de Cassation et de Justice. Malgré un cas minutieusement construit par la défense, les accusés ont été définitivement acquittés, ce qui fait que le film soit la seule forme de justice et de reconnaissance du dissident politique Gheorghe Ursu. Liviu Tofan, coréalisateur du documentaire « Le Cas de l’ingénieur Ursu », nous fournit davantage de détails. « Une bonne partie du film est consacrée à la lutte en justice d’Andrei Ursu. L’on y montre toute la succession chronologique des difficultés et des obstacles auxquels il s’est heurté après 1990: délais, reports, rejets, arguments tels que la prescription des faits, bref un tas d’obstacles. Souvenons-nous qu’après 1990, Vasile Hodiș, l’un des deux accusés et aussi un des enquêteurs responsables de la mort de Gheorghe Ursu, n’était plus officier de la Securitate. En revanche, il a été officier du Service roumain de renseignement (SRI) pendant des années, il est donc resté dans le système qui s’est constamment opposé à Andrei Ursu. En 2000, Andrei Ursu, en désespoir de cause, fait une première grève de la faim. Il en a fait deux et il a eu gain de cause à chaque fois, justement parce que les autorités se sont rendu compte qu’il était prêt à mourir pour ses convictions. Cette année-là, l’affaire a été confiée au procureur Dan Voinea, qui a continué à enquêter. La seconde fois qu’Andrei Ursu a fait une grève de la faim c’était en octobre 2014, lorsqu’il s’est à nouveau trouvé dans une impasse. Le contexte pré-électoral de cet automne-là avait poussé les autorités à céder. Ce fut en fait un grand moment, puisqu’Andrei Ursu s’est vu accepter tous les arguments rejetés par le passé, y compris l’enquête concernant les deux anciens officiers de la Securitate, Marin Pârvulescu et Vasile Hodiș. Jusqu’en 2014, le système avait tout simplement refusé de les interroger. »
Produit par Kolectiv Film et coproduit par la Fondation « Gheorghe Ursu », Victoria Film, l’Association Follow Art et la Société roumaine de télévision, le documentaire a déjà été présenté lors de séances de projection spéciales en 2023, dans les salles de cinéma bucarestoises Union, Eforie, celle du Musée du paysan roumain et le Jardin aux films (Grădina cu Filme). Il a aussi pu être vu dans le cadre de plusieurs festivals du film (TIFF Sibiu et Oradea, Râșnov, Fălticeni – le Centenaire Monica Lovinescu) ainsi que dans des villes parcourues par la Caravane TIFF. (Trad. Ileana Ţăroi)