Le 23e Festival international de théâtre de Sibiu…
« Rebâtir la confiance » – c’est autour de ce sujet difficile que s’est agencé le 23e Festival international de théâtre de Sibiu, un des plus grands au monde, en termes de nombre d’événements. Il y a eu pas moins de 472 rendez-vous divers, menés par l’élite de la scène roumaine et internationale, qu’il s’agisse de spectacles de rue, dans des espaces de représentation non-conventionnels ou classiques, de conférences, de projections de films ou de rencontres divers. Autant de contacts avec des personnalités que l’on ne côtoie pas tous les jours, débouchant sur des projets, voire des amitiés – une dizaine de jours durant, le festival théâtral de Sibiu a tenté de créer un espace qui oublie les barrières, où le rapprochement est plus qu’un simple mot, qui met ensemble communauté artistique et public, en mobilisant directement la plupart des habitants de cette bourgade saxonne du centre de la Roumanie.
Luana Pleşea, 02.07.2016, 13:15
Organisateur et amphitryon de ce marathon théâtral, le Théâtre national « Radu Stanca » a disséqué tout de suite l’idée de confiance grâce à sa dernière première en date – « #minor », deuxième partie d’une trilogie mordante de l’auteur dramatique et metteur en scène Bogdan Georgescu, « CombienLoinSommes-NousDesCavernesD’OùNousSommesSortis ? ». « Antisocial », son premier volet, présentait sans détours l’apprentissage des rapports de force au sein d’une société, la tyrannie de l’intérêt personnel, la réussite sociale par la délation et la division. Dans « #minor », Bogdan Georgescu aiguise son bistouri et coupe plus loin dans la relation adultes-jeunes : « A mon avis, il est essentiel que ces spectacles provoquent, avant tout. Nous tentons de braquer les projecteurs sur ce qu’est l’éducation, sur la manière dont elle est faite, sur ses limites et ses faiblesses… Si, dans « Antisocial », nous avions des tranches de débat séparées entre parents, profs et élèves, à l’intérieur de leur propres groupes, dans « #minor » les choses deviennent plus personnelles, car nous avons le parent qui discute avec son enfant. Et les propos tourne autour de comportements traditionnels et bien ancrés dans la Roumanie actuelle et qui sont exprimés par toute sorte de mots d’esprit genre « c’est moi qui t’ai mis au monde, c’est moi qui te tue », « la correction physique/la fessée descend droit du paradis », « si papa frappe, c’est la sagesse qui se raffermit » et ainsi de suite. Et ce parce que je trouve scandaleux le fait que dans la Roumanie de l’année 2016, la maltraitance aux enfants est toujours toléré et considéré comme un problème mineur et surtout comme une méthode d’éducation et de correction. »
Tout comme dans le cas d’« Antisocial », « #minor » est suivi par des débats avec le public, non seulement à Sibiu, mais à l’occasion de toute une tournée nationale. Bogdan Georgescu : « Cette fois-ci, nous avons invité aussi un psychologue, car certains sujets touchés par le texte sont très délicats. Après la première, dans le cadre du festival, j’ai senti que le public était tendu, une tension qui s’est prolongée aussi dans les débats. On sentait qu’une bonne partie des spectateurs se sentait directement concernée par la question, qu’ils avaient maltraité leurs progénitures ou qu’ils avaient subi eux-mêmes de mauvais traitements. Il y avait donc besoin d’aborder les choses en finesse et le psychologue était là pour atténuer l’impact de propos qui auraient pu déclencher des réactions imprévisibles, qui doivent être gérées de manière professionnelle. »
Toutefois le Festival international de théâtre de Sibiu a souhaité que « la confiance » soit abordée de manière exhaustive par les événements invités à la 23e édition de cette messe théâtrale. Le monde du théâtre, lui-même, comporte des divisions insoupçonnées et qui ne peuvent pas être devinées à un premier abord ou avec un regard extérieur. Professeur à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne Nouvelle, Georges Banu a remporté à trois reprises le Prix du meilleur livre sur le théâtre du Syndicat français de la critique. Il est un des inconditionnels du Festival de Sibiu et c’est aussi grâce à lui que le public roumain y a rencontré quelques-unes des personnalités qui changent le théâtre mondial actuel. Autant de figures marquantes mais qui ne s’expriment pas souvent ou pas beaucoup. Voilà pourquoi, Georges Banu a lancé, cette année, un livre de « Dialogues théâtraux au Festival international de Sibiu ». Il y lève le voile sur la vision artistique de grands auteurs, metteurs en scène, performeurs, ou scénographes, tels Peter Stein, Wajdi Mouawad, Silviu Purcărete ou Dragoş Buhagiar. Georges Banu : « L’idée de ce livre est apparu lors d’une conversation avec Constantin Chiriac, qui me parlait du trésor de pensée théâtrale renfermé dans les enregistrements des échanges publics que j’ai eu au fil du temps, à Sibiu, avec de grands invités. J’ai alors pensé que ce serait effectivement intéressant de voir ce que ces créateurs essentiels pour la scène européenne avaient à dire et ont exprimé ici-même, dans ce festival. Je les connaissais déjà tous et ce préalable est important dans la mesure où il y a une certaine confiance réciproque qui s’installe. On sait à qui on parle. Je suis très intéressé par ce que les gens me disent et mes interlocuteurs ressentent cet intérêt, le dialogue devenant ainsi encore plus riche. Et puis, il y a aussi un autre détail qui compte – ces gens parlent beaucoup mieux qu’ils n’écrivent. »
Confiance sociale, artistique… Et la confiance que le public accorde au Festival International de Sibiu ? Le professeur George Banu précise : « Nous ne pouvons que féliciter les programmateurs du Festival pour leur idée d’occuper la Grande Place de la ville avec des spectacles de rue, des représentations inattendues que l’on ne peut pas voir souvent en Europe Occidentale. C’est une stratégie profonde et salutaire du directeur du festival et du Théâtre National, Constantin Chiriac, qui a compris qu’il fallait inviter aussi des spectacles d’un autre genre que ceux présentés dans des salles. Des spectacles visuels, d’animation, qui évoluent vers des formes pures, telles le théâtre japonais Nô. Cette diversité, précisément, fait que les publics de Sibiu se retrouvent à tous les niveaux et à tous les paliers créatifs du Festival international de cette ville », a conclu le professeur Georges Banu. (trad. : Andrei Popov)